Paradis pour les uns, ancien enfer pour les autres, la Guyane française captive par la diversité de sa faune et de sa flore. Weekend s’est rendu dans un petit pays qui essaie malgré tout d’oublier son passé marqué au fer rouge.

En cette belle matinée, notre pirogue glisse lentement sur les eaux du fleuve Kourou, l’une des innombrables rivières quadrillant la Guyane française. A bord de l’embarcation, la douzaine de passagers admire les rives bordées par la forêt primaire ; un véritable mur dont on perçoit l’exubérance végétale où vivent d’innombrables espèces animales.

A cette heure de la journée, les animaux se cachent tandis que d’autres, curieux, nous suivent dans les airs, escortant le canot. Le spectacle est magique : ici, un papillon aux ailes bleues affleure le cours d’eau, tandis qu’un oiseau-sentinelle, plus connu sous le nom de païpayo, perché sur la cime d’un palmier nous observe, imperturbable. Plus bruyants, les singes, les toucans, les rapaces, les perroquets font entendre leurs cris.

Bienvenue en Amazonie, gigantesque poumon vert recouvrant 94 % de ce département français d’outre-mer niché entre le Suriname et le nord du Brésil, en Amérique du Sud. Nous vivons ici une vision inédite du pays ; celle d’une France exotique, sauvage et totalement préservée, où  » l’Enfer vert  » s’est peu à peu mué en un vaste terrain de jeux pour amateurs d’aventures et de grands espaces.

Après une heure trente de navigation, nous arrivons enfin au Camp Canopée installé au pied des arbres cathédrale et des sous-bois plantés de lianes, d’arbustes et de petits palmiers. Sous l’épaisse frondaison culminant à plusieurs dizaines de mètres, c’est à peine si l’on distingue le ciel. Çà et là percent quelques rayons de lumière, conférant à l’endroit une atmosphère irréelle… Et un taux d’humidité flirtant autour des 98 % à certaines périodes de l’année.

Lionel, le propriétaire des lieux, invite alors les visiteurs à prendre leurs quartiers dans le carbet ( NDLR : grande case ouverte) perché à 12 mètres de hauteur. Héritée des Amérindiens, l’habitation en bois est réduite au strict minimum : un toit, un plancher, une balustrade et des crochets pour suspendre les hamacs.  » Rien de plus simple, rassure notre hôte. Il suffit de se placer en diagonale pour s’y sentir comme dans un lit !  » A bon entendeurà Mais après quinze années passées à crapahuter dans la forêt et à multiplier les travaux acrobatiques pour le Centre Spatial de Kourou, ce  » Greystoke  » des temps modernes conquiert l’assistance sans difficulté.  » Il m’a fallu tout un été avant de dénicher cet emplacement au pied des montagnes et, donc, à proximité d’une source qui ne tarit jamais, même à la saison sèche.  » Si le carbet est entièrement aménagé, il répond à un concept 100 % écologique où l’eau de source vient alimenter la douche et la cuisine et où les bougies sont préférées au groupe électrogène.

Parmi les activités offertes, grimper au sommet de la canopée est des plus époustouflantes. Une fois parvenu à la faîte d’un géant de 36 mètres (l’équivalent d’un immeuble de 15 étages) on mesure alors toute l’immensité de la jungle guyanaise. Un panorama de toute beauté où s’étirent, à perte de vue, le moutonnement des feuillages rehaussés d’un étonnant camaïeu de verts tel un immense tapis moelleux suspendu sous le ciel bleu. Sous la voûte céleste, il faut alors patienter jusqu’au coucher du soleil pour observer la brume se lever peu à peu et s’enivrer enfin des bruits de la forêt, décuplés à la tombée de la nuit.  » Plus qu’une aventure insolite, cette expérience est l’occasion de démystifier l’Amazonie et de la rendre accessible à tous « , conclut Lionel, toujours coiffé de son chapeau de cow-boy malgré les 32 °C.

Randonnée sportive

Moins confortable et plus extrême, le bivouac classique offre, lui aussi, son lot d’émotions et de sensations fortes. Philippe, la petite cinquantaine et la verve fleurie, prend alors le relais. A l’instar de Lionel, l’Amazonie n’a plus de secrets pour lui. Passionné par la forêt, il tente de la faire partager au plus grand nombre. Mais attention, âmes sensibles s’abstenir : le circuit prenant, parfois, des allures d’opération commandoà Direction la petite ville de Regina, où l’on embarque sur le fleuve Approuague avant de rejoindre la crique (petite rivière) Matarony, point de départ de l’excursion. Au programme : quatre heures de randonnée sportive avec, en sus, un sac de dix kilos sur le dos, incluant vivres et matériel de campementà Valdo, un jeune amérindien, ouvre la marche, l’£il aiguisé et la machette bien en main, repérant, là, un serpent lové sur une branche et scrutant, plus bas, le trou d’une matoutou noire et velue. Inoffensive, certes, la fameuse mygale affiche tout de même la largeur d’une assietteà  » Pensez toujours à regarder là où vous posez les mains !  » prévient notre éclaireur alors que l’on tente de s’accrocher in extremis à l’une des innombrables lianes qui, contrairement aux idées reçues, poussent de bas en haut afin de capter la lumière.

Sept kilomètres plus loin, le groupe parvient enfin à la savane-roche Virginie, un plateau volcanique culminant à 120 mètres au-dessus du niveau de la mer et offrant une vue imprenable sur la canopée.  » Nous voilà sur le toit du monde, s’exclame Philippe. Même si on ne les voit quasiment jamais, l’endroit est fréquenté par de nombreuses espèces dont des pumas, jaguars, ocelots, daguets et tapirs.  » De quoi s’offrir le remake du Livre de la jungle pour la nuità Et sous les étoiles.

Retour à la réalité

De retour à Kourou, base du Centre Spatial, les tristement célèbres îles du Salut – ancien bagne – situées à une quinzaine de kilomètres au large se rejoignent en une petite heure de navigation à l’aide d’un des voiliers qui assurent la liaison. Les flots bruns du littoral guyanais laissent alors place aux eaux translucides de l’océan Atlantique. Désormais plantés de cocotiers et de bougainvilliers, les trois îlots offrent une vision d’éden. On a de la peine à réaliser que jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale près de 70 000 bagnards, parmi lesquels Alfred Dreyfus, Guillaume Seznec et Henri Charrière dit Papillon, y furent déportés. Un épisode dramatique dont Royale, Saint-Joseph et l’île du Diable conservent encore aujourd’hui d’innombrables vestiges laissés à l’abandon et pris d’assaut par la végétation.

Tout en crapahutant sur les sentiers côtiers, on se laisse peu à peu gagner par la douceur et la sérénité qui sied aujourd’hui à l’endroit. Loin de  » l’enfer au paradis  » comme le décrivait, à l’époque, le journaliste Albert Londres qui, à force de témoignages et d’articles virulents, encouragea la fermeture des pénitenciers.

Autre lieu et tout autre décor avec les marais de Kaw, situés à quelques encablures au sud de Cayenne. Ceux-ci offrent sans conteste l’une des plus belles images du département. Pour s’en assurer, rien de tel qu’une immersion au c£ur des 130 000 hectares de la réserve naturelle, où se côtoient aigrettes, jacanas jaunes, flamants roses, toucans toco et martins-pêcheursà De savanes en marécages, l’enchantement y est permanent. Mais c’est à la nuit tombée que les marais offrent leur spectacle le plus fascinant. Lorsque les yeux rouges des caïmans émergent à fleur d’eau et laissent entrevoir les innombrables mystères que réserve encore la Guyane françaiseà

Marion Tours Photos : Jean-Paul Calvet

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