» Garde-robe « , à l’évidence le mot n’a pas été créé pour les hommes. Pourtant, lorsque Weekend Le Vif/L’Express a demandé à sept mâles en vue de dévoiler leur penderie, aucun d’entre eux n’a hésité à faire son coming-out vestimentaire. Cette sortiede placard se révèle éclairante : toute une personnalité se dessine au travers du rapport à cette seconde peau qu’est le vêtement. In vestiaire veritas.

Thierry Rondenet, 41 ans, et Hervé Yvrenogeau, 39,créateurs de la marque Own et enseignants à La Cambre.

E n attendant de trouver un nouvel appartement, Thierry Rondenet et Hervé Yvrenogeau s’entourent de leurs vêtements au sein de leur atelier. Ces créateurs qui fonctionnent en tandem à la scène comme à la ville ont un regard acéré sur la mode, dont ils connaissaient parfaitement les rouages. Pas né de la dernière pluie, Own, leur label, a été fondé en 1998 et, depuis plus d’un an, les deux complices ont ouvert un magasin place du Jardin aux Fleurs, à Bruxelles. Ensemble, ils proposent une mode subtile, bien que compatible avec la vie quotidienne, et conçue pour déjouer les pièges du total look.  » Toute notre collection est conçue comme une garde-robe, le concept est de croiser les vêtements, de tenter de nouvelles combinaisons. On déteste tous les deux lorsque la mode se résume à du show off extravagant « , explique Thierry Rondenet. Quand on lui parle de vêtement fétiche, Hervé Yvrenogeau cite d’emblée un pantalon dessiné par Jeremy Dhennin, un de ses anciens élèves à La Cambre. Hervé salue la pièce, qui mélange jeans et jogging, pour son hybridation audacieuse.  » J’adore le principe qui ferait croire à un survêtement de sport porté de façon hyper-taille basse. J’aime aussi l’idée d’avoir été le professeur et de me retrouver maintenant client « , souligne le fashion designer. Thierry, quant à lui, concède acheter peu mais être fan de Miu Miu, la seconde marque de Prada.

Charlie Degotte, 43 ans, metteur en scène, meneur de revue, auteur, producteur…

A près cinq mois intensifs consacrés aux représentations de  » Youpi « , son opérette célébrant de façon déjantée les 175 ans de la Belgique, Charlie Degotte souffle enfin. L’occasion pour lui d’ouvrir la porte de sa penderie et de lever le rideau sur son rapport à la mode.  » J’ai une approche assez minimaliste et instrumentale du vêtement, confie celui qui affectionne chemises blanches et cols roulés noirs. J’avoue que ce n’est pas très original dans la mesure où il s’agit du bleu de travail du metteur en scène. Cela dit, j’évite l’écharpe blanche trop connotée à mon goût.  » Charlie Degotte n’aime pas que son look lui complique la vie. A titre d’exemple, toutes ses chaussettes sont noires afin d’être sûr de toujours pouvoir composer une paire. Il ne fréquente pas les boutiques de mode et choisit ses adresses en fonction de leur proximité avec les arrêts de bus des lignes qu’il emprunte. Seule exception à cette règle : la très fashion boutique Stijl, rue Antoine Dansaert, à Bruxelles.  » J’y ai acheté mon costume fétiche : un Dries Van Noten, avoue celui dont l’allure n’est pas sans évoquer Buster Keaton. Je le mets à toutes les premières ou lorsque je suis invité au Cercle Gaulois. Je le range à chaque fois dans sa housse afin qu’il soit prêt à l’emploi. J’ai été séduit par la coupe qui, je trouve, me rend beau. « 

Thomas Gunzig, 35 ans, écrivain et professeur de littérature.

I l suffit de lire  » Kuru « , son dernier roman, pour comprendre que Thomas Gunzig porte un regard d’entomologiste sur la mode. L’une des héroïnes du récit, Katerine, est l’archétype de la fashion victim. Celle-ci se gargarise avec fierté de ces griffes qui en jettent : Dries Van Noten, Azzedine Alaïa, Prada… Thomas Gunzig, lui, est une sorte de  » hors venu  » dans le monde des vêtements et des marques. Il le confesse d’ailleurs volontiers :  » Je ne m’intéresse pas vraiment à la mode. Je veux avant tout me sentir bien dans un vêtement. En vieillissant, j’accorde de plus en plus d’importance aux matières, surtout en ce qui concerne les pulls. Aujourd’hui, j’éprouve beaucoup de plaisir à porter de la laine d’agneau, du fil d’Ecosse ou du mérinos.  » Thomas Gunzig a également entrepris une sorte de thérapie par la couleur.  » Avant, je n’achetais que des vêtements sombres, ce qui finissait par me plomber le moral. Maintenant, je n’hésite plus à opter pour des couleurs vives.  » Un autre élément contribue également à changer en douceur son rapport au vêtement : le fait d’être professeur ou conférencier et donc de devenir à certains moments l’objet de toutes les attentions.  » Quand j’écris, je me permets un vieux pull troué, mais je suis incapable d’en porter lors de mes cours. J’ai besoin de me sentir bien habillé.  » Le placard de Thomas Gunzig révèle quelques tee-shirts et une veste de la marque belge Own.  » Ce sont des amis, ils enseignent comme moi à La Cambre. J’adore leur travail. Ils jouent sur les matières et créent des vêtements stylés soft que l’on peut porter au quotidien. « 

Jean-Luc Moerman, 38 ans, artiste.

J ean-Luc Moerman a beau être aujourd’hui largement reconnu – entre le nouvel Atomium qui accueille ses £uvres pendant un an et le Japon qui le vénère – il garde des habitudes de squatter. Nulle garde-robe pour lui, il continue de stocker ses vêtements dans des sacs de sport, comme s’il allait être délogé demain. Dans son atelier, les murs tapissés racontent son univers esthétique. Si contre toute attente il refuse d’être considéré comme un artiste issu du graffiti, sa vision de la mode plaide pour une appartenance à un socle de guérilla urbaine. Dans la jungle des villes, Jean-Luc Moerman opte pour les pantalons à poches, les vêtements techniques et les matières permettant  » d’avoir chaud en hiver et de rester au frais l’été « . Ses boutiques fétiches sont celles qui sont apparentées aux sports de montagne, A.S. Adventure ou Entre Terre et Ciel.  » Comme je passe mon temps à bouger, à peindre à quatre pattes et à me déplacer en vélo, il me faut des vêtements solides et fonctionnels « , précise-t-il. Jean-Luc Moerman se tient globalement assez loin de la mode, il n’est pourtant pas réticent à créer des passerelles entre son travail et celui des stylistes. Quand il est porté, le vêtement se déplace, c’est donc un magnifique moyen de diffuser une £uvre auprès d’un public large. Dans une galerie, c’est statique et cela fonctionne en circuit fermé, on ne touche que les amateurs d’art contemporain…  » Plus que tout autre, un accessoire retient particulièrement l’attention de cet autodidacte : les baskets. Il exhibe avec fierté un prototype Adidas argenté reçu à Tokyo qu’il conserve religieusement à côté de ses différents modèles de Nike Air Max.

Loïc Bodson, 29 ans,chanteur de Flexa Lyndo.

A vec son beau visage aux traits androgynes et sa silhouette de mannequin, Loïc Bodson possède le physique parfait pour un shooting de mode. Avec Pauline, sa compagne, ce chanteur-compositeur réserve une place toute privilégiée aux vêtements et au stylisme. Comme en témoigne un ouvrage sur Christian Lacroix découvert au hasard de la bibliothèque. Mais c’est surtout l’Italie qui a les faveurs du rocker belge :  » Pauline a de la famille là-bas. Nous allons souvent à Rome et à Milan, j’adore y acheter des vêtements. J’ai repéré un créateur qui s’appelle David Mayer et dont je suis fan. Licencié en droit, spécialisé dans les questions de propriété intellectuelle liée aux nouvelles technologies, Loïc Bodson choisit son look avec soin.  » Depuis toujours, j’ai une certaine approche du vêtement : comme je n’aime pas ce qui est tape-à-l’£il, je choisis des fringues assez sobres mais, dans la mesure du possible, avec une touche particulière. Raison pour laquelle il n’y a pas de rupture entre mon apparence en rue et sur scène. Je me renseigne toujours aussi pour savoir où un vêtement a été fabriqué, j’essaie dans la mesure du possible d’acheter « éthique ».  » Longtemps, Loïc Bodson a hanté les magasins de seconde main à la recherche de perles vintage, allant jusqu’à acheter des pièces chez Emmaüs au Canada. Mais l’accessoire du vestiaire qu’il chérit le plus, c’est la chaussure. Pour preuve, il exhibe une série impressionnante de baskets. Toutes les marques incontournables à ses pieds : Gola, Adidas, Converse, Nike, Puma, Le Coq Sportif… Mais il avoue craquer par ailleurs pour Pawelk’s, des chaussures italiennes à la fois mode et habillée.

Lorenzo Serra, 37 ans,directeur artistique visuel des soirées Dirty Dancing au Mirano Continental, à Bruxelles.

L ooké, Lorenzo Serra l’est définitivement avec ses airs de dandy londonien. L’apparence de cet oiseau de nuit est soignée jusque dans ses cheveux : une longue mèche néo-pop qui en impose. Branché mode, il l’est forcément au regard de sa silhouette savamment étudiée. Depuis plusieurs années, son shopping s’effectue entre Londres et Amsterdam.  » A Londres, les boutiques apparaissent et disparaissent en fonction des saisons. Ce sont, dès lors, plutôt des quartiers qui m’inspirent, tels Carnaby Street ou Covent Garden. En revanche, j’aime Amsterdam pour son marché aux puces. Je me souviens d’un week-end où je suis revenu avec six vestes achetées dans trois échoppes différentes qui se trouvaient les unes à côté des autres.  » A Bruxelles, les points de chute de Lorenzo Serra sont plutôt pointus comme la boutique Mister Ego, rue des Pierres ; mais il se sent également proche d’enseignes telles que Bernard Gavilan, Idiz Bogam, Pax, Prive Joke ou encore le magasin de seconde main Foxhole. Féru de mode, le discours du dandy de la nuit n’est pas pour autant celui d’une fashion victim.  » C’est vrai que j’aime les vêtements mais pas au point de me laisser happer. Je ne suis aveuglément aucune marque, je garde toujours une distance critique. De même, si je ne suis pas en fonds, je peux passer sans souci plusieurs mois sans rien acheter.  » Lorenzo revendique également une totale liberté par rapport aux uniformes.  » Je ne me laisse enfermer dans aucun look. Un jour, je peux être très urbanwear et le lendemain arborer une veste de costume cintrée avec une cravate. Ma touche personnelle, c’est d’avoir des vêtements de base auxquels j’ajoute un accessoire qui tue. Comme par exemple ma cravate-fétiche Dior.  »

Texte : Michel Verlinden. Photos : Renaud Callebaut

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