Ce fan d’Yves Saint Laurent nous a confié être admiratif du travail qu’accomplit notre compatriote Raf Simons pour le label Jil Sander. Rencontre à New York avec le discret directeur artistique de l’une des griffes de mode les plus connues au monde. Un homme qui cultive le chic avec un zeste d’audace.

C’est un soir d’octobre dernier, l’une de ces nuits d’arrière-saison qui peuvent être incroyablement douces dans la grande ville de la côte Est des Etats-Unis. Tout en bas de Manhattan, au n° 25 de Broadway, une noria de limousines noires déposent dans un incessant va-et-vient les invités du show Hugo Boss. Comme d’habitude, la marque allemande a pris le contre-pied du calendrier des défilés. Pour bien signifier sa place à part dans la galaxie de la mode, elle ne présente en effet aucun modèle pendant les traditionnelles fashion weeks de Milan, Paris, Londres ou New York, mais choisit régulièrement une date et un lieu où ses nouveaux vêtements seront dévoilés. Ce soir-là, c’est dans l’un des plus beaux immeubles de la ville, le Cunard Building, inauguré en 1921, que l’événement se tient. Portes monumentales de bronze, plafond sculpté à caissons, fresques sur les murs : l’immense hall construit par la puissante compagnie de paquebots transatlantiques est un décor de rêve pour faire découvrir à quelques centaines de privilégiés la collection qu’a dessinée pour ce printemps Ingo Wilts et son équipe. C’est la ligne Boss Black, la plus importante de toute la griffe, qui s’offre ce soir aux regards : des costumes masculins dans des laines glacées ou des Nylon légers et très structurés, des robes aux savants jeux de transparences, le tout dans une palette neutre : blanc, beige, pastel. Bref, du chic avec un zeste d’audace. Est-ce décidément la recette du succès ? Nous sommes allés le demander dès le lendemain au directeur artistique de la marque.

Weekend Le Vif/L’Express : Etes-vous heureux de l’accueil réservé à votre dernier défilé ?

Ingo Wilts : J’aurais tort de me plaindre. Les réactions ont été très positives, et c’est important pour Hugo Boss, car les Etats-Unis sont notre second marché, après l’Allemagne. Forcément, c’était un peu anxiogène pour moi, car je faisais défiler ici non seulement de la mode masculine, mais également de la mode féminine, ce qui est relativement neuf, aussi bien pour la marque que pour moi.

Quand Hugo Boss s’est lancé en 2000 dans le prêt-à-porter féminin, ce ne fut d’ailleurs pas un succès…

L’erreur a sans doute été d’avoir confié à l’époque ce développement à un studio extérieur, basé en Italie. Je crois qu’il y a un véritable style Boss que l’on ne possède que lorsqu’on vit l’entreprise de l’intérieur, et je suis content que nous ayons pu récupérer avec mon équipe la responsabilité de cette ligne féminine, qui marche de mieux en mieux et représente désormais plus de 10 % de nos ventes.

Pourtant, Hugo Boss n’est-il pas avant tout connu comme le couturier de l’homme ?

Bien sûr. Et c’est totalement logique. Notre rôle dans la mode masculine est prépondérant. Tout a vraiment débuté à la fin des années 1960, quand les petits-fils de Hugo Boss, le fondateur, ont su réinterpréter le style des tailleurs italiens en gardant leurs meilleurs tissus, mais en y apportant un certain confort dans la coupe. Nous n’avons jamais dévié de ce qui a fait notre réputation : avoir des matériaux de grande qualité et fabriquer avec cela des vêtements dont la modernité puisse durer plus d’une saison. Un homme qui s’habille en Boss doit pouvoir remettre son costume plusieurs hivers ou étés… Même si je lui suggère bien sûr de renouveler sa garde-robe de temps en temps !

Quels sont les conseils que vous donneriez à une jeune styliste qui doit dessiner un costume masculin pour vos collections ?

De savoir trouver l’équilibre avant tout. Un modèle Boss ne joue pas l’esbroufe, mais il doit marier avec doigté une touche de business, une touche de sophistication et une touche de sexy. C’est l’harmonie entre ces différentes composantes qui est un peu l’ADN de la marque.

Mais où est la modernité dans tout cela ? La prise de risque dont parlent souvent les créateurs de mode ?

Vous savez, je ne crois pas que si nous étions démodés nous vendrions un sur six des costumes haut de gamme à travers le monde. Soit plus qu’Armani et Zegna réunis en la matière. La ligne Boss Black, dont j’ai la responsabilité, est un studio qui fait travailler à plein temps plus de 15 designers, issus notamment des meilleures écoles de mode en Europe, et ils ont tous le souci de faire non pas des vêtements pour  » jeune cadre dynamique « , mais de belles pièces tout à fait dans l’air du temps. Et puis, ne l’oublions pas, la modernité est aussi dans le détail : une forme de chaussure plus pointue, la coupe d’un revers ou d’une doublure…

La mode féminine vous autorise tout de même plus d’audace ?

Et c’est pour cela que je suis ravi d’en faire désormais ! Certaines matières, comme l’organdi, certaines brillances ou transparences sont des choses que je n’envisagerais pas pour l’homme, alors qu’elles sont parfaitement portables par la femme, et cela m’ouvre de nouveaux champs d’investigation. Je vous avoue d’ailleurs que je compose désormais mes collections  » à l’envers  » : je conçois les modèles féminins, puis j’imagine les tenues des hommes qui pourraient les accompagner… Une révolution pour la maison Boss !…

On a vu quelques couleurs fortes lors de votre dernier défilé, mais les imprimés sont en revanche rares. Vous ne les aimez pas ?

Nous en avons un certain nombre dans nos collections, mais je n’ai pas le sentiment que c’est là qu’on nous attend. J’ai autrefois travaillé pour la licence de Daniel Hechter en Allemagne, et j’avais été impressionné de la façon dont il traitait justement les couleurs et les imprimés. Mais c’était une ligne sportswear, et c’était une autre époque. Peut-être cela reviendra-t-il. N’y avait-il pas beaucoup d’imprimés dans les derniers défilés parisiens ?

Quels sont justement les couturiers dont vous appréciez le travail ?

Parmi les grandes figures mythiques, je suis un fan d’Yves Saint Laurent, de sa science de la coupe, de sa manière de draper les robes de soirée. Et si je dois donner un nom parmi mes contemporains, je suis tout à fait admiratif du travail qu’accomplit Raf Simons pour la griffe Jil Sander.

Et vous, comment vous habillez-vous ?

Je mesure 1,96 mètre, j’ai donc opté pour des couleurs basiques : du noir, du gris, du blanc. Il n’y a que cela dans mes placards. Tout va avec tout, et je ne mets jamais plus de trois minutes pour faire ma valise. C’est l’avantage.

Propos recueillis par Guillaume Crouzet

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