Situées au coeur du plus grand domaine skiable du monde, les stations de ski des Menuires et de Saint-Martin de Belleville offrent une communion inattendue avec la nature. La poudreuse s’y ramasse à la pelle.

Inutile d’y aller par quatre chemins, sur papier, Saint-Martin de Belleville et Les Menuires ne sont pas des stations qui font rêver l’amateur d’escapades en freeride… même si elles s’ouvrent sur 600 kilomètres de pistes. Le constat s’impose surtout pour Les Menuires, village imaginé à partir de rien dans les années 60, décennie qui n’est pas passée à la postérité pour sa vision à long terme de la montagne. N’empêche, on aurait tort de jeter le bébé avec l’eau du bain. Alors qu’elle s’apprête à fêter ses 50 ans d’existence, la station mérite d’être redécouverte pour ses multiples itinéraires alpins, ses rencontres et ses adresses inattendues. En plus de toutes les facilités qu’elle offre – entre autres de nombreux départs skis aux pieds, l’un des luxes suprêmes des vacances à la neige, ainsi que la possibilité d’oublier totalement sa voiture pendant une semaine – elle garantit de beaux moments de fusion avec la nature.

Pour appréhender les lieux, rien de tel que d’avoir recours aux services d’un gars du cru. À 67 ans, Raymond Jay est de ceux-là. L’histoire de ce moniteur hors pair est celle d’un  » paysan « , comme il le dit, passé des bêtes aux remontées mécaniques. L’homme se souvient encore d’un temps où les hameaux étaient enclavés pendant deux longs mois au plus profond de l’hiver. Il se rappelle aussi la saison 63-64, la première de la station, durant laquelle pas un seul flocon n’avait daigné se poser sur les flancs des montagnes. Sorte de mémoire de la station, le  » grand blond « , comme tout le monde le surnomme, n’a pas oublié non plus ses cinq années en tant que pisteur-secouriste :  » A l’époque, on damait encore la neige avec nos skis ou avec un rouleau en bois, pour accomplir cette tâche, il nous fallait la journée.  » Cinq décennies plus tard, pas la moindre lassitude ou aigreur chez ce savoyard pur jus.  » Jamais je ne pourrai me lasser de ce paysage « , s’exclame-t-il, un doigt gros comme une bûche pointé vers les 3 562 mètres d’altitude de l’Aiguille de Péclet. Sur la neige, son élément naturel, il faut le voir  » fendre la bise  » et l’écouter lancer ses  » yodelaïti  » aux quatre coins des pistes. L’enthousiasme de celui qui affiche 45 années au compteur de son métier de moniteur de ski n’est pas feint : Saint-Martin et Les Menuires cachent des trésors insoupçonnés pour qui se donne la peine de faire un pas de côté.

LES VALLÉES OUBLIÉES

Quand on évoque les Menuires, c’est aussitôt l’immensité du domaine skiable des 3 Vallées qui s’affiche devant les yeux. Forcément, un espace de 400 km² au coeur duquel on peut skier dans des paysages radicalement différents – des glaciers de Val Thorens aux pommiers de Bride-les-Bains – a de quoi marquer les esprits. Pourtant, ces trois vallées, réputées dans le monde entier, en dissimule une quatrième, voire une cinquième, qui permettent de laisser les foules derrière soi. La première est celle des Encombres. Pour accéder à ce paradis blanc, vierge de toute remontée mécanique, il faut souscrire à deux conditions : posséder un bon niveau de ski – sans toutefois être un expert – et se faire accompagner par un moniteur. Le point de départ ? L’impressionnant sommet de la télécabine de la Masse où l’on se rince l’oeil devant un panorama à 360° avec la face nord du Mont-Blanc en guise de vénérable horizon. Versant nord-ouest garantissant une neige plutôt ferme, le pan de montagne sur lequel on accomplit cette poudreuse odyssée se découvre comme un espace naturel préservé. Les chamois l’ont bien compris, qui vivent ici en toute liberté – on en dénombre quelque 700. Depuis le sommet, les skieurs s’offrent un itinéraire d’une heure à deux heures trente d’hors-piste sans croiser qui que ce soit. Chacun choisit sa halte parmi quelques-uns des vingt-quatre villages et hameaux qui peuplent la vallée des Belleville : le Bettex, Paranger, Saint-Marcel… Tous ceux qui aiment la récompense après l’effort savent que c’est du côté du Chatelard qu’il convient de déchausser afin d’apprécier l’expérience au mieux. Dans ce petit village un peu oublié, se trouve une adresse précieuse : la ferme auberge de Chantacoucou. On la doit à Bernard et Josette Souchal, éleveurs d’un genre particulier. Le principe est celui d’une exploitation agricole qui, depuis 6 ans, fait place à une table ouverte midi et soir.  » Minimum 50 % de ce qui est servi provient de la ferme, explique Bernard Souchal. Notre spécialité est la viande de boeuf que l’on doit à nos trente-cinq vaches. Le circuit est le plus court possible, l’abattoir se trouvant à Bourg-Saint-Maurice. Nous ne travaillons que la viande fraîche que nous faisons maturer plus ou moins en fonction des morceaux. Nous proposons aussi du Beaufort réalisé à la coopérative avec notre lait. Sans oublier, en été, les légumes de notre potager.  » Dans la grande salle qui se trouve au-dessus de l’étable, plusieurs tables à la simplicité rafraîchissante permettent d’apprécier ce festin locavore par le biais d’un menu unique qui évolue en fonction de la production : saucisson maison, tête pressée, soufflé au Beaufort et viandes d’exception. Le tout sous le regard bienveillant de saucisses et de jambons en train de sécher à l’étage.

Le bonheur du calme et de la paix des montagnes ne se donnent pas qu’aux fous de la spatule. Une seconde vallée oubliée, celle des Deux Nants, se prête à un autre type de découverte. Pour y accéder, il faut chausser les raquettes depuis le petit village de La Flachère que seuls quelques habitants peuplent à l’année. Les perspectives de randonnées étant multiples, on se fixera pour objectif raisonnable – un itinéraire d’environ 1 h 30 – de rejoindre le refuge du Nant Brun. Parmi les flocons, la balade prend l’allure d’un très poétique voyage d’hiver rythmé par la flore – les planes, bouleaux et frênes -, les indices laissés par la faune – traces de chevreuil, branchettes d’épicéa sectionnées par les gros-becs casse-noyaux… – et les vibrations lointaines de la cloche du village de Saint-Jean de Belleville. Après avoir goûté au plaisir de laisser sa trace dans la neige fraîche, on accède au refuge de Josette et Jean-Yves Besson.  » Refuge « , l’endroit l’est à plusieurs titres. D’abord, contre le froid. Ensuite, contre le tumulte du monde moderne. Datant de 1909, cette  » montagnette « , du nom que l’on donnait autrefois aux fermes d’alpage, fait valoir une douceur de vivre, tant dans l’ancienne étable transformée en salle à manger où l’on se régale – notamment d’une formidable crème brûlée au genépi et de crozets à la moutarde – à la chaleur du feu bois, que dans les chambres aménagées avec soin par les deux propriétaires qui sculptent le bois. Le Nant Brun est également un lieu où remonter le cours du temps au fil des mots de Jean-Yves, montagnard un rien taciturne qui, lorsqu’on l’apprivoise, n’a pas son pareil pour évoquer l’époque où les prêtres bénissaient les montagnes et les temps révolus où les alambiques étaient détenus en copropriété. Sans oublier les fins d’été au cours desquelles les anciens descendaient les tomes à dos de mulet.

D’AUTRES POSSIBILITÉS

Ce n’est pas seulement à la périphérie du domaine que Saint-Martin et Les Menuires se défont de l’image d’usines à ski que l’on aurait tort de leur attribuer. Le dépaysement peut également se trouver au coeur des pistes. Ainsi du chalet d’alpage Pépé Nicolas, situé au lieu-dit La Chasse, qui se démarque radicalement des habituels restaurants d’altitude qui débitent du 600 couverts par jour. Première particularité : l’adresse se mérite, on y parvient qu’à la faveur d’un hors-piste, plus sportif que technique, qui a le don de faire chauffer cuisses et mollets. Second signe distinctif : il s’agit d’une ferme encore en activité, du moins l’été, où l’endroit prend la forme d’un projet pédagogique permettant aux enfants et aux adultes qui les accompagnent d’appréhender la vie d’un lieu d’alpage à travers une cohue de 150 chèvres, une dizaine de vaches du pays – les fameuses  » tarines  » – et de nombreux animaux de basse-cour. Le propriétaire Éric Suchet a eu l’idée de poursuivre l’oeuvre de ses grands-parents en ajoutant un volet restauration au projet afin qu’il soit rentable. Ouvert en 2012, Pépé Nicolas permet de déjeuner d’une vraie bonne cuisine du terroir – diot, tartiflette, fondue savoyarde au Beaufort…. – loin des foules. Particulièrement depuis la terrasse, dont les bancs conçus à partir d’anciens pots à lait offrent une vue inouïe sur les cimes enneigées.

Autre adresse à planter un décor différent, les Yourtes des Belleville se réservent à l’heure du dîner. Le concept ? Deux yourtes venues de Mongolie, isolées à la laine de yack, que l’on rejoint en motoneige. L’intérieur, entièrement meublé avec du mobilier traditionnel mongol, plante une atmosphère conviviale qui invite au dépaysement. Au sommet de la tente un dôme en verre s’ouvre sur la voûte étoilée. Le contraste entre le froid extérieur et l’intense chaleur du poêle à bois détend à la manière d’un onzen, les sources chaudes japonaises. Dans l’assiette, une cuisine savoyarde sans déception.

Dans un autre genre, impossible de ne pas nouer un lien authentique avec l’environnement sans passer par La Bouitte.  » La petite maison « , en savoyard, a beau être doublement étoilée depuis 2008, elle n’a pas perdu le contact avec la terre escarpée qui la porte. René et Maxime Meilleur, père et fils, y signent une cuisine créative virtuose qui paie son tribut au terroir. Entre autres fournisseurs locaux, l’adresse travaille avec la coopérative laitière de Moutiers. Ce cheminement a inspiré une création magnifique, sorte de condensé de montagne, qui porte le nom d' » Autour du lait « . Un dessert consistant en des variations de textures (meringue, biscuit, tuile, glace…) et de goûts (léger goût aigre du lait de chèvre et rondeur maternelle du lait de vache) autour d’un produit phare de la montagne. Sans parler de la délicate mutation chromatique, à peine perceptible, autour de la blancheur immaculée. Côté sensations, la communion n’en est pas moins intense que lors d’une descente poudreuse aux genoux.

PAR MICHEL VERLINDEN

Des alternatives rafraîchissantes, exquises et discrètes, aux stations ultra bondées.

Le bonheur du calme et de la paix des montagnes ne se donnent pas qu’aux skieurs.

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