Itinéraire d’un enfant du design
Entre la création de meubles et leur production, il y a un pas que Danny Venlet ne veut pas franchir. Rencontre avec un designer belge à la démarche créative originale.
Tel Obélix dans la potion magique, Danny Venlet (42 ans) est tombé dans le chaudron du design quand il était petit. Né en Australie, il met le cap sur le plat pays au début des années 1980, dans le but de réaliser son rêve: étudier l’architecture d’intérieur. Chose qu’il fera, avec les honneurs, à l’Institut Saint-Luc de Bruxelles. Très jeune, Danny Venlet ressentait déjà un impérieux besoin de modifier l’espace dans lequel il évoluait. » Je n’étais jamais satisfait de l’agencement de ma chambre d’enfant. Les meubles qui s’y trouvaient ne correspondaient pas vraiment à mes attentes et j’éprouvais toujours le besoin de trouver des solutions pour en tirer meilleur parti et améliorer leur fonctionnalité « , souligne-t-il. Son diplôme en poche, le jeune homme revient aux antipodes pour y exercer ses talents de designer. » Si je suis retourné là-bas pour faire mes premières armes, c’est parce que les Australiens sont généralement très ouverts à la nouveauté, à l’audace et à l’originalité. Même si ce qui se crée chez eux ne brille pas toujours par son avant-gardisme. En tant que designer, j’ai pu penser de façon très libre et ouvrir mon esprit à la fantaisie « , poursuit Danny Venlet.
Le jeune designer possède la faculté d’innover tout en respectant à la lettre le cahier des charges de ses clients. Ce qui lui permet de décrocher rapidement ses premiers contrats importants. » En matière d’aménagement d’intérieur, certains clients ont des idées préconçues dont ils ne veulent absolument pas démordre. Voilà pourquoi j’essaie toujours de comprendre ce besoin et, dans la mesure du possible, de l’intégrer dans le projet « , précise Danny Venlet.
En 1990, il a l’occasion de mettre en scène le bar du Burdekin Hotel, un célèbre bâtiment Art déco à Darlinghurst, le quartier artistique de Sydney. Le projet s’annonce séduisant mais pas simple. Comment, en effet, revaloriser ce vaste espace de forme triangulaire? La majorité des projets proposés par d’autres architectes tendent à masquer les angles pour créer un carré central aux dimensions plutôt réduites. Danny Venlet, lui, privilégie un espace très ouvert, accordant ainsi une place importante à la lumière. » De nombreuses colonnes parcouraient la pièce. J’en ai laissé subsister trois autour desquelles j’ai implanté le bar. C’est à partir de là que sont nées les formes définitives de l’espace. Toute la mise en scène repose donc sur l’architecture originale de la pièce. Je ne voulais pas d’un bar placé devant un mur parce que je trouvais intéressant que les consommateurs puissent se faire face. C’est dommage de se rendre dans un lieu public de ce genre pour se retrouver le nez contre le mur, ne trouvez-vous pas? » renchérit Danny Venlet. Quant au mobilier, c’est la magie du lieu qui inspire le designer belge. Le tabouret aux allures de montgolfière et les petites tables rondes à plateau métallique coloré deviennent rapidement l’emblème du Burdekin. En 1994, Danny Venlet se voit confier l’aménagement du Q-Bar à Sydney. Pour ce projet, il créera un siège bas dont les rondeurs évoquent une citrouille. Baptisé Q-Stool, lui aussi, il véhicule l’image de marque de l’endroit.
Malgré le succès retentissant que lui réserve le public australien, Danny Venlet commence à se sentir coupé du reste du monde et décide de revenir en Belgique. En 1999, lors de l’exposition » Minimal » qui se déroule à Knokke-Heist, il présente Cake, une table et quatre chaises qui tiennent plus de la sculpture abstraite que du meuble. » J’ai développé ce concept pour mon usage personnel. La table et les quatre chaises devaient occuper le moins de place possible, tant physiquement que visuellement. Plutôt que d’envisager des éléments indépendants, j’ai pensé qu’il serait intéressant que l’ensemble n’occupe qu’un seul volume. Lorsque les chaises sont placées sous la table, elles évoquent des quartiers de tarte, ce qui m’a inspiré le nom Cake « , signale-t-il.
Tout récemment, Danny s’est attaché à l’aménagement du centre de relaxation Manchi, situé au coeur de la ville d’Anvers. Un projet qui ne s’inscrit pas du tout dans l’axe de ses créations antérieures. » Ce qui me plaît dans l’architecture et le design, c’est précisément la diversité. Je ne veux en aucun cas me cantonner à un type d’intérieur spécifique. La créativité n’a pas de pire ennemi que la routine « , explique Danny Venlet. Comme cet espace est entièrement dédié à une clientèle masculine, le designer a recréé un univers viril, assez brut. Le hall d’accueil, qui fait la part belle aux couleurs vives, est un véritable hymne à la bonne humeur. Dans les cabines de massage en bois sombre, les accessoires sont fixés au mur à l’aide de Velcro. On se croirait dans l’atelier d’un bricoleur qui dispose ses outils à portée de main. Mais, pour qu’un massage produise ses effets bénéfiques, il faut atteindre un état de décontraction suffisant. Or les fauteuils et tables de massage classiques évoquent plutôt les chaises de dentiste. Cette connotation médicale ne constitue pas vraiment une invitation à la détente. Danny Venlet a donc pensé le siège Manchi. » En étudiant le comportement des hommes, j’ai remarqué que, souvent, pour se mettre à l’aise, ils se campent à califourchon sur une chaise pour reposer leurs bras sur le dossier. Cette attitude typiquement masculine permet d’accroître le confort d’assise. C’est pourquoi j’ai doté ma chaise d’une tablette qui permet de s’appuyer et de se détendre tout naturellement « , commente Danny Venlet.
Les meubles de Danny Venlet ne bénéficient pas encore d’une grande visibilité. En effet, si la majorité des designers belges assurent eux-mêmes la production de leurs créations, lui n’a pas la moindre envie de s’engager dans cette voie. » Je ne veux pas devenir mon propre producteur. Lorsque l’on assure la production de ses meubles, on devient un véritable commerçant. Or je m’intéresse exclusivement à l’aspect créatif. De plus, quand on s’engage dans la voie commerciale, il faut plaire. Et plaire à tout prix tue la créativité. Je préfère investir dans la création d’un meuble plutôt que dans le matériel de production « , confie-t-il. Actuellement, Danny Venlet planche sur l’aménagement des bureaux d’un géant allemand de l’informatique et de l’électroménager implanté en Belgique. Parions que cet ambitieux projet donnera naissance à un nouveau meuble emblématique.
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Serge Lvoff
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