J’ai toujours eu des rêves accessibles «
Epatante révélation de » 8 femmes « , Ludivine Sagnier n’a pas eu peur de se frotter aux plus grandes stars féminines du cinéma français. Elle n’a pas craint non plus de varier son jeu. Faites donc connaissance avec ce sympathique petit caméléon.
Darrieux, Deneuve, Béart, Huppert, Ardant, Ledoyen: la distribution réunie par François Ozon dans le superbe » 8 femmes » rassemble plus de stars (toutes générations confondues) qu’aucun autre film français. Au milieu de ces vedettes confirmées, embarquées par le cinéaste de » Sous le sable » dans un suspense criminel pimenté d’humour dévastateur et de chansons, une toute jeune comédienne se révèle d’épatante façon. Ludivine Sagnier incarne une adolescente curieuse et virevoltante, cadette d’une maisonnée où un meurtre vient d’être commis, et où les masques vont tomber un à un tandis qu’on s’interroge sur l’identité de la coupable. Déjà remarquable dans un film précédent d’Ozon, le sulfureux » Gouttes d’eau sur pierres brûlantes « , elle s’était signalée aussi dans » Un jeu d’enfants » et tout récemment dans » Ma femme est une actrice « , après de premières apparitions dans » Les Enfants du siècle » et » Les Maris, les femmes, les amants « . François Ozon la voit devenir une star à l’égal de ses partenaires de » 8 femmes « . La tête bien sur les épaules, Ludivine a le charisme et le talent pour lui donner raison. A Paris où nous l’avons rencontrée, la jeune femme était restée fidèle au » look » garçon manqué, cheveux courts et aucun maquillage, du personnage de Catherine. Une parenthèse ludique pour une actrice dont » Gouttes d’eau sur pierres brûlantes » a montré qu’elle pouvait aussi bien incarner une féminité sensuelle…
Weekend Le Vif/L’Express: Il y a dans » 8 femmes » une image superbe et très émouvante qui vous unit tendrement à Danielle Darrieux. La plus âgée et la plus jeune interprète du film côte à côte, comme l’incarnation du passage de relais, de la transmission entre générations. Comment avez-vous ressenti ce moment particulier?
Ludivine Sagnier: J’étais très émue. Parce que Danielle Darrieux chantait » Il n’y a pas d’amour heureux « , le poème d’Aragon mis en musique par Brassens. Ce texte, j’ai l’impression de le connaître depuis toujours, parce que mon père me l’a chanté dès mon enfance, et qu’il résonne en moi de manière bouleversante. On pourrait croire que dire qu’il n’y a pas d’amour heureux est signe de désespoir. Moi j’y vois, à travers le constat de l’universalité du malheur, une note solidaire, donc en partie optimiste. Très humaine, en tout cas. Par ailleurs, dans la scène avec Darrieux, il y avait cette idée de transmission qui est très importante à mes yeux. C’était un honneur pour moi de faire cette scène, j’étais très très émue de recevoir ce cadeau-là de Danielle qui me regardait comme elle le fait. Je ne peux pas revoir cette image sans pleurer…
Cette idée de transmission, vous avez pu la mesurer en vrai, au milieu de toutes ces actrices célèbres, alors que vous êtes au début seulement de votre trajectoire.
Toutes ces actrices ont bercé mon enfance. Leurs films m’ont toujours accompagnée. Comment aurais-je pu rêver d’un jour me retrouver ainsi au beau milieu de ces femmes extraordinaires? Cela dépassait l’imagination. Sur le plateau, j’étais choyé par elles comme la petite dernière d’une grande famille. Je planais sur un nuage de sérénité, comme caressée par une vague de sagesse et de douceur qui montait vers moi et m’enveloppait tendrement.
L’idée de la filiation artistique vous est-elle importante?
Oui. Je suis tout au début de ma vie d’actrice. Je me sens un peu comme une plante qui se mettrait à pousser d’autant mieux qu’elle connaît les racines qui la nourrissent. Pour donner, il faut avoir pris, d’abord. Pour être aimée, il faut avoir aimé soi-même ce qui s’est fait avant. J’ai un attachement très fort aux racines, je vois aussi des ramifications qui se font, au fil des rencontres, avec une certaine cohérence, dans un esprit familial. Je dois être touchée humainement par les gens pour avoir l’envie de travailler avec eux.
Féminine et sensuelle dans » Gouttes d’eau sur pierres brûlantes « , vous êtes tout aussi crédible en ado garçon manqué de » 8 femmes « .
François Ozon a longtemps hésité à me donner le rôle de Catherine parce qu’il avait justement peur que je sois trop féminine pour le jouer. Il disait » Tu fais petite pépée! « , et m’expliquait qu’il voulait que le personnage soit quelque peu androgyne. Je l’ai persuadé en adoptant une gestuelle un peu plus masculine, une attitude moins accomplie, moins définie, de vierge certes attirée par le plaisir mais vierge! En fait, j’ai bien compris qu’il se représentait lui-même dans ce personnage, alors j’ai carrément imité François Ozon ( rire)!
Dans le film, Emmanuelle Béart porte sur elle une photo de Romy Schneider. Si vous deviez avoir sur vous la photo d’une aînée admirée, qui serait-ce?
Ce serait Liv Ullmann. C’est l’actrice qui me fascine le plus. Je ne sais pas expliquer pourquoi, mais je me sens proche d’elle, intimement. Sans avoir l’impression de travailler comme elle, sans non plus jamais l’avoir rencontrée.
Etes-vous espiègle comme Catherine dans » 8 femmes « ?
C’est je crois le seul vrai point commun que j’ai avec elle. J’aime l’humour critique, presque un peu cruel.
Vous vient-il des idées subversives?
Oh oui! J’aperçois très vite, devant une situation, ce qui pourrait la retourner cul par-dessus tête. Je suis sensible au ridicule des choses. A l’idée de troubler l’ordre, aussi, de manière ludique. J’ai eu une période très religieuse, dont je suis nettement sortie, et je me souviens des pulsions de révolte qui me saisissaient. A la messe me venaient souvent des idées carrément inavouables. Je ne vous les détaillerai d’ailleurs pas ( rire). Ces pensées scandaleuses me donnaient des fous rires difficilement contrôlables, en plein office religieux. C’était marrant. C’était aussi le signe que ma place n’était pas vraiment là…
Dans le film, vous chantez du Sheila!
Oui, je chante » Papa t’es plus dans l’coup « , l’air de la jeune fille en fleur, dans le vent, bien dans la dynamique de son époque. Elle chante son besoin d’émancipation, elle décline les » faut pas » ( » faut pas fumer, faut pas porter des pantalons « ) pour les défier. Ce sont les années 1960, la libération sexuelle est toute proche. La chanson traduit en termes simples et populaires une certaine modernité, une révolte de la jeunesse. Et puis, il y a l’aspect oedipien. Je sais que moi, quand je chantais la chanson, je m’adressais à François Ozon. J’aime bien le taquiner, le traiter de grand ringard ( rire)!
Quelles chansons y aurait-il sur le soundtrack de votre vie?
Mon père est musicien, il me chantait beaucoup Brassens, mais j’ai aussi été élevée aux Brel et Ferré. J’ai aussi des références qui datent de bien avant moi, des airs de Ray Ventura, » Tout va très bien Madame la Marquise « . J’aime aussi beaucoup certaines chansons de révolte, même des chansons guerrières. Tout en adorant » Redemption Song » de ce grand pacifique de Bob Marley. Comme je suis jeune, je suis aussi attirée par la culture hip-hop. La musique est très présente dans ma vie.
Votre famille vous a-t-elle menée à ce chemin d’actrice?
Sans aucun doute. C’est en famille que nous allions au cinéma, au théâtre. Nos parents nous ont toujours nourris culturellement. Une réunion de famille comportait très souvent, après le repas, la vision d’un film, par exemple de Capra. On regardait ensemble, on riait ensemble, on pleurait ensemble. Ma mère avait fait du théâtre et adoré ça. Ma grande soeur a commencé le théâtre très tôt. Elle voulait que je l’accompagne à ses cours. C’est ainsi que j’ai commencé à 6 ans, en lui donnant la réplique. A 8 ans, je jouais Toinette dans » Le Malade imaginaire « ! J’ai eu tout de suite le plaisir du texte. Toujours à 8 ans, on est venu me chercher à ce cours pour tourner un film, et là aussi ce fut un plaisir indicible. Un plaisir pur, car je n’avais ni le sens du travail ni celui de la mission. J’étais assez naïve et c’était un jeu. Je faisais des câlins à tout le monde, j’observais les adultes, je percevais leurs faiblesses sans cesser de les aimer. Quand adolescente j’ai tourné d’autres films, le même plaisir était au rendez-vous. Sans que j’éprouve aucune ambition spéciale. Je suis sans voix devant ces filles qui disent rêver d’un jour monter les marches au Festival de Cannes ( rire)…
Mais en avez-vous des rêves?
Bien sûr! Mais j’ai toujours eu des rêves très mesurés. Des rêves accessibles. Et comme la chance m’a souri,j’ai toujours reçu plus que ce que j’avais imaginé.
Débuter très jeune fait-il conserver un certain esprit d’enfance?
Oui! J’ai bien sûr acquis le sens du travail, de la rigueur, de l’effet à produire, de la performance à construire. Mais je me sens au fond pareille qu’il y a douze ans, avec le même enthousiasme, et la même légèreté.
Avez-vous le sentiment d’appartenir à votre génération?
Oui, sans ressentir de devoir particulier, de responsabilité d’être en quoi que ce soit représentative de cette génération.
Beaucoup de clichés négatifs la désignent (injustement sans doute) comme désengagée, ne s’intéressant à rien…
Sommes-nous moins révoltés? Nous avons grandi sans trop de souffrance. J’ai été élevée par des soixante-huitards, cela pousse moins à la révolte, sans doute. Sommes-nous par ailleurs moins méritants, moins travailleurs? Je ne sais pas. Moi, en tout cas, j’ai toujours vu autour de moi des adultes travailler dans le plaisir. C’est donc facile pour moi de donner à mon tour. Le deuxième siècle du cinéma s’ouvre à nous et il faut y aller! Sans céder au confort et aux illusions qu’amènent les privilèges, l’image publique. Quand je regarde » Star Academy » je me dis » Les pauvres! » Parce qu’eux, ils vivent en plein dedans, ils n’ont que l’illusion…
Propos recueillis par Louis Danvers
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