Ouvrez grands les yeux… sur l’architecture contemporaine. Au fil d’une balade inspirée au domaine provincial de Chevetogne, découvrez jardins et folies du XXIe siècle rivalisant d’audace et de créativité.

Carnet d’adresses en page 79.

F éru de théâtre et frère des deux cinéastes Lucas et Rémy ( » C’est arrivé près de chez vous « ), Bruno Belvaux était le numéro deux de la Maison de la Culture de Namur lorsque la gestion du domaine provincial de Chevetogne lui est confiée. Une merveilleuse aubaine pour celui qui fait volontiers sienne une phrase de l’essayiste Jean-François Kahn :  » les parcs sont les maisons de la culture du xxie siècle.  »

Avec ses 550 hectares, Chevetogne s’offre comme un livre entier à écrire. La diversité y est en effet immense. Au fil du sentier de découverte de la Forêt, vous croisez pas moins de 17 biotopes différents, entre prairie et forêt « , souligne l’architecte du paysage Benoît Fondu. Expert discret s’il en est, son nom revient pourtant dans plusieurs imposants projets de rénovation, comme celui du château de Seneffe. A Bruxelles, on lui doit le réaménagement du jardin d’Erasme et son rapport sur la refonte totale du Parc du Cinquantenaire sera bientôt terminé. En France, il s’est vu confier la restauration du parc château de Méréville. Conçu à la fin du xviiie siècle, ce dernier est considéré comme un des plus beaux jardins d’Europe.

Benoît Fondu aime les projets qui font coexister l’homme et le jardin public. Avec son demi-million de visiteurs par an, Chevetogne constitue, à nouveau, un thème d’études rêvé.  » Nous avons d’abord travaillé sur un plan d’ensemble, à long terme, explique l’architecte du paysage. J’ai demandé un premier mandat de cinq ans, qui nous permette d’établir des bases solides. La circulation, par exemple nous a beaucoup occupés. Nous avons fait en sorte que des cavaliers, des vélos ou une famille avec un landau puissent se promener sans se gêner.

Mais la création la plus éclatante est certes la nouvelle esplanade. Autrefois, il avait là un vaste parking en graviers, bordé d’un Hamburger City… le tout donnant accès à la piscine. Avec le karting, ce fut un des premiers chancres à disparaître.  » Nous avions trois activités essentielles à loger, précise Bruno Belvaux. L’accueil, le restaurant et l’administration. Avec le temps, est venu s’ajouter un projet de musée qui ouvrira ses portes au printemps 2006.  »

On doit à Bernard Chambon, Christophe Joassin et Olivier Simon – associés au sein du bureau namurois Architectures – la grande passerelle rouge qui strie l’horizon. Elle relie le site aux nouveaux parkings situés au moins 15 mètres plus haut.  » Benoît Fondu a eu l’idée de ce trait d’union placé dans les airs, s’enthousiasme Olivier Simon. Nous l’avons dessinée large et confortable pour un usage pédestre. De plus, les rambardes sont volontairement occultées et hautes pour ménager la surprise.  »

Le rouge est une des couleurs qui se marie le mieux avec le vert. Comme le noir d’ailleurs qui habille le restaurant. Dans les esquisses, le pavillon d’accueil devait être en cuivre, dans le but d’obtenir sa patine en vert de gris. Mais, finalement, pour des raisons d’économie, c’est d’un zinc prépatiné – vert de gris – qui a été choisi.

Une architecture pleine de poésie

Avec son allure de colimaçon, le pavillon d’accueil s’impose tout en légèreté. Vu du ciel, ses contours épousent ceux d’une feuille d’arbre. Structure plus massive, le restaurant est revêtu de noir û de la tôle laquée û pour envelopper la partie technique des cuisines. La salle est entièrement vitrée, immergeant les convives dans le jardin. Très imposant, le siège administratif du domaine, lui, repose sur un socle en béton, situé en sous-sol.  » C’est la tour de contrôle « , s’exclament les trois complices d’Architectures. C’est là, en effet, que toutes les activités du domaine sont supervisées.  » Le socle de l’édifice abrite les locaux du futur musée, lequel donnera accès à un jardin japonais, encaissé et entouré de hauts murs lisses en béton à la façon du maître nippon Tadao Ando. Son dessin, basé sur les rapports entre l’ombre et la lumière est dû à Wybe Kuitert un paysagiste hollandais qui fut professeur à l’Université de Kyoto.

 » Ces trois bâtiments sont des folies de jardin des temps modernes « , martèle Benoît Fondu. On peut donc les apparenter aux pavillons chinois ou aux ponts palladiens des parcs d’antan. Simplement, aujourd’hui, elles remplissent aussi une fonction utilitaire. Poursuivant dans la métaphore, l’architecte du paysage voit l’esplanade comme  » une clairière lumineuse dans la forêt « . Il a ainsi tracé sur le sol un immense rond : une haie mélangée composée d’essences indigènes (érable, hêtre, aubépine…).

Au sein du jardin proprement dit, outre la grande passerelle, des petits chemins relient les trois bâtiments. Tous sont aménagés en matériaux locaux, que ce soit du bois, de la dolomie de Merlemont ou du grès d’Arbre. Rien n’a été laissé au hasard. Les murs en pierre sèche, par exemple, complexes à monter, ont été réalisés par l’équipe de  » maçons  » gallois qui travaille habituellement pour le plus célèbre artiste de Land Art, l’Ecossais Andy Galsworthy.

Benoît Fondu, qui considère qu’un projet  » compte 30 % de travail pour dessiner et 70 % pour rêver des plantes que l’on va sélectionner « , a pris le parti de donner une large place aux vivaces et aux graminées.  » Ce choix est encore peu courant dans un lieu public, confie-t-il. Au début du xxe siècle, des Anglais comme William Robinson ou Gertrude Jekyll étaient déjà des adeptes de ces fleurs plantées en masse. Le border de Chevetogne est beau du printemps à l’automne, mais il déploie toutes ses séductions en fin de saison, lorsque les grandes graminées ont pris leurs teintes dorées.  » Avec pour toile de fond les teintes d’automne de la forêt, l’atmosphère est purement magique.

Jean-Pierre Gabriel

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content