(*) Jarno, en hommage au pilote de moto finlandais Jarno Saarinen, qui se tua en 1973 à Monaco.

Carnet d’adresses en page 126.

Pescara, en bord d’Adriatique. Après avoir longé la côte, le minibus s’engage sur des petites routes sinueuses serpentant à flanc de coteau. Dans un tournant en épingle à cheveu, à Francavilla Mare, il s’arrête soudain devant l’entrée discrète de la Villa Maria. Le double battant en bois s’ouvre silencieusement sur un jardin d’oliviers et de lauriers blancs. Au bout de l’allée, une grosse villa de plain-pied et de couleur ocre allonge ses nombreuses pièces dans un jardin à la pelouse soigneusement entretenue. Au-dessus de la porte principale, une broderie naïve aux points de croix trace en bleu layette le nom d’Enzo ; Enzo, le premier fils du pilote de F1 Jarno Trulli. Réunis devant la porte à double battant, Enzo senior et son épouse, la jeune maman et le nouveau-né encadrent le héros du jour. Habillé par la créatrice et amie Laura Biagiotti, il affiche un look décontracté et très souriant. Loin de la concentration des circuits, le pilote tient à nous révéler une autre facette de sa personnalité mais aussi de sa (future) vie : celle d’un businessman viticulteur.

 » Dans ces vignes, affirme d’emblée Jarno, j’y ai mis le fruit de mon travail de dix ans de Formule 1. C’est pour moi un bon investissement car c’est non seulement mettre son argent dans un produit de la terre mais aussi ressusciter une passion familiale.  » Résultat : la société  » Podere Castorani  » – qui comprend trois autres associés – a acheté plus de 30 hectares de vignes s’étageant sur trois collines. Des travaux pour un montant de 5 millions d’euros devraient également permettre la construction de nouvelles caves de 3 000 m2 au pied de l’ancienne villa Casino Castorani, une exploitation agricole datant de 1793 et dominant l’ensemble du chai. Débutée en 2000, la production des vins Podere Castorani a donné cette année-là 18 500 bouteilles pour passer en 2004 à 210 000 bouteilles. Une production suivant en parallèle la renaissance des vins des Abruzzes qui connaît un renouveau économique depuis 1995. Les vins de Podere Castorani se partagent en 70 % de vins rouges et 30 % de blancs. Si 2001 fut une année remarquable, le millésime 2003 (qui sera vendu en 2007) s’annonce tout aussi brillant. Les prix à la bouteille vont de 8 euros pour un Deuxième Cru à 19 euros pour un Premier Cru.

Né à quelques kilomètres de Pescara, Jarno vit actuellement à Saint-Moritz. Son père, retraité, assure le suivi quotidien de l’affaire. Un business que le pilote devrait reprendre à plein temps quand sa carrière en Formule 1 sera terminée. Cette échéance ne devrait plus être très lointaine ; le pilote vient de fêter ses 31 ans (le 13 juillet dernier). Il retrouvera alors son père ; celui-là même qui l’incita à s’essayer au kart alors qu’il n’avait que 8 ans. Timide, introverti (il affirme volontiers que parler aux  » étrangers  » l’angoisse encore après toutes ses années de carrière publique), Jarno Trulli va alors se révéler, avec une maîtrise de la vitesse qui ne va cesser de s’affirmer. A 10 ans, il gagne course sur course. A 15 ans, il est pilote de kart international. Six ans plus tard, à 21 ans à peine, il engrange les victoires en Formule 3 allemande avant de signer un contrat de management avec Benetton. Les écuries Minardi puis Prost, Jordan, Renault et enfin Toyota jalonnent sa vie de pilote de Formule 1. Son arrivée chez Toyota est, affirme-t-il  » la meilleure chose qui lui soit arrivé « . Réservé et sérieux, très performant (il s’entraîne cinq fois par semaine), Jarno est en permanence à la recherche du détail, susceptible de faciliter la tâche de ses mécanos.

C’est pourtant bien loin des circuits que nous avons rencontré le pilote. Tenue relax, il a tenu à nous faire connaître le c£ur de son royaume viticole. A l’ombre d’une tonnelle, après un bon repas arrosé de ses crus, Jarno – qui n’ a bu qu’un verre de vin et beaucoup d’eau – confie ses rêves de pilote et de futur propriétaire de chai…

Weekend Le Vif/L’Express : D’où vous vient cette passion du vin ?

Jarno Trulli : De mon grand-père, qui produisait un tout petit peu de vin, à usage familial. Et puis les Abruzzes, ma région d’origine, ont une solide tradition viticole.

N’est-ce pas trop difficile de faire à la fois fructifier vos affaires et de vous concentrer sur votre métier de pilote ?

C’est en effet de plus en plus dur. Avec l’arrivée du bébé, je passe plus de temps chez moi, mais je réussis à m’organiser. Mon père s’occupe directement du vin et j’ai des collaborateurs qui m’aident beaucoup. Moi, j’en suis disons  » l’ambassadeur  » à l’étranger. Je présente les vins en fonction du calendrier des courses de F1 : hyperpratique ! J’essaie ainsi d’arriver plus tôt sur les circuits pour faire des dégustations. Pour l’instant, les régions où on a travaillé le plus c’est le Canada et les Etats-Unis, la Suisse, l’Italie, et en Europe en général. Il y a aussi des nouveaux marchés qui nous intéressent comme Bahreïn, la Turquie ou la Chine. Des régions plus lointaines et plus importantes. En Asie, le Japon commence à bien marcher. Nous avançons pas à pas car nous sommes quand même une petite entreprise ! Et puis, plus proche de moi, j’ai déjà converti le Team Toyota et quelques autres écuries de F1 qui servent mon vin à leurs invités. Pas mal non ? ( rires).

Pourriez-vous jouer l’£nologue parfait et nous décrire vos vins ?

Mon vin a une robe rubis très sombre. Au nez, on perçoit une note boisée et vanillée qui, sans être envahissante, dégage un parfum de petits fruits rouges. Au goût, il possède une structure tannique affirmée, caractérisée néanmoins par une douceur enveloppante. Il a aussi une amertume très particulière. La cuvée 2001 vieillira très bien et sera parfaite à consommer entre 2006 et 2010… Satisfaite ?

Revenons à votre vie de pilote chez Toyota. Vous semblez vous y sentir à l’aise ?

Venir chez Toyota est sans doute la meilleure chose que j’ai faite ! Je m’entends également très bien avec Ralf Schumacher ( NDLR : le deuxième pilote de l’écurie Toyota). Nous avons le même style de conduite et une même approche quand il s’agit de passer des informations aux mécaniciens. Points forts également : on nous écoute et tout le monde est très impliqué.

Vous avez une réputation de  » gentil garçon « . Comment peut-on survivre dans cet univers assez dur de la F1 ?

C’est assez simple. J’aime la compétition mais pas les conflits. Alors, vous avez le pilote, déterminé en piste, toujours prêt pour les bonnes bagarres sportives et qui respecte ses adversaires. Et puis, il y a l’homme au quotidien, toujours relax et jamais en pétard contre les autres. Je déteste les tensions inutiles et les engueulades. Je sais que certains prennent mon côté conciliant pour de la faiblesse et cela me rend dingue… mais bon il faut faire avec !

Votre passion des voitures remonte-t-elle à longtemps ?

Je devais avoir 2 ou 3 ans. J’avais un petit kart que j’adorais. Aussi loin que je me rappelle, j’ai toujours été dingue de voitures. Mon père était pilote de kart amateur et, avec ma mère, nous allions le voir courir. Je ne faisais pas attention aux résultats mais j’étais fasciné par la mécanique. Je pouvais ainsi rester des heures dans le kart de mon père à tourner le volant… Mes parents adoraient aussi tout ce qui tournait autour des sports mécaniques. Ce n’est pas par hasard si je m’appelle Jarno… (*)

Après vos commentaires d’£nologue, pourriez-vous nous faire partager vos émotions de pilote de F1 ?

Franchement, c’est difficile car à présent cela fait tellement partie de mon être. C’est pour moi quelque chose de totalement naturel. C’est moi, c’est ma vie. La course coule dans mes veines et emplit mon âme…

Est-il vrai que vous avez la phobie des microbes ?

Oui, mais uniquement dans la mesure où je ne veux pas voir ma carrière entravée par des problèmes de santé. La forme physique est un élément de succès en F1. Je suis toujours en quête de performance, dans tous les domaines qui m’appartiennent et je m’astreins à un entraînement physique quasi quotidien. Ça tombe bien : j’adore cela !

Pensez-vous déjà à l’après- Formule 1 ?

Je voudrais encore courir pendant cinq à six ans même si j’ai aujourd’hui 31 ans. Mon rêve serait de rester chez Toyota et de devenir champion du monde avec eux. Je sais que cela peut-prendre du temps. Me laissera- t-on y arriver ?

Le business du vin vous attend pourtant…

Oui, je sais. Après la F1, je compte aussi me consacrer à ma famille. Peut-être avoir une fille et un autre fils et ensuite développer dans la mesure du possible mon business…

A chaque Grand Prix, votre épouse ne tremble-t-elle pas pour vous ?

J’ai une épouse en or. Elle est heureuse si elle sait que je suis heureux !

Propos recueillis par Chantal Piret

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