À l’occasion des fêtes de fin d’année, devant les sollicitations caritatives nombreuses et les interrogations qu’elles suscitent, retour sur le sens du don et des valeurs altruistes dans notre société.

On connaissait la Journée internationale des personnes âgées, celles de la femme, de la paix… Il faudra désormais ajouter celle de la gentillesse à notre calendrier des bonnes causes. Le 13 novembre dernier, donc, a eu lieu en Belgique – lancée par le mensuel français Psychologies en partenariat avec le quotidien bruxellois Le Soir – la première édition de cette manifestation mondiale, née au Japon dans les années 60. Le Belge considéré comme le plus gentil, selon un sondage organisé sur lesoir.be ? Salvatore Adamo.

Cette opération témoigne d’une volonté de redonner du sens aux valeurs altruistes. La gentillesse bien sûr, mais aussi la générosité. Et d’une manière plus générale l’empathie, cette capacité à se mettre à la place d’autrui et à ressentir ce qu’il éprouve, sujet du nouveau livre du psychanalyste Serge Tisseron. En cette période de Noël, où le fait de se retrouver et d’échanger des cadeaux en famille nous fait réfléchir sur le sens du partage, l’heure est venue de se demander pourquoi.

 » La générosité est un dévouement aux intérêts des autres, qui porte à leur sacrifier ses avantages personnels « , écrivait Voltaire dans son Dictionnaire philosophique. Mais qu’est-ce qui nous pousse à donner ?  » Il y a des déclencheurs comme les fêtes de fin d’année, qui sont traditionnellement des moments de générosité pendant lesquels on va penser à ceux qui ont froid ou qui sont seuls. Les catastrophes naturelles aussi peuvent générer des dons record, comme dans les cas du tsunami en Indonésie ou du tremblement de terre en Haïti « , analyse Chris Olivier, directrice associée du CerPhi (Centre d’étude et de recherche sur la philanthropie). On donne aussi parce qu’on a subi un drame, traversé une maladie, parce qu’on se sent privilégié ou tout simplement par besoin. Car certains sont naturellement enclins à aller vers les autres. Le psychologue Paul Diel a d’ailleurs montré que cette aptitude est liée à la confiance en soi et à la qualité de l’amour que nous avons reçu de nos parents dans la petite enfance.

 » Ne prendre soin que de moi-même me semble stérile. J’avoue que je n’y arrive pas, confie Jacqueline, 62 ans et vingt ans d’écoute auprès de malades mentaux. En revanche, m’occuper des autres me donne le sentiment d’exister. Et puis cela m’a permis de rencontrer des gens de milieux très différents, de nouer des amitiés, de suivre une formation… Finalement, ça m’est bénéfique !  » La générosité ne serait pas totalement désintéressée ? Il est vrai que la philosophie chrétienne aura imposé au don des impératifs de pureté et de gratuité, jetant par là même un certain doute sur ses véritables mobiles. Une suspicion relayée par les tenants de l’utilitarisme au XVIIIe siècle, qui postulent une nature humaine uniquement préoccupée à satisfaire son intérêt égoïste. Une vision que va réfuter Marcel Mauss, en 1924, avec son célèbre Essai sur le don. En montrant que le système d’échange dans les sociétés archaïques est fondé sur la triple règle de donner-recevoir-rendre, le sociologue cherche à prouver que, par son caractère réciproque et obligatoire, le don n’est pas un acte isolé, mais génère une vraie solidarité entre les hommes.

Une solidarité qui devient de plus en plus active en Belgique. Le Vif Weekend et Knack Weekend, eux, soutiennent l’action éducative menée par Plan Belgique dans la région de Cuzco, au Pérou. Et grâce à la générosité de nos lecteurs, des convives qui ont pris part à notre dîner caritatif – Le Gala des Mille Saveurs/Gala van de Gouden Garde, organisé à Anvers, en novembre dernier – et des grands chefs qui ont tout mis en £uvre pour les régaler, pas moins de 22 000 euros ont été rassemblés pour offrir l’école maternelle aux enfants de Huillque, à 3 600 mètres d’altitude.

UNE BULLE DE GRATUITÉ

Ces dernières décennies, la générosité publique n’a cessé de se développer, même si, au World Giving Index, le hit-parade des pays les plus généreux, la Belgique n’est que 50e et fait encore pâle figure, en Europe, à côté de la Grande-Bretagne (8e) ou de la Suisse (5e). Une mauvaise place heureusement compensée par le nombre de ses bénévoles, estimé à 1,5 million. L’explication ? Le fait de se reposer sur l’État providence, chargé de redistribuer les richesses, via l’impôt, mais aussi les restes d’une conception chrétienne de la charité, qui considère que l’important c’est le geste, pas le montant du don.

Mais aujourd’hui les choses bougent.  » La société civile cherche à pallier le désengagement de l’État, pointe Chris Olivier. Contrairement aux baby-boomers, qui considèrent le don comme un devoir, les nouvelles générations le vivent comme un choix, un engagement qui implique des résultats, de la transparence « , poursuit-elle. Et permet à tous de participer, selon son budget… Les moins nantis étant, en Belgique, en fin de compte, les plus généreux ! En octobre dernier, dans une publication de l’Institut pour un développement durable, l’économiste Philippe Defeyt détaillait Les indicateurs de la générosité des Belges. Et il relevait, entre autres,  » que la proportion des ménages donateurs augmente avec le revenu mais que la générosité relative diminue, à savoir que les dons faits par les ménages aisés représentent une proportion moindre du revenu disponible. Les statistiques fiscales permettent de connaître le comportement des très riches. Par exemple, la moitié des 4 500 contribuables qui ont un revenu disponible supérieur à 250 000 euros ne déclarent aucun don. Ceux qui donnent consacrent en moyenne 0,6 % de leur revenu disponible à des libéralités. Les plus riches donateurs donnent en moyenne une proportion moindre de leur revenu que des ménages qui ont un revenu 10 fois moindre !  »

À l’heure où la crise fragilise les plus démunis, on pointera qu’en 2010 la situation économique aura aussi montré les limites d’un système qui a fait passer la compétition et le profit avant l’entraide et la solidarité. Expression de notre  » nature splendide « , comme le disait Marcel Mauss, dernière bulle de gratuité dans un monde marchand, le don est doublement riche. En resserrant les liens entre les êtres, il renforce l’estime que nous avons de nous-mêmes et nous offre la chance d’en être transformés.

PAR CHARLOTTE BRUNEL

En resserrant les liens entre les êtres, le don renforce aussi l’estime de soi.

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