Comment titrer ? La question est récurrente. Au moment crucial d’achever un livre, un long-métrage, une chanson, un article ou une simple chronique, ce dernier effort est souvent le plus dur. Parfois, au contraire, il s’impose avant même l’écriture.

Dans le cas de la biographie de Bob Dylan mise en scène par Todd Haynes, je me demande si la célèbre formule de Rimbaud  » Je est un autre « , traduite en anglais par  » I’m not there  » (titre du film) n’a pas tout simplement servi de déclencheur.

 » Je est un autre « , dit le poète.  » I’m not there « , titre le cinéaste.  » Je ne suis pas là « , peut-on traduire à nouveau au sens littéral en passant de l’anglais au français. Juste retour des choses. Les interprétations ne manquent pas à l’énoncé de Rimbaud. Se sentir multiple, devenir personne, être à côté de soi-même, ne pas y être, Haynes connaît bien cet état psychique.

Lorsqu’il s’est lancé dans sa singulière aventure cinématographique, il était en pleine dépression. Isolé loin de New York durant plusieurs semaines, il était incapable de faire autre chose que d’écouter les chansons de Dylan, en boucle. L’idée du film est née à ce moment-là.

Puisque  » Je est un autre « , puisque Dylan n’a cessé de changer de visage et de style – folk, rock, country, blues, jazz – au cours de sa vie et de sa carrière, pourquoi ne pas jouer le jeu jusqu’au bout : confier le rôle du chanteur à six comédiens différents dont une femme et un petit garçon noir.

Poète, prophète, chanteur engagé, évangéliste, mari pourri ou hors-la-loi, Dylan est tout cela à la fois. Il est cette tignasse bouclée, ces lunettes noires, ces pantalons cigarettes et cette silhouette filiforme d’une icône ravagée par le succès et les amphétamines interprété par l’actrice australienne Cate Blanchett. Il est Richard Gere ( photo) déguisé en cow-boy dans un décor fellinien. Il est également, cet enfant black, solitaire et surdoué.

Ce qui est vrai pour Dylan ne l’est-il pas pour chacun d’entre nous ? Ne sommes nous pas tous obligés de biaiser avec la réalité, d’avancer masqué, de nous métamorphoser pour continuer à exister ?

(*) Chaque semaine, la journaliste et écrivain Isabelle Spaak (Prix Rossel 2004 pour son roman d’inspiration autobiographique Ça ne se fait pas, Editions des Equateurs) nous gratifie de ses coups de c£ur et coups de griffe.

Isabelle Spaak

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