» Comme un enfant dans un magasin de bonbons « . Heston Blumenthal, le chef superstar de The Fat Duck, à l’ouest de Londres, vous invite à partager, au fil d’un repas, une expérience multisensorielle, mêlant saveurs, parfums, textures, sonorités, images… En exclusivité, Weekend vous dévoile ce nouveau concept gastronomique hypercréatif.

Projetez-vous au printemps prochain… et glissez-vous un instant dans la peau d’un convive du restaurant d’Heston Blumenthal, The Fat Duck, à Bray-on-Thames, dans le Berkshire, à l’ouest de Londres. Comme il s’agit de l’un des 3-étoiles les plus médiatisés de la planète, il y a de fortes chances que vous profiterez de l’occasion pour y fêter un grand événement. Une fois votre réservation confirmée, vous disposez alors d’un mot de passe qu’il s’agit d’encoder à l’endroit adéquat sur le site Internet de cet établissement d’exception (*).

C’est alors que s’ouvre à vous un Sweet Shop virtuel, agencé comme un magasin de bonbons à l’ancienne, rempli de gourmandises contenues dans de grands bocaux en verre. L’animation qui se déroule sous vos yeux fait référence à l’univers enchanteur de Roald Dahl (1916-1990), le célèbre auteur-illustrateur britannique de  » Charlie et la Chocolaterie « . La réalité dépassera toutefois bientôt la fiction… Encore quelques mois de patience, le temps que Blumenthal finalise son ambitieux projet. Alors qu’il pourrait paraître comme un gadget de plus dans les aventures expérimentales de la cuisine contemporaine, le Sweet Shop représente, en effet, une synthèse de recherches pointues portant sur la psychologie de la perception, le rôle de la mémoire dans le goût ou l’interaction entre nos cinq sens. Il permet aussi de valoriser les techniques sophistiquées explorées par le chef de The Fat Duck, au même titre que les surdoués Ferran Adrià (Barcelone), Willie Dufresne (New York), Thierry Marx (Bordeaux)…

 » L’idée de base, explique Blumenthal, est de prolonger, en amont comme en aval, l’expérience que vous pouvez vivre une fois poussée la porte de notre restaurant. Nos réservations sont, en moyenne, effectuées six semaines à l’avance. Beaucoup viennent chez nous pour y célébrer un événement et ils s’en réjouissent. Nous leur offrirons donc une possibilité d’anticiper la fête, de construire une histoire à partir des  » ingrédients  » que nous leur fournirons.  »

Le Sweet Shop repose sur trois concepts clés : le contexte, les contrastes et la  » synesthésie « , qui concourent, chacun à leur manière, à construire ce que l’on attend d’un cuisinier triplement étoilé : un moment mémorable.

Sweet memories

 » J’avais 15 ans, se souvient Blumenthal. Lors de nos premières vacances en France, nos parents nous avaient emmenés, ma s£ur et moi, vers le sud. Aux Baux-de-Provence, nous avons pénétré, curieux, dans la cour de L’Oustau de Baumanière. Ce midi-là, nous nous sommes attablés en terrasse, sans même connaître l’existence des 3 étoiles Michelin. Il y avait le cadre superbe, le crissement du gravier sous le pas des serveurs, le tablier en cuir du sommelier, la carte des vins… L’odeur de la lavande en fleurs se mêlait au parfum de l’agneau… Voilà, en résumé, le contexte qui a suscité mes premières émotions culinaires.  »

Qu’en est-il dès lors des contrastes ?  » Il en existe à plusieurs niveaux, commente Blumenthal. Les premiers auxquels on songe sont ceux des goûts : sucré, salé, acide, amer. La salade tiède de Michel Guérard ( NDLR : le père de la nouvelle cuisine made in France) crée un contraste entre chaud et froid dans l’assiette, comme le font les textures, les couleurs… Nous en organisons aussi, quant à nous, une succession au sein même d’un menu. Cela afin de tenir les sens en éveil. Nous pouvons ainsi alterner recettes  » modernes  » et  » classiques « . Plus une préparation sera moderne – entendons technique – plus elle renforcera le côté classique d’une autre.  »

Reste la  » synesthésie « , une science du comportement encore méconnue. Littéralement, le mot est formé de deux composants issus du grec ancien :  » syn  » pour union et esthésie (aisthesis), la sensation. La synesthésie associe donc deux ou plusieurs sensations, que l’on peut attribuer à diverses parties du cerveau. Le fait d’associer des chiffres à des couleurs bien précises est un exemple de synesthésie. On rapporte que le compositeur Franz Liszt, alors Kappellmeister à Weimar, s’est ainsi adressé à l’orchestre :  » Messieurs, là je voudrais un peu plus de bleu !  »

Blumenthal, lui, a appliqué la synesthésie à la gastronomie.  » C’est le fruit d’un travail pluridisciplinaire, souligne-t-il, principalement issu de recherches en psychologie de la perception soutenues par l’université d’Oxford. Nous avons réalisé quelques dégustations expérimentales avec un groupe d’une quarantaine de personnes. Prenez une huître, détaillez-là en deux… Si l’on diffuse dans la salle le bruit de la mer, la première bouchée vous semblera plus salée que la seconde, si pour celle-ci l’on vous fait entendre… les cris des animaux de la ferme. La glace  » eggs and bacon « , un des classiques du Fat Duck, apparaîtra plus  » bacon  » si l’on diffuse le son produit par le grésillement dans la poêle et plus  » £uf  » si l’on entend le gloussement de la poule.  » Pour The Fat Duck, la firme Sony va concevoir un haut-parleur directionnel qui sera placé en face de chaque convive. Le son diffusé correspondra au plat dégusté.

Une expérience culinaire inédite

La synesthésie doit cependant être envisagée dans un contexte plus large. Dans le langage, on l’associe souvent à la métaphore, ce raccourci de l’esprit dont elle est proche. Le Sweet Shop en est une. Un magasin de bonbons évoque les bons moments de l’enfance, associés à des récompenses attribuées par les parents.  » Nous nous construisons à coups de récompenses et de réprimandes, s’enthousiasme Blumenthal. Le bonbon est une récompense et c’est ce moment positif que je souhaite éveiller dans la mémoire de celui qui entrera virtuellement dans notre Sweet Shop. Je me suis rendu dans quelques boutiques traditionnelles, dans la campagne environnante de The Fat Duck. Vous poussez la porte… et vos narines sont flattées par des séquences d’odeurs. Elles sont confirmées lorsqu’on ouvre les bocaux de bonbons. Ici c’est la réglisse, là, la vanille ou le caramel, ailleurs, les agrumes et leurs notes citriques.  »

Restait à  » transcrire  » tout cela dans le cadre d’un repas. Le jour venu, la table tout entière vivra une expérience culinaire inédite, en dégustant, au fil du menu, des plats déjà considérés comme de grands classiques maison, comme ce gaspacho de chou rouge et sa glace à la moutarde ou encore la glace au thé vert, réalisée à la minute grâce à de l’azote liquide. Sans oublier, dès qu’il sera fin prêt, le concours du fameux haut-parleur.

Un cadeau plein de charme

Après le règlement de l’addition, chaque convive recevra (en récompense !) un sachet en papier ligné rose et bleu, sur lequel, en lettres d’argent, sont imprimés les mentions Sweet Shop, The Fat Duck, Heston Blumenthal, ainsi que les logos de Relais & Châteaux et Traditions & Qualité, deux réseaux auxquels adhère le 3-étoiles. Par son contenu, ce petit cadeau renvoie à la fois au magasin de bonbons de l’animation Internet et, pourquoi pas ?, à certaines  » sensations  » du repas. On pourra ensuite se laisser aller à la gourmandise en savourant ces galettes soufflées de chocolat à l’orange ou ce délice baptisé  » Eat all of me  » (tout est comestible même le cellophane de l’emballage, réalisé à partir d’eau, de gélatine et du methylcellulose). On pourra aussi ouvrir cette pseudo-blague à tabac qui contient des  » coconut bacy « .  » En Angleterre, ces minces lanières de noix de coco parfumées au tabac sont des friandises très populaires, s’amuse Blumenthal. Nous avons décidé d’accentuer la  » suggestion  » en les présentant dans un emballage en forme de blague.  »

Et ce n’est pas tout ! Le sachet-cadeau recèle encore deux surprises… La Fat Duck Fountain est une sorte de bourse qui contient du sucre fin dans lequel est plongé un bâton de vanille. En actionnant ce bâton tel un piston, on accrédite l’idée – fausse – que la vanille est sucrée, produisant dans le même temps un sucre vanillé… Et puis il y a ce tout petit spray mécanique sur lequel est imprimé  » Like a kid in a sweet shop « . Actionnez-le et c’est parti ! De minuscules gouttelettes visibles à l’£il nu se dispersent dans l’atmosphère. C’est ainsi que seconde après seconde vos narines sont caressées par des fragrances de réglisse, de citron, de vanille, de caramel… Du bonheur, rien que du bonheur !

(*) Internet : www.thefatduck.co.uk.

Reportage : Jean-Pierre Gabriel

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