élégantes et épurées, les ouvres du designer français Jean-Marie Massaud sont avant tout porteuses de sens. En plaçant l’individu au centre de sa démarche créative, il insuffle une dimension très humaine au design. Rencontre.

J ean-Marie Massaud n’a pas encore 40 ans et, pourtant, il a déjà travaillé pour les marques les plus prestigieuses du monde du design et de la beauté : Cappellini, Ligne Roset, Liv’It, Cacharel, Lexon, Lanvin, Lancôme et, tout récemment, Cassina… Son style inimitable privilégiant l’essentiel fait mouche par sa justesse et sa légitimité. Son parti pris ? Le mieux-être physique et psychologique. En quête perpétuelle d’expériences nouvelles, ce génial touche-à-tout n’hésite pas à bousculer les codes pour mieux séduire. Ainsi, quand il se voit confier la mission de créer un nouveau concept pour la chaîne de parfumerie Sephora à Paris, il crée une boutique entièrement blanche à la déco minimaliste, en total contraste avec le noir, la couleur réservée habituellement à l’univers du luxe. Jamais en panne d’idées originales et novatrices, Jean-Marie Massaud déborde de projets plus intéressants les uns que les autres. Weekend Le Vif/L’Express vous invite à découvrir son univers créatif.

Weekend Le Vif/L’Express : Vous venez de présenter un nouveau projet de mobilier pour Cassina à l’occasion du salon Maison&Objet à Paris. En quoi consiste-t-il ?

Jean-Marie Massaud : Initialement, je ne souhaitais pas vraiment dessiner du mobilier. J’ai plutôt imaginé un univers de vie élégant, confortable, spacieux et luxueux. L’élégance, je l’ai voulue fluidité. Le confort, je l’ai voulu légèreté. L’espace, un paysage. Le luxe, une harmonie. Les éléments de la collection définissent l’espace sans le clore. Ils comprennent des  » îlots de vie « , sortes de récifs ou de bulles virtuelles. Au gré de leurs associations, ils suggèrent des scènes intimes ou conviviales. Chaque élément est l’acteur singulier d’un scénario commun. Concrètement, la collection se décline en ottomane, étagère, table d’appoint, sofa… Comme autant d’individus autonomes mais aptes à vivre en société.

Vous collaborez avec les marques de design les plus prestigieuses du moment telles que Cappellini, Magis et Liv’it. Avez-vous à chaque fois toute liberté de créer l’objet de vos rêves ou devez-vous respecter un esprit  » maison  » ?

Chacune de ces marques propose des moyens de production et des réseaux de distribution spécifiques, donc des potentiels différents. Cela me permet de développer des projets d’une grande diversité et d’ouvrir les champs du possible.

En duo avec l’architecte Daniel Pouzet, vous avez relooké l’institut Lancôme à Paris. Qu’est-ce qui vous a motivé dans cette entreprise ?

Nous aimons créer sur des univers permettant à nos semblables de ressentir des émotions tout en leur faisant partager des expériences de vie. L’institut Lancôme en a été l’occasion. Nous avons traduit l’idée de la beauté par un concept tout en harmonie et en légèreté.

Quelle identité avez-vous souhaité donner à ce lieu ?

Plutôt que de privilégier les codes de la marque, nous avons créé un univers où l’individu est au centre des préoccupations. Nous avons suggéré des climats, des émotions et des sentiments très différents mais cependant cohérents pour assurer la continuité entre la boutique et l’institut de beauté. C’est une ode à la féminité, à la grâce et à la beauté. A nos yeux, la beauté n’est en aucun cas un diktat mais plutôt le fruit d’une alchimie entre corps et esprit, une sorte d’harmonie abstraite.

Comment avez-vous intégré l’esprit de la maison Lancôme dans votre projet ?

Nous avons interrogé notre inconscient ainsi que la mémoire de la marque pour réveiller en elle ce qu’elle a de remarquable. A l’image d’un pétale de rose à la texture poudrée et délicate, ponctuée d’une goutte de rosée fraîche et éclatante, notre vision de la nouvelle identité Lancôme incarne la simplicité intemporelle et raffinée, doublée d’une note sensuelle et glamour

Le design est souvent lié à l’industrie du luxe. Selon vous, que faut-il faire pour le démocratiser ?

Persévérer et convaincre les décideurs des marchés de masse qu’il existe des alternatives qualitatives et rentables. Très souvent, les progrès sont d’abord développés sur des marchés élitistes ayant les moyens de les financer. Ce n’est qu’ensuite qu’ils peuvent être démocratisés dans une version édulcorée. Les designers ont pour mission de proposer des projets de vie cohérents et marchands afin de donner plus de sens à l’environnement.

N’est-il pas frustrant de devoir répondre à des impératifs commerciaux ?

Oui, parfois… Mais c’est également le moyen de rendre le design accessible au plus grand nombre. Les designers doivent aussi descendre de temps en temps de leur tour d’ivoire.

Quelle est la création que vous considérez comme votre plus grande réussite et pourquoi ?

Sans hésitation, les tours Life Reef à Guadalajara au Mexique. Elles proposent, en effet, un modèle d’habitation collective alternatif, humain et optimiste, qui améliore vraiment la qualité de vie. Ces tours proposent une nouvelle référence d’architecture verticale, loin de l’univers impersonnel ou carcéral des immeubles d’habitation courants. Le Volcano Stadium, également à Guadalajara, est aussi l’un de mes projets fétiches car il introduit un nouveau référent humain porteur de sens.

Quelle est l’importance de l’innovation dans votre métier ? Pensez-vous que chaque meuble ou objet se doit d’être innovant ?

Si elle soutient les valeurs positives du progrès, à savoir l’amélioration de la qualité de vie, de l’éducation et de l’environnement, l’innovation est essentielle. Cependant, il ne faut pas se tromper d’objectif et se faire une idée précise de ce qu’est le véritable progrès. Nous avons, en effet, besoin de mémoire pour exister et nous projeter dans l’avenir.

La mode envahit de plus en plus le secteur du design. Est-ce une évolution positive ?

La mode est l’illustration de l’économie de marché poussée à son paroxysme. Son principe est l’obsolescence rapide et artificielle. Son arrivée dans l’univers du design éclaire notre discipline aux yeux du grand public. Mais il faut faire attention à ne pas mettre exclusivement l’accent sur l’image au détriment du contenu.

Beaucoup de gens restent fidèles au mobilier classique. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

Nous avons tous besoin de repères et de références. La fuite en avant fait peur, surtout sur le marché de l’équipement, où l’on préfère les choses qui durent. On se replie alors sur ce que l’on considère être une valeur sûre : le classique.

Comment pensez-vous que le design contemporain va évoluer dans le courant des prochaines années ?

Il sera de plus en plus impliqué dans les marchés de masse et d’équipement car dans une économie frôlant la saturation, la singularité et la culture sont des valeurs ajoutées. J’espère que le design ne sera pas instrumentalisé par des  » world companies  » uniquement à des fins cosmétiques mais qu’il sera une force de proposition visant à donner du sens et de la qualité aux produits et donc à l’économie de marché elle-même. Je pense qu’à l’image du géant de l’informatique Apple, de plus en plus de marques l’intégreront comme projet d’entreprise au service de l’utilisateur.

Quels sont les projets sur lesquels vous planchez actuellement ?

Ils sont très divers, heureusement. En collaboration avec Daniel Pouzet, je travaille sur une tour d’habitation à New York, sur un stade de football à Guadalajara et quelques autres projets d’architecture privée et de show-rooms. Parallèlement, je développe des projets d’équipements pour salle de bains (robinetterie et céramique), des produits pour l’industrie de l’électronique et de l’informatique, un concept de transport collectif et quelques projets de mobilier et objets domestiques

Si vous n’aviez pas été designer, quel métier auriez-vous souhaité exercer ?

Sans hésitation pianiste et compositeur, la musique est pour moi l’art majeur. Elle est immatérialité et émotion. J’en ai presque des regrets.

Propos recueillis par Serge Lvoff

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