Au pied du pont de Brooklyn, il a créé une  » lanterne magique  » pour abriter un authentique carrousel de 1922. À New York comme ailleurs, le célèbre architecte français joue avec le paysage. Rencontre.

Il n’y a pas de petits projets pour l’architecte star et aucun lieu qu’il ne traduise en poésie. La nostalgie de vieux chevaux de bois dans l’une des villes les plus trépidantes du monde l’a envoûté. À 66 ans, le toujours jeune Jean Nouvel s’est assis dans l’une des calèches du Carrousel de Jane, la toute dernière attraction qui fait déjà courir les familles et les touristes au pied du pont de Brooklyn. Ce visionnaire insatiable n’était pas venu seulement pour se remémorer des souvenirs d’enfance. Le lauréat du Prix Pritzker 2008, l’équivalent du Nobel d’architecture, a inauguré, le 16 septembre dernier, le pavillon transparent qu’il a imaginé pour servir d’écrin à la ronde musicale.

Avec son crâne nu, ses grands yeux expressifs, ses sourcils comme dessinés au fusain, sa haute stature habillée d’un habit noir, le  » père  » de l’Institut du Monde arabe et la Fondation Cartier à Paris pourrait être le magicien qui fait évoluer ce décor féerique, pour le plaisir des petits et des grands. À quand remontait son dernier tour de carrousel ?  » Oh, cela doit au moins faire un demi-siècle, non ? « , s’exclame-t-il dans un grand éclat de rire. Une chevauchée fantastique pour celui dont la renommée grandit chaque jour un peu plus au-delà des frontières européennes.  » La sensation est forte, car il y a tout le panorama qui vient à nous, les ponts, les entrepôts, les bateaux, c’est un cyclorama « , nous a-t-il confié à sa descente du manège.

Le  » bijou  » de Jean Nouvel a pris place dans le parc public qui se love entre les pieds colossaux du Brooklyn Bridge et du Manhattan Bridge. Il y a onze ans, l’architecte français avait gagné un concours pour un complexe hôtelier surplombant l’East River. Finalement, le projet n’a pas abouti mais le bâtisseur a conservé des liens avec le promoteur David Walentas et son épouse Jane, les premiers à avoir parié sur le potentiel immobilier du quartier de Dumbo.

Séduits, lors d’une vente aux enchères, par ce carrousel datant de 1922, les Walentas ont demandé à Jean Nouvel de lui dessiner un abri afin de le protéger des intempéries. Jane, ancienne directrice artistique pour les cosmétiques Estée Lauder, a elle-même décapé patiemment les croupes et les encolures nerveuses des chevaux de bois et a repeint chaque monture à la main dans sa couleur d’origine.  » Avoir un pavillon créé par Jean Nouvel, c’était mon rêve un peu fou « , s’enorgueillit-elle. Un plaisir qui a un coût : riches philanthropes, les Walentas ont dépensé l’équivalent de 6,6 millions d’euros pour offrir un toit à leur manège et ont offert 2,6 autres millions au parc du Brooklyn Bridge, où il a été installé.

Jean Nouvel ne voulait pas d’une structure qui jure sur l’une des vues les plus typiques de New York. Il a choisi une  » peau  » transparente,  » quelque chose de léger et de poétique dans un environnement très fort, très puissant, entre ces deux ponts monumentaux « , explique- t-il. Il a privilégié l’acrylique et non le verre pour annuler les reflets, permettant ainsi au carrousel d’être immédiatement visible depuis l’extérieur. Le plafond, une verrière qui laisse voir le ciel et les nuages, est strié de bandes noires et de miroirs. En été, les parois de plus de 8,5 mètres de hauteur s’ouvrent entièrement sur les côtés, presque comme si le pavillon n’existait pas. En hiver, petits et grands cavaliers chevaucheront dans un paysage enneigé. Le clou du spectacle ?  » Le soir. Des grands rideaux se baissent et les chevaux illuminés de l’intérieur vont s’y refléter en silhouettes géantes. C’est comme une lanterne magique qui pourra être aperçue depuis le pont de Brooklyn et le rivage de Manhattan « , s’enthousiasme son concepteur.

Avec le Carrousel de Jane, Jean Nouvel a voulu créer  » un petit monument fragile dans la ville « . Un cadeau à la Grosse Pomme, où le frenchie s’amuse à donner un coup de jeune à la célèbre Skyline, la ligne de crête des gratte-ciel new-yorkais. Avec son confrère américano-canadien Frank Gehry, ce roi de l’équerre s’impose de plus en plus dans le paysage américain. Sa première £uvre outre-Atlantique date de 2006 : le Guthrie Theater de Minneapolis, un vaste complexe de trois salles de spectacle dominant le Mississippi. Quelques mois avant de recevoir le prix Pritzker au Congrès de Washington, le Français inaugurait le très trendy 40 Mercer, en plein Soho, une adresse qui fut notamment la résidence du styliste Marc Jacobs et de l’actrice Meg Ryan.

Sa dernière réalisation en date, baptisée Vision Machine, est un bâtiment résidentiel de 21 étages qui se distingue par ses centaines de fenêtres placées de manière irrégulière pour mieux  » cadrer  » la vue. Avec son voisin IAC, cet immeuble évoquant les voiles d’un bateau signé, lui, Frank Gehry, Vision Machine redéfinit le quartier de Chelsea et se laisse apprécier pleinement depuis la Highline, la légendaire voie de chemin de fer surélevée reconvertie en espace vert. Enfin, l’architecte français est toujours dans l’attente d’un feu vert pour un projet qui lui tient à c£ur : une tour de verre de 300 mètres de hauteur en plein Midtown, qui sur le modèle d’une aiguille devait percer le ciel de New York, et contester l’hégémonie de l’Empire State Building. Sacrilège ! Sa proposition, comprenant un hôtel, des résidences de luxe et une extension du Museum of Modern Art (MoMA) a été jugée  » arrogante  » par les Américains. Le plan a dû être amputé de plusieurs étages ( » guillotiné « , selon l’expression du maestro) et son échéance retardée.

Mais rien ne semble arrêter le vibrionnant Jean Nouvel. Ses  » ateliers  » s’affairent sur plusieurs dizaines de chantiers aux quatre coins de la planète. Au Moyen-Orient et Dubai, avec le futur Louvre d’Abu Dhabi. En Europe, avec, entre autres, l’Île Seguin et la Philarmonie, à Paris, ou le tout prochain Hotel Catalonia Fira de Barcelone. Sans oublier la Belgique (lire aussi en pages 52 à 58). Une frénésie créative à donner le tournis, comme sur le Carrousel de Jane… En selle !

PAR ELODIE PERRODIL

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