On découvre sa bouille ébouriffée en bord de Meuse. Jérémie Renier a alors 14 ans et incarne pour la première fois un personnage de Jean-Pierre et Luc Dardenne. Aujourd’hui, au bout de dix années, le jeune homme a retrouvé ses pères cinématographiques. Ils lui ont confié  » L’Enfant  » et Jérémie l’a pris dans ses bras… Treize films séparent ces deux collaborations. Treize étapes qui ont forgé cet homme à l’allure d’éternel adolescent. Balayant les plans de carrière, Jérémie Renier a presque goûté à tous les rôles. Ce faisant, des plaisirs parfois insoupçonnés l’ont fait vibrer. Le vêtement fait partie de ceux-là. Comme références, il cite Smalto et Yves Saint Laurent. Pour Weekend, il a conjugué inclination pour le chiffon et goût inné pour le jeu.

Jean-Pierre et Luc Dardenne sont des patrons fidèles. Jérémie Renier le prouve. Leur première rencontre remonte à 1996. Fraîchement sorti de l’enfance, le  » ketje  » enfile sa première tenue d’acteur pour  » La Promesse « . Aux côtés d’Oliver Gourmet, il se faufile en s’imbibant du  » jus  » sérésien. Devant  » L’Enfant « , Palme d’or du 58e Festival de Cannes, deuxième collaboration Renier-Dardenne, on a presque l’impression de reprendre l’histoire là où  » La Promesse  » l’avait arrêtée. Bien sûr, Jérémie s’appelle maintenant Bruno. Mais il s’impose encore dans ce  » jus  » à la couleur toujours grisâtre. Pourtant, si invisible soit-elle, la marge tient davantage de l’océan que de l’isthme. En dix ans, la carrière et la vie de Jérémie ont pris de l’épaisseur. François Ozon, Bertrand Bonello ou Christophe Gans se sont succédé derrière la caméra. De la comédie légère au drame plombant, l’un après l’autre, ses personnages ont enseigné au comédien la richesse de l’existence. A l’intersection des sphères personnelles et professionnelles, ses choix vestimentaires aussi, se sont aiguisés. Lors de la présentation de  » L’Enfant  » à Cannes, en mai dernier, son smoking immaculé griffé Smalto a même illuminé les marches mythiques. Désormais, on l’aperçoit parfois aux abords des catwalks.  » Je n’y vais pas parce que soi-disant, il faut y être, lâche-t-il. Je m’en fous. On m’invite, j’accepte. Je trouve ça marrant. Je découvre le milieu.  » En exclusivité pour Weekend Le Vif/L’Express, Jérémie Renier a pris une nouvelle leçon de style. Avec un plaisir non dissimulé, il est passé de Burberry à D&G et a récolté un 20 sur 20.

Weekend Le Vif/L’Express : En vous regardant, on dirait que vous jouez avec des déguisements.

Jérémie Renier : C’est vrai. Je trouve cette séance assez ludique. En règle générale, les photos de mode ont un côté rigide. Poser en souriant pendant une heure me fait chier. Ici non, on se rapproche plus de la comédie. Par contre, se taire ne me dérange pas. J’ai joué pas mal de personnages assez  » muets « . D’une certaine manière, ils me correspondaient bien. Au cinéma, parler n’est pas spécialement ce que je préfère.

Avez-vous toujours fait attention à vos tenues vestimentaires ?

Plus je vieillis, plus j’y attache de l’importance. J’aime être bien habillé, avoir de beaux vêtements. Je suis passé par plusieurs phases. J’ai d’abord été hip-hop avec des pantalons très très larges, que je ne remettrai d’ailleurs jamais. J’ai eu une période grunge, tendance  » Rien à foutre des vêtements « . Et petit à petit, ça a évolué. Aujourd’hui, je suis amené à travailler avec des costumières. On me prête aussi des tenues pour des apparitions en public. Ce sont les aspects agréables du métier. De plus, en incarnant un personnage, on est amené à porter des vêtements qu’on n’aurait jamais pensé pouvoir mettre.

De là à traîner dans les boutiques…

Je ne suis pas du tout boutique. Jamais je ne me dis  » Tiens, si j’allais m’acheter des fringues !  » Mais, parfois, dans un magasin, je peux en acheter deux cents kilos. Puis, plus rien pendant sept mois. Il m’arrive aussi de me faire de vrais plaisirs. Je vais chez Yves Saint Laurent et je dépense pas mal d’argent pour un beau costume ou une veste. D’un côté, c’est débile de payer autant pour un bout de tissu mais, en même temps, j’aime cette idée.

Dans votre milieu professionnel, est-ce une nécessité de faire attention à son apparence ?

C’est un choix. Ce sont les faibles qui se font écraser par le soi-disant regard des autres. Il faut être soi-même. Est fort celui qui s’accepte. De toute façon, lorsqu’il s’agit d’image, impossible de maîtriser quoi que ce soit. Ceux qui ont cette impression se trompent. Personne ne m’a jamais dit de faire attention à mon image. Heureusement d’ailleurs, je l’aurais envoyé chier.

Ce métier implique quand même un très fort rapport à l’image !

Il existe parce qu’on est médiatisé. On est constamment sous le regard des gens. Pour cette raison, être comédien est parfois difficile. Il faut sans cesse donner envie, envie de travailler avec toi, envie d’aimer ton film. Et forcément, on finit par se regarder. Il y a un petit côté narcissique. Personnellement, ça ne me dérange pas de me voir, quoique ça dépend des films. Maintenant, je ne vais pas non plus me branler sur les images. J’arrive assez à faire la distinction entre mon personnage à l’écran et qui je suis dans la vie. En même temps, dès qu’un comédien se regarde il perd en spontanéité. Un peu comme les compliments. Même s’ils font plaisir, ils m’ont toujours fait peur. Si j’en entends trop, j’ai peur de devenir con. Disons que je les écoute d’une demi-oreille.

Au cinéma, pour le choix des costumes, écoutez-vous aussi vos interlocuteurs d’une demi-oreille ?

J’aime avoir mon mot à dire, sans non plus arriver en disant  » Je veux ça, ça et ça !  » Avant tout, je pense que le comédien doit être bien dans son costume. Mieux que quiconque, il connaît son personnage et sait comment l’interpréter. Après, il faut trouver un juste milieu entre ses desiderata et ce que la costumière imagine. De toute façon, les bonnes costumières sont les premières à se soucier du bien-être des personnes avec qui elles travaillent.

Au fil des rôles, votre rapport au costume a-t-il évolué ?

J’aime de plus en plus les transformations, ce côté caméléon que maîtrisent les Américains. Pour moi, un comédien doit avoir envie d’être quelqu’un d’autre. Porter le bon costume permet la composition, il devient un appui pour jouer. Une fois enfilé, on est le personnage. Si on reste physiquement soi-même, le rôle peut sonner bizarrement, parce qu’il faut forcer la composition.

Un film en costume comme le  » Pacte des Loups  » est l’exemple le plus extrême d’immersion…

C’est particulier effectivement. Les chevaux, les costumes, les décors, tout donne l’impression de faire du vrai cinéma. Quand tu es gamin et que tu penses au cinéma, c’est l’image qui vient en tête, pas les Dardenne.

A propos des Dardenne, pensiez-vous un jour retravailler avec eux ?

Non, je n’ai jamais cru qu’ils me rappelleraient.  » La Promesse  » avait un côté tellement emblématique. Pendant dix ans, on ne m’a parlé que de ça. D’ailleurs, si j’ai décroché des rôles, c’est grâce à ce premier film. Je pensais donc être trop marqué. Un peu comme si j’avais une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Et puis, un jour, le téléphone a sonné.  » Allô, Jean-Pierre et Luc, on aimerait boire un coup avec toi.  » Moi, je pensais qu’ils voulaient simplement parler du bon vieux temps. J’ai promis de les contacter quand je passerai en Belgique. Au bout de deux semaines, ils m’ont rappelé et lâché le morceau.  » On a une idée de film et peut-être un rôle pour toi.  »

Et là, vous sautez de joie !

Je flippe plutôt. J’avais peur de les décevoir. J’espérais que j’allais encore leur plaire. A l’époque de  » La Promesse « , tout le monde avait parlé de mon naturel. Mais l’étais-je toujours autant ? En plus, il faut reconnaître que les Dardenne, la Palme, c’était devenu chargé. Et puis, j’avais aussi le souvenir d’un tournage très dur.

Celui-ci l’était-il moins ?

Disons qu’avec le temps, ils se sont adoucis. Un peu comme un bon vin. De toute façon, chaque tournage est différent.  » La Promesse  » était mon premier film. Je débarquais. Au début du tournage de  » L’Enfant « , une sorte de rapport de paternité est revenu. Leur regard me gênait, un peu comme si mes pères étaient devant moi. Inconsciemment, ils le sont. Eux-mêmes sont très famille. Ils vont voir mes films, ceux d’Emilie (Dequenne) et d’Oliver (Gourmet). Ils ont une certaine fierté de voir ce que nous avons accompli.

Un peu grâce à eux…

Ce sont les seuls à avoir une véritable direction d’acteurs. Leur cinéma tourne autour du comédien. Ils laissent le temps de chercher la justesse, de trouver la scène. C’est rare dans ce métier. D’habitude c’est l’inverse. La technique prend tout son temps. Dès que le plateau est prêt, on vient te chercher dans la loge. Tu as envie de dire :  » Les autres ont pris leur temps pour régler la lumière, alors pourquoi moi je dois être bon immédiatement ? » Les frères Dardenne et moi avons la même conception du métier d’acteur.

On a l’impression qu’ils pourraient vous proposer n’importe quoi !

A la base oui, mais plus encore depuis que j’ai retravaillé avec eux. S’ils me donnaient un contrat pour trente ans, je le signerais des deux mains. Cela a été un plaisir énorme de les retrouver. Bien au-delà du travail. Humainement, ces retrouvailles ont représenté beaucoup. Elles ont bouleversé ma vie.

Comme de revenir habiter Bruxelles ?

Entre autres. Ça me fait énormément de bien. Paris est une ville très dure. Si tu n’avances pas, on t’écrase. Cette ville a aussi un côté cinéma qui devient pesant à la longue. Aujourd’hui, j’ai l’impression d’être plus fort quand j’en suis loin. La meilleure solution est de vivre un peu à l’écart et d’y être quand il faut.

Avec ce retour, avez-vous l’impression de reprendre quelque chose mis entre parenthèses ?

C’est marrant, je ne pensais jamais y habiter à nouveau. Je me voyais plutôt à Barcelone ou ailleurs. Je suis parti à 16 ans. Cette ville était devenue trop petite. J’en avais marre de tourner en rond. A cette époque, un retour aurait signifié  » faire marche arrière « . Maintenant, c’est plutôt revenir à ce que je suis vraiment.

Propos recueillis par Sylvestre Defontaine

 » Pour moi, un comédien doit avoir envie d’être quelqu’un d’autre. Porter le bon costume permet la composition, il devient un appui pour jouer. Une fois enfilé, on est le personnage.  »

« Au début du tournage de « L’Enfant », une sorte de rapport de paternité est revenu. Le regard des Frères me gênait, un peu comme si mes pères étaient devant moi. Inconsciemment, ils le sont.  »

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