Difficile de prendre le relais d’une figure aussi emblématique que Gérard Welter, chef designer de Peugeot durant 47 ans. Mais Jérôme Gallix ne manque pas d’ambition. Rencontre avec un homme inventif et décidé qui n’a pas peur de relever des défis.

« Je ne le cache pas : j’ai de l’ambition et je voulais arriver où je suis c’est-à-dire remplacer un jour Gérard Welterà « , affirme d’emblée Jérôme Gallix, 43 ans. Pour y accéder, il s’est coulé dans l’ombre du big boss durant cinq ans avant de prendre sa place le 1er juillet dernier. Son style relax et décontracté cache pourtant une puissance de travail démesurée. Les interviews, il les distille au compte-gouttes, trop occupé à préparer en cet instant le Mondial de l’Automobile de Paris (*). Il prend cependant le temps de nous faire visiter l’ADN (pour Automotive Design Network), la fierté de PSA Peugeot Citroën, installé à Vélizy, tout à côté de Paris. Dans ce bâtiment de 70 000 m2 qui a coûté 130 millions d’euros, cohabitent les deux centres de design du groupe. Chaque entité posséde les outils les plus perfectionnés pour créer les automobiles du futur. Mais visite ne signifie pas toujours découverte : sur notre passage tous les prototypes sont soigneusement bâchés et les bureaux des designers vides de tous projetsà Pas question de ré-véler quoi que ce soit à surtout à la veille du Mondial de l’Automobile ! Il ne nous reste plus qu’à  » cuisiner  » le chef pour obtenir quelques révélationsà

Weekend Le Vif/L’Express : Pour le président de PSA, Christian Streiff, il faut créer  » des voitures qui doivent refléter la confiance, la robustesse et l’élégance bourgeoise « . Des objectifs que l’on retrouve chez les constructeurs allemands. Votre cible est-elle donc de concurrencer les marques d’outre-Rhin ?

Jérôme Gallix : Mais nous le sommes déjà un peu puisque nous nous retrouvons sur les mêmes marchés ! Je dois reconnaître aux constructeurs allemands leur leadership en termes de technologie automobile. Il faudrait être complètement inconscient pour ne pas appliquer les mêmes recettes. On s’en inspire donc largementà mais il ne faut pas croire non plus que l’on copie tout ! On copie leur ambition ; une excellence technique couplée à un certain sérieux tout en y apportant un brin de la passion et du  » French touch  » pour faire quelque chose de différent et de propre à Peugeot.

Avant ce nouveau mot d’ordre, les automobiles Peugeot n’étaient-elles pas  » robustes et bourgeoises  » ?

C’est un nouvel axe général et prioritaire pour le moment. Cela ne veut pas dire qu’avant ce n’était pas vrai ! Personne ne vous dira que Peugeot faisait des voitures moches et fragiles.

Au c£ur de ce bâtiment se trouve également Citroën. Comment vous différenciez-vous ?

On travaille ensemble et je m’entends superbien avec Jean-Pierre Ploué (le chef designer de Citroën). On s’échange des idées afin de cultiver nos différences pour évidemment ne pas proposer aux clients des choses semblables. Et puis un regard extérieur et professionnel est toujours bénéfique. Ainsi, il m’apporte au quotidien une vision critique. Il est vrai que notre regard s’habitue. Celui de Jean-Pierre Ploué est un peu notre garde-fou. Je dirais que c’est un  » ami-ennemi  » qui enrichit notre recherche.

Christian Streiff affirmait également que la  » marque était trop sportive « .

C’est vrai que le premier best-seller mondial de la marque était la 205 avec sa GTI ou encore le cabriolet à injection. Il y a eu également la 206 WRC ou la 206 2 litresà Mais de toute façon, il faut se faire une raison : la  » sportivité  » n’est plus une valeur montante. Cependant, il ne faut pas se couper complètement de cette imaginairede plaisir et de passion que peut amener une aventure sportive. Il faut donc maintenir dans le style de nos voitures un tout petit côté sportif. Je pense que cela est indispensable et qu’il faut tout faire pour que Peugeot ne propose pas des voitures de grand-père.

Pour parler de la 205. Que pensez-vous des autres marques comme Mini ou Fiat qui puisent avec succès dans leur passé ?

Je rêve de faire revivre la 205à Je pense qu’il est en train de se produire un véritable changement. Notre relation à notre patrimoine devient un peu moins dénigrante. Pour moi, qui suis né dans les années 1960, le progrès n’est pas une fin en soi et le passé n’est pas une régression. Je le sens car quand on évoque des prototypes rétro-design j’y vois une part de pur plaisir. Alors que pour les 45-50 ans, le rétro doit absolument être banni. Mais bon, même si je vote pour ce côté rétro, je ne suis pas tout seul à décider dans l’entrepriseà

Peugeot doit-elle faire preuve absolument d’une  » french touch  » ?

La  » french touch  » est un sujet très sensible ! Pour ma part, je trouve extrêmement réducteur de parler de notre francité. C’est la pire chose qui puisse nous arriver. Les Français sont déjà trop repliés sur eux-mêmes. Si, en plus, on nous cantonne dans ce créneau cela ne va plus. Mais je suis davantage pour privilégier la  » Peugeot touch  » que la French touch à  » franchouillarde  » ! Pour vivre, les produits français doivent obligatoirement s’exporter. La priorité c’est d’être Peugeot et non français !

Parlons de vos hobbies. Vous êtes passionné par les hot wheels (NDLR : collection de voitures miniatures mélangeant modèles réels et imaginaires)à Vous allez introduire cette notion dans le design de Peugeot alors que votre directeur recherche davantage d’élégance. Un côté bourgeois et classique.

C’est super les hot wheels ! Mais vous savez le classicisme, la tendance bourgeoise et l’élégance qui plaisent soi-disant à une certaine tranche de la population peut connaître un revirement total. Ces conducteurs-là vont précisément apprécier le côté complètement décalé et novateur et qui peut devenir par la suite un grand classique. Ils oublient alors toutes leurs valeurs. En revanche, vous pouvez leur présenter quelque chose qui est classique et bourgeois dont ils ne voudront pas. Notre métier c’est avoir une vision projective ; écouter et comprendre au-delà des mots. C’est un vrai métier de réfléchir à des échéances de quatre ans (le temps qu’il faut pour concevoir une voiture et la produire).

Quelles sont vos sources d’inspiration ?

La ville et les gens ! Je suis un ultra-urbain. Je regarde les gens, les embouteillages, le bétonà Tokyo est, par exemple, pour moi, une source d’inspiration absolue. Soit vivre dans un monde confiné et arriver à faire émerger des choses nouvelles. Pour le lancement de la Peugeot 308 à Tokyo, j’ai vu dans une gare une étrave de bateau suspendue au plafond, c’était magnifiqueà

A quel point de vue ?

Cela m’a donné des idées d’évolution de formes, de la transparenceà je ne peux pas tout vous dire non plus (rires).

Quel autre métier auriez-vous voulu faire ?

J’ai toujours voulu être designer auto mais peut-être architecte ou cuistot ou bien clubber dans une boîte de nuit ! Mais mon père qui était pharmacien, tout comme ma mère, y a mis bon ordre et m’a contraint à suivre les cours d’une école d’ingénieur. C’était l’horreur et cela leur a coûté beaucoup d’argent ( rires).

Comment se présente l’avenir de Peugeot ?

Un seul mot d’ordre : l’harmonie. Qu’elle existe réellement entre le véhicule et le style qu’on lui donne. Tout en privilégiant l’originalité.

Que pensez-vous des voitures qui deviennent de plus en plus imposantes ?

Les designers n’en sont pas à l’origine. Ceci est dû aux contraintes mécaniques pour répondre aux normes de sécurité. C’est vrai que Peugeot, dans ce domaine, a conçu ces dernières années des voitures de plus en plus imposantes. Mais prochainement vous allez assister à de sérieux changements. Il faut réduire le gabarit des voitures. Et pour nous les designers, c’est un réel problème car en faisant grossir les voitures, on a offert à la clientèle beaucoup d’options. Dont les consommateurs ne peuvent plus se passer. Un vrai challenge. Faire plus petit tout en maintenant un prix acceptable, avec des options dont on ne peut plus se passerà J’aime !

(*) Le Mondial de l’Automobile de Paris 2008

se tiendra Porte de Versailles du 4 au 19 octobre prochain.

Internet : www.mondial-automobile.com

Propos recueillis par Chantal Piret

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