Barbara Witkowska Journaliste

Un vent nouveau souffle sur l’univers de la création. De jeunes créateurs, français et belges, ambitionnent de faire entrer la joaillerie dans le IIIe millénaire. Etat des lieux.

Carnet d’adresses en page 137.

Thierry Vendôme est sans doute le créateur aux idées les plus inattendues et les plus audacieuses. Quoi de plus naturel ? Son père n’est autre que Jean Vendôme, considéré comme le père du bijou contemporain. Dès les années 1950, ce créateur surdoué utilise des cristaux de tourmaline, de topaze ou d’améthyste non taillés ou encore des pépites d’or, baroques et exubérantes. Les formes de ses bijoux sont brutes, affirmées et modernes. Les puristes crient au scandale ! Mais, les idées de Jean tiennent bien la route, sont abondamment copiées… et toujours d’actualité. Quant à Thierry, il s’ennuie très vite à l’école et préfère entrer, à l’âge de 15 ans, comme apprenti chez papa. Son parcours sera plein d’embûches. Jean Vendôme avait une personnalité écrasante et laissait difficilement s’épanouir la créativité de l’adolescent.  » Mon père ne voulait pas que je fasse de la création, confie Thierry. Il me voyait comme vendeur. Je pouvais travailler uniquement l’argent, pas l’or.  » Durant son apprentissage, Thierry aura toutefois un grand complice, Michaël Durnholz, le créateur belge originaire d’Eupen :  » Michaël est arrivé chez nous comme apprenti, il a vécu à la maison. Tous les soirs, nous avons fait du dessin et ce, pendant trois ans. C’est mon coach et mon frère.  » En 1990, Thierry effectue un stage à Maredsous, chez le joaillier Jean-Pierre de Saedeleer qui lui laisse l’opportunité de créer ses premières pièces en or. Plus tard, de retour à Paris, c’est une Chinoise, directrice de Pierre Cardin en Chine qui, séduite par son talent, lui donnera un coup de pouce financier. Thierry pourra se libérer, petit à petit, de l’emprise paternelle. Dans ses premières créations, il mêle l’or à des objets  » récupérés « , tels le bois flotté, les coquillages, les monnaies chinoises antiques, la céramique. La  » récupération  » est une vieille habitude qu’il a prise quand son père lui interdisait de travailler l’or… A force d’obstination, Thierry s’est fait un prénom et a réussi à percer. En 2003, il ouvre, dans le quartier hyperbranché du Marais à Paris, une boutique. Dès potron- minet, il s’active dans son minuscule atelier où il réalise tous ses bijoux de A à Z, à la main. Dans son travail, il poursuit deux voies. D’une part, il interprète, de façon bien personnelle, le style de son père, avec des formes géométriques et sobres qui se fondent dans la tendance du moment. D’autre part, il propose des bijoux plus expérimentaux, réalisés avec des éléments de récupération. En ce moment, ce sont des éclats d’obus trouvés dans d’anciens camps militaires, avec leur esthétique forte et violente qui retiennent son attention. Thierry cadre certaines parties déchiquetées, y mêle de l’or et des pierres précieuses, pour les transformer en sculptures de joaillerie multifonctions. L’idée est d’intégrer une broche, un pendentif et une bague dans un seul bijou. Avec ses petits ronds de différents diamètres, découpés dans un ruban d’or, le thème Tekna se veut une interprétation de la dentelle contemporaine. La série Axial, elle, affiche trois disques superposés pivotant sur un axe et se déclinant en bagues, en boucles d’oreille et en pendentifs. Quant à la toute nouvelle bague Surf, animée d’un formidable élan, elle évoque le monde de la voile et la liberté. Une immense améthyste brille de mille feux au sommet et lui ajoute une touche d’un raffinement extrême.

Exubérance baroque

Céline Rivet est une grande blonde enthousiaste et chaleureuse, débordant d’optimisme, d’énergie et de joie de vivre. Elle nous reçoit dans son appartement parisien, un adorable fouillis plein de charme, accueillant et confortable.  » J’ai toujours baigné dans l’art, s’exclame la jeune femme. Dans nos moments de liberté, nous nous échappions, en famille, dans les musées, les salles de vente ou chez les antiquaires. Les bijoux ? Ils m’ont tapé dans l’£il quand j’étais toute petite.  » Puisque les pierres,  » ça lui parle « , Céline se lance dans les études de gemmologie, puis travaille dans le diamant. La création la titille, elle y pense d’ailleurs  » depuis des milliers d’années ». Avec sa tête bien faite, Céline n’aime toutefois rien laisser au hasard : elle réfléchit longuement et prépare son avenir pas à pas. En 2001, sa griffe Garnazelle naît officiellement.  » En solognot, on appelle les grenouilles guernazelles. Ma grand-mère était originaire de Sologne et ma mère m’a toujours surnommée ainsi. J’ai modifié la première partie du mot, car un bijou ne peut pas faire référence à la guerre ! Je l’aime beaucoup, car il fait penser à une sorcière, une fée mystique ou une clochette et il fonctionne bien dans toutes les langues.  » Le style de Céline Rivet est baroque et généreux, audacieux, enveloppé de beaucoup de rondeurs et toujours irréprochable dans les moindres détails. Pour elle, le bijou est un gage d’amour, le moyen de sublimer la femme. Depuis deux ans déjà, son best-seller est la bague Boule d’Amour. Une énorme boule de quartz rutile, d’améthyste, d’aigue-marine ou d’onyx est enchâssée dans une monture exubérante en or blanc ou or jaune, évoquant un bouquet de coraux. Dans la bague Deux Mondes, le corps est serti de diamants noirs. Il est surmonté par deux petites boules interchangeables en diamants blancs ou, sur demande, en d’autres pierres. Ce thème est aussi décliné en clip. Monté sur bracelet en satin, en croco ou cuir, il peut être porté en bracelet ou en collier de chien. Volumineuse et dodue, la bague Doucette, pavée de rubis, est enveloppée par une  » tige végétale « , terminée par une feuille, le tout réalisé en tsavorites, pierres fines de couleur verte. Céline Rivet aime les bijoux  » festifs « , destinés aux femmes de caractère, qui osent et qui veulent se démarquer avec des parures différentes. Pour s’en approcher, Céline a décidé d’ouvrir, avant les fêtes, une boutique. Le rez-de-chaussée sera destiné à la vente. A l’étage, la jeune créatrice recevra ses clientes dans des salons qui lui ressemblent : généreux et baroques. Il y aura même une vitrine pour hommes, avec des médailles à mettre autour du cou et des boutons de manchettes.

L’or mat et l’or brillant

Hélène Courtaigne Delalande fait partie de ces personnes courageuses qui, le moment venu, ont osé tourner la page, changer de vie pour suivre leur véritable vocation. Diplômée d’une école de dessin, Hélène a travaillé pendant douze ans dans la pub, comme directeur artistique. Mais sa passion allait plutôt vers les pierres précieuses et l’or jaune. Alors, tout en peaufinant ses annonces publicitaires, elle a appris à travailler l’or à l’établi d’un joaillier et a suivi un cycle complet à l’Institut national de gemmologie. En 2001, elle a dit définitivement adieu à l’univers de la pub pour travailler chez elle, dans sa ravissante maison, à Boulogne, à côté de Paris.  » Dans le bijou, j’aime son côté un peu vaniteux, souligne-t-elle. Il est immortel, éternel et intemporel. On en trouve toujours dans les tombes, il passe des générations. J’aime aussi l’idée de pouvoir le réaliser toute seule, de A à Z. Ce qui n’est pas du tout le cas dans la pub où l’on fait toujours partie d’un projet et où il y a plusieurs intervenants.  » Les bijoux d’Hélène sont volumineux. Si les formes paraissent étranges, elles sont toujours très construites.  » On me parle souvent d’influences byzantines, étrusques, médiévales ou mésopotamiennes, commente-t-elle. C’est possible, mais je ne le fais pas exprès.  » Cela dit, son style est immédiatement identifiable. Hélène a mis au point une technique personnelle qui marie toujours l’or mat et l’or brillant ce qui donne à ses créations une couleur très particulière, un peu  » citronnée  » qui accroche la lumière de façon très régulière. L’autre particularité ? Elle n’utilise jamais de griffes pour sertir les pierres et fait appel au serti clos ou au serti à copeaux. Parmi ses succès, citons la grosse chevalière 1001 Nuits, en différentes déclinaisons, mais caractérisée toujours par la forme pyramidale. Ou encore ce large anneau médiéval animé de godrons mats et brillants, parsemé d’une pluie de petits diamants roses, bleus ou blancs. Amoureuse d’or jaune, Hélène est en train de tenter l’expérience d’une gamme de bijoux en platine. Elle peaufine aussi une ligne pour hommes, en platine, justement. Mariée à la tourmaline grise ou à l’aigue-marine  » milky « , elle joue ton sur ton et se distingue par un côté très frais.

Impression d’équilibre

Son grand-père était sculpteur à Munich, en Allemagne et Ann Gérard, durant son enfance, était inlassablement sensibilisée au travail manuel et aux belles choses. Elle s’est tout particulièrement entichée des parures, bijoux et joyaux, sans aucune préférence de style ou de genre. Bref, elle adore  » tout ce qui brille « . Sa voie future, dans le bijou, s’est donc tracée tout naturellement. Au début, elle pense plutôt à la fabrication, pas à la création. Après le bac passé à Lille, sa ville natale, direction Liège où elle se familiarise, pendant trois ans, avec tous les secrets du métier. Aux Arts et Métiers, à Bruxelles, elle apprend, en cours du soir, la fonte en cire perdue. Dernière étape de la formation ? Le dessin de bijoux et d’objets précieux ainsi que la réalisation de maquettes en cire qui permettent de fabriquer un prototype, dans une école parisienne qui a aujourd’hui fermé ses portes. En 1994, Ann réalise un collier de chien en platine et laque verte serti de 764 diamants taille brillant et princesse, agrémenté de quatre diamants taille poire. Elle présente cette pièce exceptionnelle au concours organisé par De Beers et… le gagne haut la main. Très sollicitée par la presse, elle dessine rapidement une mini-collection de bagues, pour proposer aux journalistes autre chose que le bijou gagnant. Dans la foulée, elle ouvre une petite boutique dans le VIIe arrondissement de Paris. Son style épuré et intemporel séduit tout de suite. La force de la jeune créatrice réside dans le travail sur mesure, dans la recherche de proportions idéales de chaque pièce et dans un confort sans égal. Les anneaux sont un sujet infini qu’Ann aime exploiter sur toutes les formes. Ce qui frappe, c’est une extraordinaire harmonie et sérénité des collections. Tout se joue dans la nuance et dans la subtilité. Les diamants champagne s’accompagnent, par exemple, d’or d’une couleur bien spécifique, pour que l’ensemble soit parfait et irréprochable. Depuis dix ans, Ann travaille beaucoup la pierre de Tahiti. Ici aussi, on reste admirative devant leurs nuances rares et raffinées. Pour Noël, elle a dessiné un pendentif à message. A un c£ur sont accrochés un croissant, une étoile de David et une croix. Il s’appelle Paix.

 » Messagère d’amour  »

Stéphanie Haegelsteen, créatrice de joaillerie bruxelloise, se définit comme  » Messagère d’amour « . Ses clientes viennent généralement accompagnées pour se faire offrir un bijou sur mesure. Après un  » briefing  » poussé, Stéphanie cerne la personnalité de la cliente et livre ses suggestions pour créer  » le bijou qui lui va et qui lui ressemble « . Ensuite, elle réalise une vingtaine de dessins, choisit les pierres, réalise une maquette en trois dimensions,  » très parlante  » que l’on peut modifier à loisir. Bref, un vrai travail de  » pro « . Fascinée depuis toujours par le bijou, Stéphanie a étudié la gemmologie à Anvers, puis est partie à Los Angeles, compléter sa formation au Gemological Institute of America, le  » Harvard  » dans le domaine de la joaillerie. Associée à un Américain, elle dessine et réalise, pendant quatre ans, de multiples créations qui sont vendues, ensuite, aux joailliers. On apprécie son côté européen, féminin, subtil et raffiné. Lorsqu’elle rentre en Belgique, début 2002, sa réputation l’a précédée. Stéphanie n’a aucun mal à s’installer comme joaillière privée. Dans son travail, elle privilégie surtout le diamant, la pierre la plus pure et la plus noble, qu’elle connaît, grâce à sa formation, sur le bout des doigts. Pour répondre à la demande des jeunes femmes, passionnées par les bijoux d’autrefois, Stéphanie propose également des bagues de fiançailles à l’ancienne. Réalisées avec des outils d’aujourd’hui, elles sont parfaitement actuelles et moins fragiles. Elle aime aussi que ses bijoux précieux soient portés (presque) au quotidien, sans les laisser dormir dans un coffre et veille donc à leur aspect  » multifonctions ». Exemple ? Ce diadème en or blanc, perles et diamants, réalisé pour une jeune mariée. Pour pouvoir le porter plus d’une seule fois dans la vie, Stéphanie l’a travaillé de telle façon qu’il puisse se transformer en collier.

Une pluie de diamants…

Fils de la styliste bruxelloise Johanne Riss, Jonathan (27 ans) a une double vie bien remplie. Il dirige avec beaucoup de succès la boutique parisienne de Johanne et prépare l’ouverture, toujours à Paris, de sa propre boutique de joaillerie. Jonathan est en effet  » fou  » de parures, étincelantes de diamants. Depuis belle lurette, il dessine des pièces uniques, sur commande et sur mesure. Il est lauréat du dernier concours de la Diamond Trading Company (que le grand public connaît sous le nom De Beers-LV), pour lequel il a imaginé un superbe collier-cascade réunissant 300 diamants pour une valeur de 150 carats, entièrement articulé sur des liens d’or brut entrelacés ( lire aussi Weekend Le Vif/L’Express du 10 septembre dernier). Travaillant sans relâche, Jonathan vient de dessiner la collection Delicate, présentée dans un coffret précieux et réunissant sept pendants d’oreilles, en or et diamants, un pour chaque jour de la semaine. Tout est aérien, fin, délicat, léger. Jonathan n’aime pas trop les extravagances ou les bijoux expérimentaux. La féminité avant tout !  » Dans ma boutique, qui ouvrira en 2005, il n’y aura que des pièces uniques, martèle-t-il. De temps en temps, je proposerai une série limitée, telle la collection Delicate. Ce seront vraiment des collections éphémères. La joaillerie doit rester rare et un peu exclusive ce qui ne m’empêchera pas de pratiquer les premiers prix assez accessibles, car je voudrais m’adresser surtout à un public jeune.  »

Des bijoux comme de la marqueterie

Maxe est un créateur bruxellois qui ambitionne de redonner les lettres de noblesse à la canne ( lire aussi Weekend Le Vif/L’Express du 8 octobre dernier). Cela dit, ce jeune homme talentueux a plusieurs cordes à son arc. Dans une vie antérieure, il a travaillé comme antiquaire. Souhaitant ajouter à ses activités la vente et l’achat de bijoux anciens, il s’est formé à la joaillerie pendant trois ans, au Château Massart à Liège. Ses pièces sont travaillées dans un esprit, très classique et toujours mixte, à la fois masculin et féminin. Le best-seller ? Un large anneau en argent ou en or,  » rempli  » de marqueterie, carré ou rectangulaire, mêlant le bois d’amourette et l’ébène. Depuis peu, Maxe utilise d’autres matériaux et remplit le corps de la bague avec une peau de serpent, de crocodile, d’igname ou de grenouille. Le bracelet de force, mêle quant à lui, au choix, l’argent et le cuir ou l’argent et toutes les peaux précieuses. Ses cannes, de véritables bijoux, elles aussi, sont extrêmement prestigieuses et sont travaillées comme un accessoire de mode. Le corps est en bois d’amourette ou en ébène. La bague en argent ou en or et le pommeau en bois ou en cristal. Maxe relève tous les défis et n’hésitera pas à incruster de l’or ou des pierres précieuses dans les commandes spéciales.

Barbara Witkowska

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