Née à Montelupo Fiorentino, en Toscane, la manufacture de céramique Bitossi met, depuis les années 1950, son savoir-faire ancestral au service des plus grands designers. Histoire d’un héritage en perpétuelle évolution qui ne cesse de flirter avec le succès.

« Le monde a changé, il faut changer.  » La phrase lancée par Aldo Londi, en 1946, est celle d’une génération optimiste qui apprend à secouer l’héritage du passé et les canons du bon goût classique pour réinventer les temps modernes. Elle s’adresse à la manufacture Bitossi où le céramiste qui vient d’être engagé en tant que directeur artistique propose une lecture nouvelle du savoir-faire.

Le nom de Bitossi avait déjà été mentionné au xviie siècle dans l’histoire de la majolique italienne, remarquable faïence aux motifs Renaissance et aux reflets métalliques. Sautons les siècles, nous voici en 1921. Le  » cavaliere  » Guido Bitossi, qui a l’âme d’un entrepreneur, fonde une nouvelle manufacture, investit en outillage industriel sans toutefois rompre la tradition artisanale. Rien de très novateur.

Presque trente ans passeront avant l’arrivée d’Aldo Londi, qui développera une démarche personnelle de premiers objets ne ressemblant en rien à ce à quoi l’on pourrait s’attendre. Personnage attentif, curieux de tout, l’esprit constamment en éveil, il ne cesse d’observer l’époque et de réfléchir à son incidence sur l’objet. Ce qui implique une remise en cause des formes, l’émergence d’une nouvelle esthétique.

Un rayonnement international

Au menu des réjouissances : des vases, des coupes, des plats, colorés, striés, incisés, scarifiés, tatoués, aux lignes inattendues, gommées de tout passéisme. Parmi les sept mille pièces inventoriées dans la collection du musée, trente-six, datées des années 1950-1970, sont aujourd’hui rééditées : le vase longiligne  » Don. 1 « , col rayé turquoise et noir sur une base en craquelé blanc, dont on devine encore la perfection du geste de celui qui l’a tourné, le  » 2326  » dans un orange vif et sensuel qui présage les formes pop seventies, le  » 602 « , sublime, 99 exemplaires couleur langouste et patiné gris, estampé de motifs géométriques bruts, très recherché par les amateurs. Mais c’est grâce à l’exotisme méditerranéen de la ligne  » Rimini Blu « , ses effets chromatiques et ses motifs incisés dans la matière, que le nom de Bitossi a rayonné hors frontières dans les boutiques les plus prestigieuses, telles Bloomingdale’s, Harrods, Takashimaya…

Le premier à l’avoir distribué aux Etats-Unis se nomme Irving Richards, créateur de la société Raymor. Entre lui et la manufacture italienne, le feeling passe au point d’envoyer à Aldo Londi des papiers peints et autres dessins new-yorkais comme source possible d’inspiration. Arrive Ettore Sottsass et le temps des formes libres qui remettent en cause les codes rationalistes de la création. En somme, plein d’énergie et de vitalité. Aussi sûrement que le rock’n’roll a bouleversé le monde musical, l’architecte-designer-écrivain, dès les années 1960, a soulevé avec humour la révolution de l’objet design. Un voyage en Inde puis une période de maladie lui suggèrent les  » Céramiques des ténèbres « , emblèmes de réconciliation avec la vie. Entrés dans les collections privées et les musées, ses totems et ses colonnes, estimés, recherchés, cotés, ont aujourd’hui valeur d’icônes.

Aldo Londi a su créer une totale complicité avec ses designers et ses artistes, privilégiant avec eux les valeurs du c£ur, de la main et de l’£il à l’unisson. Et cette valeur ajoutée donne naissance à d’autres belles initiatives. Exemple ? Les pièces emblématiques du groupe Memphis dans les années 1980, signées Nathalie du Pasquier, George Sowden et Matteo Thun. Il y eut aussi Marco Zanini et Mimmo Paladino.

Une créativité foisonnante

Au xxie siècle, la marque renoue avec le brio des décennies précédentes. Il n’y a qu’à voir la collection  » Symbolik  » de Karim Rashid qui jongle avec les couleurs vitaminées et les formes ludiques : des totems, des vases, des coupes poétiques, décrits comme  » des formes communicatives dans le système bidimensionnel pour dresser la carte de mes rêves et de mon imagination « . Arik Levy, on le sait, bouscule les usages. Pour Bitossi, il exploite les qualités de la céramique sous une forme géométrique tubulaire et à la fois anguleuse. Le sujet du diplôme de Ginevra Bocini au St Martins College of Art and Design de Londres ? Imaginé comme un clin d’£il à  » Rimini Blu « , le vase de la fille de Cinzia Bitossi inverse les décors qui ont fait le succès de cette collection. Voici la future génération déjà en marche !

Par Geneviève Dortignac

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