A Girona, entre mer et montagne, Joan Roca est à la tête d’une fratrie doublement étoilée. Josep, le sommelier, et Jordi, le pâtissier, concoctent avec lui une carte unique, aux recettes savoureuses… et aussi précisément étudiées qu’une équation mathématique.

Guide pratique en page 54.

« C’est mon frère Josep qui, un jour, en décryptant un vieux merlot, a mis en évidence deux saveurs, raconte Joan Roca : celle de la truffe et celle des anchois. J’ai donc essayé de reproduire cette combinaison, jusqu’à arriver à un plat que je propose durant la saison des truffes d’hiver.  » Simplement intitulé  » An-chois, truffes et merlot « , ce mets est composé de quatre petits sandwiches de lamelles de truffes, fourrés d’une écume d’anchois, réalisée avec le siphon cher à Ferran Adria ( lire aussi pages 12 à 18). De tout petits carrés de gelée de merlot et une huile aux pignons ponctuent, quant à eux, l’esthétique visuelle et gustative. Ce plat qui participe au succès du Celler de Can Roca, niché à Girona, est tout un symbole, et pour plusieurs raisons. Il allie la mer et la montagne, un accord très fréquent dans la cuisine traditionnelle catalane (Girona se trouve à mi-chemin entre le port de La Escala et les sommets du parc naturel de la Garrotxa et de Vic, un des plus importants marchés aux truffes du nord de l’Espagne). Il traduit le sens aigu de la recherche qui anime le jeune chef espagnol. Et il salue le rôle de son frère Josep, le sommelier surdoué de la maison.

D’autres recettes sont nées elles aussi d’une dégustation £nologique, comme ce foie gras accompagné de lichis, de pétales de roses et d’un sorbet au gewurztraminer. Avec leurs parfums de rose et de lichis, les gewurztraminer, essentiellement les vendanges tardives, signent, en effet, de belles associations avec le foie d’oie ou de canard. Mais les vins ne sont pas les seuls à enclencher le processus créatif. Un paysage bucolique, comme celui de la Garrotxa, peut également constituer le déclic.  » L’idée de la soupe d’herbes de montagne au verjus et aux escargots m’est ainsi venue, un jour que je me baladais, confie Joan Roca. J’ai vu des escargots accrochés à des herbes aromatiques.  » Et c’est aux écumes des vagues de la côte catalane qu’il pense sans doute lorsqu’il prépare un velouté d’herbes anisées à l’eau de mer (prélevée à grande profondeur, microfiltrée et conditionnée dans des ampoules).

L’harmonie ? Une vertu première pour Joan Roca. On dit souvent de lui qu’il incarne une forme de perfection, jusqu’à sa mise vestimentaire, toujours soignée. Les menus et les plats qui les composent se signalent, eux, par la netteté des saveurs, la précision infinie des combinaisons… en un mot la pureté. Comme si le jeune chef espagnol était parvenu, à coups de nuances bien dosées, à résoudre pour chacune de ses créations, une belle équation mathématique, au départ d’évocations sensibles.

Titulaire d’une deuxième étoile au Guide Rouge Michelin depuis l’automne 2001, El Celler de Can Roca est aussi l’histoire peu banale de ces deux frères, Joan et Josep, qui, en 1986, ouvrent un restaurant à côté de celui de leurs parents. Ils ont alors 22 et 21 ans.  » Notre mère a pris la relève de notre grand-mère, précisent-ils en ch£ur. Elle continue à servir une nourriture catalane traditionnelle. Et son restaurant ne désemplit pas, jusqu’à 150 personnes par couvert. D’ailleurs, nous-mêmes, nous mangeons chez elle. Tous les jours à 12 h 30.  » Et puisque le nom de Can Roca (Chez Roca) était déjà pris, les deux frères décident d’appeler leur affaire El Celler (le cellier).

Joan considère aujourd’hui que quatre à cinq ans lui ont été nécessaires pour apprendre son métier après l’école et un séjour chez le Français Georges Blanc. Au début des années 1990, l’Espagne amorce sa métamorphose, emmenée par Ferran Adria ( lire aussi pages 12 à 18).  » Ferran est très généreux, souligne Joan Roca ; il partage ses innovations techniques avec tous ses collègues. On réduit trop souvent sa cuisine à des techniques, sans voir le résultat. Pour moi, il faut pouvoir les maîtriser aujourd’hui, au même titre qu’un beurre blanc.  » Joan Roca s’est lui aussi essayé à cet exercice. Il a même introduit dans les cuisines les plus pointues de son pays du Rooner, un bain-marie thermostatique où l’eau est légèrement agitée en permanence. C’est notamment ainsi qu’il cuit sous vide du poisson (12 min à 55 °C).

Depuis 1978, Joan et Josep ont un petit frère, Jordi, qui les a rejoints en 1999, pour compléter le panorama des délices du Celler de Can Roca grâce à sa formation de pâtissier. Comme ses aînés ont été consacrés respectivement meilleur cuisinier (en 2001) et meilleur sommelier (en 2000) d’Espagne, il s’est arrogé, lui, le titre de meilleur pâtissier en 2002. Parfaitement dans son temps, Jordi a tout d’abord séduit en déconstruisant un cocktail au rhum, pour le transformer en un superbe dessert composé d’une soupe de citrons vert et jaune, d’un biscuit au rhum, d’un granité de menthe et d’un sirop de sucre.

Depuis lors, Jordi n’a cessé de progresser en développant un concept original.  » L’idée m’est venue d’Eternity de Calvin Klein, dit-il. Ce parfum sent la bergamote. Un ami de Josep nous en a fait venir de Sicile et je me suis mis a travailler avec de la mandarine, de la vanille, du basilic, de la menthe.  » Jordi a ensuite adapté les parfums aux saisons. Angel, de Thierry Mugler, est doux, hivernal, avec du miel, du caramel, très dense. En été, c’est Polo Sport pour femme recomposé, entre autres, avec du melon, de la crème de gingembre, du caramel de sirop d’érable.  » Lancôme m’a déjà inspiré à deux reprises, poursuit Jordi. Pour Trésor, interviennent la mauve, une crème tiède de pêche, un sorbet à l’abricot, des nèfles au sirop de vanille et de la gélatine de miel.  » Quant à Miracle, sa dernière adaptation en date, elle comprend, notamment, un granité de pamplemousse, un sorbet de lichis, un nougat transparent de baies roses, une crème au gingembre et deux confitures, l’une de rose et l’autre de violette. Et pour qu’aucun doute ne subsiste, lorsque l’assiette vous est présentée, Josep vous offre une touche olfactive (la tige de carton qu’emploient les parfumeurs), légèrement imbibée de Miracle…

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content