Son fort est l’un des plus beaux du Rajasthan, ses artisans les plus doués du pays et son maharaja le plus charmant du monde… Visite de Jodhpur, la ville bleue aux mille séductions.

Midi. L’air pesant, comme incandescent, fait vibrer le panorama. Des remparts du fort de Mehrangarh, les visiteurs, peu nombreux, observent fascinés deux vautours accrochés à une corniche de la plus haute tour. Leurs becs, semblables à des poignards, dépècent un écureuil du désert. Le son métallique produit renforce le caractère guerrier et barbare dégagé par la forteresse. Mais derrière les rapaces, le regard s’accroche, fasciné, au travail délicat de la pierre: de la fine dentelle, patiemment et amoureusement travaillée, rendant magique ce refuge inexpugnable.

C’est sans doute ce mélange subtil de barbarie et de douceur de vivre des anciens maharajahs qui a séduit depuis des siècles les visiteurs de Mehrangarh. Rudyard Kipling, Jackie Kennedy ou encore Paul McCartney et sa fille Stella, à des époques différentes, ont tous partagés le même sentiment d’admiration pour ce lieu du bout de leur monde. Tandis que Kipling qualifiait le fort de « construction de géants », Jackie Kennedy affirmait y voir ici « la huitième merveille du monde »…

Mehrangarh, son nom que l’on peut traduire par « fort de la majesté », évoque le passé héroïque des princes cavaliers de Jodhpur. C’est en 1459 que Rao Jodha, fondateur de la ville, fait édifier la forteresse en 29 jours sur un socle de grès rouge surplombant la ville et la plaine de 120 mètres. Ses successeurs, tout en continuant à renforcer ses défenses militaires, ont à coeur de continuer à embellir les appartements privés.

La route en lacet qui y mène suscite déjà une curiosité admirative. Dès la première halte devant l’une des sept portes du fort on note les traces de boulets ainsi qu’un cénotaphe dédié à un guerrier valeureux mort durant la bataille sanglante qui en 1808 opposa les maharajahs de Jodhpur au puissant seigneur de Jaipur. A gauche de la troisième porte datant du XVe siècle, la fureur guerrière des hommes s’estompe devant leur vanité: une plaque porte en effet les 15 paires de minuscules mains des femmes du maharaja Man Singh qui en 1843 suivirent leur mari dans la mort en se jetant dans les flammes du bûcher funéraire…

Portes et chemins de ronde austères continuent à monter lentement vers les appartements privés. La pierre rouge semble peu à peu se faire plus tendre et les couleurs gagnent en douceur. Le coeur de la citadelle se transforme soudain en une véritable explosion de douceur de vivre, de luxe et de plaisir. L’un des couloirs qui conduit à l’entrée se pare de panneaux en verre coloré rouge, vert, bleu, en provenance… du Val Saint-Lambert. Après ce caprice royal, on pénètre dans la cour principale où un trône de marbre blanc servit durant de longs siècles au couronnement des souverains de Jodhpur. Enserrant la cour, les façades agrémentées de « jali » aussi finement ajourés qu’une dentelle aux motifs variant à l’infini s’élancent. Ces écrans de pierre ajourés filtrant lumière et chaleur permettaient aux femmes de voir dans la cour sans être vues.

De multiples salles déploient de véritables merveilles, comme des « howdah » (nacelles d’éléphant) en argent ciselé, des armes somptueusement damasquinées ou encore des palanquins dont le ravissant et arachnéen « Mahadol », porté par douze personnes et butin de guerre rapporté par le maharaja Abhai Singh, vainqueur du sultan du Gujarat en 1730.

Aux étages se succèdent les salons du souverain et les appartements privés de ses épouses. Le salon de réception du maharaja est entièrement décoré de peintures murales d’une finesse et d’une préciosité exquises. Au XVIIIe siècle, un peintre y consacra toute sa vie. Mort avant la fin des travaux, le maharaja ne voulut jamais le remplacer. Tout un côté de la salle aux dessins inachevés, permet d’observer le travail fin et délicat de l’artiste.

Couleurs et senteurs

17 heures. Il est temps de quitter les hauteurs de Jodhpur pour aller se perdre dans les ruelles animées de la ville. Un escalier abrupt serpentant entre les maisons mène tout droit au coeur du marché. L’occasion de jeter un oeil dans les modestes intérieurs où les femmes s’activent à la préparation des repas ou au repassage avec d’antiques fers à braises tandis que les hommes tapent la carte. De près, les maisons ressemblent à de coquettes habitations de poupée joliment peintes en bleu électrique. Une couleur voulue, dit-on , par les brahmanes, pour ses vertus: elle éloignerait les moustiques et attirerait le bénédiction divine.

Le centre économique de Jodhpur bat au pied de la colline et autour de l’horloge, un monument bâti par les Anglais durant le Raj et véritable réplique de Big Ben. A cette heure, la chaleur venant du désert de Thar se fait moins oppressante et l’endroit s’anime progressivement. Fruits, légumes, grains, épices s’empilent en de savantes pyramides. Difficile de rater la minuscule boutique de quelques mètres carrés de Mahanlal Verhomal. L’homme, marchand habile et professionnel, attire le passant dans son échoppe. Ouvrant des paquets d’un geste large, il fait sentir une multitude de thés odorants, d’ épices et de mélanges subtils relevant la saveur des mets. Dans un coin, un ordinateur lui permet d’envoyer ses recettes par e-mail et il n’est pas peu fier d’exhiber un épais carnet d’adresses ainsi que d’épaisses liasses de commandes en provenance du monde entier. Difficile de résister à son bagout et de ne pas repartir les bras chargés de nombreux paquets embaumant délicieusement l’air ambiant…

Quelques rues plus loin, les aliments font place aux marchands d’armes ciselées, de jutis – des chaussons brodés en cuir – de vêtements en coton, cachemire ou soie. Avec d’anciens saris brodés de fil d’or et d’argent rachetés dans la campagne environnante, certains artisans réalisent de magnifiques patchworks pouvant servir de couvre-lits ou de tapisseries murales. A l’étage des boutiques, se négocient à des prix défiant toute concurrence la vente de pashmina ou vestes en cachemire. Ici, à mots couverts, on parle de commandes passées par des marques de mode prestigieuses. Là, des tissus ont retenu l’attention de la styliste anglaise Stella McCartney, tandis que l’acteur Jeremy Irons, emballé par les tissus précieux, est reparti avec  » des valises entières »…

L’heure du maharaja

20 heures. La nuit est depuis longtemps tombée sur le palais Ajit Bhawan. Aujourd’hui hôtel de luxe, il comprend quelques chambres et une multitude de petits pavillons disséminés dans un parc à la végétation luxuriante baignée par la clarté bleutée de la piscine. Après avoir admiré une partie de sa collection de vieilles MG, Chevrolet et Buick en parfait état de marche, rendez-vous est pris pour prendre l’apéritif en compagnie du manager de l’hôtel, le frère cadet du maharaja de Jodhpur. La famille royale de Jodhpur, bien que rattrapée par la modernité, reste pour ses serviteurs de véritables chefs traditionnels. Le jeune maharaja Suryaveer Singh, 35 ans, marié et père d’un jeune enfant, vit ici entouré des souvenirs du passé glorieux de ses ancêtres. Dans un coin-bar, brillent doucement les carafes en argent ciselé tandis que sur les murs, des trophées rappellent qu’avant l’indépendance du pays, seuls les souverains avaient le droit de chasser les tigres et les éléphants. Des photos sépia de personnages aux visages hautains sous leurs turbans compliqués évoquent un temps lointain fait de splendeur et de prestige. D’une voix douce, Suryaveer Singh parle de sa passion pour les anciennes voitures, de ses excursions en Jeep dans le désert du Thar et les villages des alentours. Il évoque aussi son jogging journalier qui le mène à deux pas du palais d’Umaid Bhawan, un bâtiment hors norme de 347 pièces, classé parmi les plus grandes résidences privées du monde et propriété de la branche aînée de la famille qui n’occupe que le premier étage, le reste étant transformé en hôtel de luxe. Il raconte aussi que tout petit, il a subi des bombardements de l’armée pakistanaise dont la frontière avec l’Inde n’est qu’à 200 kilomètres. Serein, il veut croire que cela ne se reproduira plus jamais. Une sérénité bien royale pour un noble dont la famille règne ici sans interruption depuis vingt-trois siècles.

Dans les jardins, des tables simplement dressées reçoivent les notables de Jodhpur. Sur une estrade, quatre musiciens et un chanteur égrènent notes et sons mélodieux. Les rires en cascade ponctuent les discours. La nuit s’éternise sur la magnifique ville de Jodhpur.

Chantal Piret

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