En 2009, il fêtera les 25 ans de la marque à son nom. En attendant, le couturier, également directeur artistique de Dior depuis 1997, lance son premier parfum. Entretien dans son QG parisien, transformé pour l’occasion en cabinet de curiosités.

Dans ses collections, on croise les cocottes corsetées et la marquise de Casati peintes par Boldini, la Blanche DuBois d’Un tramway nommé Désir ou les gouailleuses de Pigalle photographiées par Brassaï. Sa dernière fait référence à un poème de l’Anglais Samuel Coleridge, écrit sous opium. Une idée de bohème et de bric-à-brac luxueux, de féminité sulfureuse et de romantisme, de mousselines effleurées et de frémissements de soie, en assemblant les textures, les couleurs, les humeurs…  » Quelque chose de très couture, à la fois moderne et Belle époque, avec une touche de curiosité enfantine. Le parfum de poudre d’une fille qui se maquille, mêlé à l’odeur musquée d’un flacon ancien, à l’exubérance glamour et feutrée des coulisses d’un défilé « , dit le parfumeur Christine Nagel de la première fragrance signée Galliano, qui sort ce mois-ci. Une évocation olfactive de l’univers de Juan Carlos Antonio Galliano, né en 1960 à Gibraltar d’un père plombier et d’une mère au foyer partis s’installer six ans plus tard dans le sud londonien. Conteur insatiable, qui enchaîne les collections, avec en prime, cette rentrée, des bijoux et une ligne pour enfants.

Pas moins de 19 par an, entre Dior et la marque à son nom qu’il a créé en 1984, après avoir été reçu premier au prestigieux Central Saint Martins College of Art and Design de Londres. Lui qui portait, enfant, des tenues blanches amidonnées, avec ses s£urs Rosamaria et Immaculata, nous reçoit dans une version  » sobre  » de sa panoplie de corsaire urbain : cheveux longs, fine moustache, costume noir à revers vernis sur un torse lisse décoré d’un bijou poignard. En ponctuant son discours en anglais de quelques phrases d’un français stylé.

Weekend Le Vif/L’Express : A quand remontent vos premiers souvenirs de parfums ?

John Galliano : Je suis issu d’une culture latine très attentive à l’hygiène et aux parfums. Comme tous les bébés espagnols, on me parfumait avec les produits Nenuco, ma première initiation dans la salle de bains familiale. J’ai toujours été très curieux et je touchais les produits de maquillage de ma mère ou l’after-shave de mon père. J’ai commencé à me parfumer de façon consciente et personnelle vers l’âge de 6 ans. Et j’ai toujours en moi la mémoire olfactive de mon enfance.

Justement, quelles sont les odeurs qui vous ont le plus influencé ?

De Gibraltar, on prenait souvent le bateau pour le Maroc, où j’ai découvert les couleurs et les odeurs des souks. Et puis j’ai eu une éducation très religieuse (j’étais enfant de ch£ur et je jouais de la guitare à la messe…) et le parfum chargé de l’encens m’a marqué. Grâce à ma mère, on a amené toute cette ambiance avec nous en arrivant à Londres, en 1966.

Et aujourd’hui, êtes-vous fidèle à une fragrance en particulier ?

J’en porte beaucoup. Tout dépend de mon humeur, de qui je veux être ce jour-là ou à un moment précis de la journée. Suivant les pays et les endroits où je vais, je rapporte des parfums bien spécifiques. J’adore combiner les essences, les huiles et les crèmes. Je suis le roi des mélanges et je cultive ce mystère ! Le parfum, c’est la touche finale lorsqu’on se prépare, mais c’est aussi le point de départ d’une rencontre, car le sillage que vous laissez derrière vous peut avoir un impact très fort. J’adore cette idée de  » last memory  » qui reste sur les vêtements.

Un parfum qui vous émeut ?

J’ai eu la chance extraordinaire d’être habilleur au National Theatre de Londres quand j’étais étudiant, et je garde à l’esprit les senteurs poudrées et féminines des actrices dans les loges. L’idée de séduction me semble essentielle dans un parfum.

Dans la mode, il y a des odeurs bien spécifiques, notamment dans les ateliers. Lesquelles vous touchent le plus ?

L’odeur des toiles, qui marque le début du processus de création, est pour moi très excitante. Puis vous l’oubliez, tant elle vous enveloppe. Et là, vous sentez le parfum unique des tissus, que j’aime tant couper dans le biais, parce que le mouvement d’une soie ou d’un taffetas fait aussi appel aux sens. Christine Nagel, qui a composé la fragrance de mon parfum, s’est imprégnée de l’odeur de repassage dans les ateliers, où elle a passé beaucoup de temps. Elle a même été voir les broderies merveilleuses de Lesage, avec qui je travaille. J’ai vraiment l’impression qu’elle est entrée dans ma peau, tant elle a saisi l’ADN de Galliano !

A ce propos, comment résumer votre univers féminin ?

En créant ce parfum, c’est comme si j’avais capturé dans une bouteille l’essence de la femme qui m’inspire. Je voulais donner l’impression qu’elle a quitté la pièce il y a cinq minutes, j’ai laissé des indices sur sa personnalité… Cette muse imaginaire m’accompagne depuis mes débuts. Elle apparaît saison après saison d’une façon différente et elle disparaît à chaque fois comme un papillon… Et c’est cette quête qui me fait avancer.

Pour rester dans les sensations, quelles seraient les musiques qui évoquent cette  » Galliano girl  » ?

Les sons d’un violon et d’un piano qui s’échappent d’une pièce en fin de soirée ou très tôt le matin, ou des valses qui enivrent.

Comment s’est passée la création du parfum ?

C’est un procédé complexe et fascinant qui a pris plus d’un an. Il y a eu 336 essais sur le papier, la peau, différentes femmes de mon entourage… Il fallait que je fasse attention à éviter mes moustaches, sinon c’était fichu pour la journée ! J’ai senti des essais partout où c’était possible, mais jamais dans un bureau ! On m’en a apporté backstage lors des défilés, sur les séances photo et même pendant un voyage en Thaïlande. Tout était très passionné. J’avais en tête une fragrance romantique, avec une rose très anglaise et une note poudrée. Son nom de code était au départ  » Cocotte  » et, après toutes ces étapes, on est finalement revenu à cette idée.

Le processus créatif est-il proche de celui de la mode ?

Il est similaire, mais dans un rapport différent au temps, plus long. On a commencé comme une collection, avec une histoire, une muse dont j’ai imaginé la garde-robe et la vie le jour et la nuit. J’ai préparé des tableaux d’inspiration, pour comprendre de quelle façon les coupes et les jeux de transparence de mes vêtements pouvaient être interprétés dans l’architecture du flacon. J’ai beaucoup parlé de la marquise de Casati peinte par Giovanni Boldini (1842-1931), mon tableau favori, qui a inspiré mes recherches sur le biais. D’où ce dégradé métallisé inédit du flacon, qui exprime mon idée de la lumière et du mouvement. J’ai chiné des flacons anciens, parce que je voulais un objet qu’on puisse exposer dans la salle de bains, ce qui n’est pas vraiment la tendance du marché ! Pour le packaging, j’ai retranscrit mon goût des collages, parce qu’ils sont un reflet de la vie et de mes voyages réels ou imaginaires. Le col allongé du flacon évoque ma collection de fin d’études sur les Incroyables, en 1984, avec la rose que j’utilise toujours et le  » G  » gothique de Galliano au sommet.

Vous-même, vous collectionnez les objets. A quel achat récent êtes-vous particulièrement attaché ?

Je suis très chanceux, car je voyage beaucoup pour mes recherches et je m’imprègne complètement des cultures que je découvre : la nourriture, les coutumes, les odeurs… Je ramène beaucoup d’objets qui s’accumulent comme du matériel d’archive. La dernière chose que je me suis offerte quand j’étais à Londres, c’est un original de l’image God Save the Queen avec le portrait de la reine et les graphismes punk de l’artiste Jamie Reid. Un fantasme depuis mon adolescence !

Vous envisagez l’avenir en regardant le passé… Il y a en vous une part de nostalgie ?

Même si je regarde en arrière, je suis avant tout tourné vers demain. C’est essentiel pour moi de comprendre les coupes et les constructions d’avant, de me servir du passé comme d’un socle pour envisager l’avenir. C’est un apprentissage qui permet justement de se libérer de la nostalgie. Par exemple, ma coupe en biais n’a rien à voir avec celle des années 1930.

Vous êtes directeur artistique de Dior depuis 1997 et l’année 2009 marquera les 25 ans de la marque Galliano. Quel bilan dressez-vous ?

Honnêtement, je me sens comme si j’avais quitté l’école hier ! Le temps est passé à une vitesse incroyable… Il y a tellement de gens extraordinaires qui m’ont aidé à être ce que je suis aujourd’hui, comme Joan Burstein, qui a acheté ma première collection, en 1984, pour les magasins Browns de Londres. Et, vingt-cinq ans plus tard, je suis particulièrement fier de lancer un parfum : j’adore l’idée que des gens puissent porter du Galliano sans avoir besoin de vêtements !

Vous ne dessinez pas moins de 19 collections par an. Et pendant les vacances, c’est quoi, votre programme ?

Cet été, comme chaque année, je suis parti dans le sud de la France. Mon planning idéal, c’est l’eau, la plage, le sport, les livres, et je deviens un vrai hippie ! J’adore me laisser happer par les biographies historiques. J’apprends à être contemplatif et à considérer différemment les priorités. Mais, que ce soit au marché du village, en allant voir une expo ou sur un bateau, mes yeux n’arrêtent jamais, même en vacances !

Propos recueillis par Anne-Laure Quilleriet

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