Directeur de création de la ligne Homme de Gucci depuis trois saisons déjà, John Ray a relevé le défi périlleux de succéder avec brio à l’icône Tom Ford. Rencontre avec un Ecossais flegmatique qui fait rimer luxe, classe et tradition en terre italienne.

Il a passé huit ans dans l’ombre de son grand maître avant de voir les spots des podiums se braquer soudainement sur lui. Au printemps 2004, l’inconnu John Ray devient en effet le directeur de création pour les collections Homme de Gucci après le départ retentissant du médiatique Tom Ford. Le défi est immense pour cet Ecossais de 40 ans : il s’agit de maintenir le cap enviable de la prestigieuse maison sans être taxé de piètre copiste ni de s’aventurer dans un style trop personnel. Bref, le cadeau est légèrement empoisonné et a d’ailleurs été fatal à Allessandra Fashinetti, sa collègue nommée en même temps que lui à la direction du style des collections Femme, et qui a été remerciée après deux collections à peine.

Tirant intelligemment parti de l’héritage de Gucci tout en y insufflant une juste dose d’originalité, John Ray a donc fini par imposer son style au c£ur de la maison florentine. Mieux, sa vision de la mode a gagné en douceur et en sobriété, là où Tom Ford se faisait chantre d’un style jet-set, sexy et provocateur.

Rencontre exclusive à Milan avec un homme réservé mais déterminé qui préside désormais à la destinée masculine de Gucci.

Weekend Le Vif/L’Express : La maison Gucci incarne des valeurs de luxe à travers le monde. Mais pour vous, quel est le luxe absolu ?

John Ray : Je dirais que le véritable  » luxe « , aujourd’hui, c’est le temps. Prendre le temps de converser avec ses amis, de voyager, de profiter des petites choses de la vie sans se soucier de rien. D’ailleurs, pour accompagner mes collections, on ne verra jamais d’attachés-cases, mais des sacs de loisirs ou de voyage. Mes costumes ne sont pas faits pour aller travailler, mais plutôt pour se rendre dans des grandes soirées de gala. L’homme de Gucci est un homme libre de toute contrainte.

Quelle fut la tâche la plus délicate lorsque vous avez repris les rênes des collections Homme de Gucci ?

Comme dans toute grande maison, il fallait assurer une continuité dans l’image de la marque. Aujourd’hui encore, ce sont les codes de Gucci qu’il faut continuellement renouveler. Cela fait maintenant neuf ans que je suis chez Gucci et je pense m’en être bien imprégné. Evidemment, avoir succédé à une personnalité comme Tom Ford, que j’admire beaucoup, à la tête des collections Homme, ne fut pas aisé. Mais lorsque je parle de continuité, c’est dans l’idée qu’elle s’inscrit dans toute la vie de Gucci.

On a pu remarquer un gros changement de style dans les collections Homme depuis votre accession à ce poste. Etait-ce une volonté de votre part ou celle de la direction de Gucci ?

Pour ma première collection en tant que directeur de création ( NDLR : celle de l’été 2005), j’avais envie de m’éloigner de l’image de ces dernières années. En collaboration étroite avec la direction de Gucci, nous sommes partis sur l’image d’un nouveau type d’homme qui me correspondait davantage. Il a fallu trouver un juste milieu, on a essayé une collection qui puisse plaire et contenter tout le monde. Mais dans les faits, l’alchimie n’a pas vraiment pris. J’ai compris alors que le compromis ne marchait pas, qu’il fallait vraiment défendre son point de vue à 100 % pour qu’une collection puisse vraiment paraître sincère. On m’a alors laissé plus de latitudes et je suis très satisfait du résultat. C’est une grande part de ma personnalité que l’on retrouve dans mes deux dernières collections ( NDLR : celles de l’automne-hiver 05-06 et de l’été 2006). C’est vraiment moi qui ai décidé du style d’homme à adopter.

Comment concevez-vous une collection et quels sont les points les plus importants pour vous ?

Les tissus et les coupes sont les deux points auxquels je m’attache en premier. C’est d’après ceux-ci que l’on obtient les formes. Les choix de départ sont toujours très difficiles, mais ensuite c’est vraiment une question de précision : la précision de couper la meilleure veste dans le meilleur tissu. Il faut aussi tabler sur un équilibre. Il est primordial d’établir une bonne balance entre le haut et le bas de la silhouette. Il doit se dégager de l’ensemble une harmonie parfaite.

Vous avez d’abord débuté dans la publicité avant de vous tourner vers la mode. Qu’est-ce qui vous fascine dans le monde du vêtement ?

A 23 ans, lorsque j’ai terminé mes études de graphisme en Ecosse, j’ai immédiatement travaillé dans une agence de publicité. Après y avoir passé quatre années, je m’ennuyais beaucoup, je me fichais complètement de mon travail, je voulais juste aller faire du shopping pour essayer des vêtements. J’ai alors réalisé que ma passion résidait ailleurs que dans la publicité et je suis parti à Londres pour étudier le stylisme au Royal College of Art. J’ai toujours aimé le vêtement et j’ai toujours analysé la façon dont les gens s’habillent. Bref, j’ai tout simplement suivi ce qui me titillait au plus profond de moi.

Aujourd’hui, que regardez-vous en premier dans une silhouette masculine ?

La veste et les chaussures. Une veste bien coupée et bien portée en dit beaucoup sur la personnalité d’un homme. Les chaussures également. Les coordonner au reste de l’habillement est toujours délicat. Un mauvais choix de veste passe encore, mais avec une paire de chaussures inadéquate ( il prend un air vraiment horrifié), c’est un désastre !

Quelle est votre vision de l’homme élégant ?

(Il regarde autour de lui en esquissant un petit sourire ironique.) Non, personne ici ! L’homme élégant, pour moi, doit avoir l’air sophistiqué et très intelligent. C’est une manière d’être avec ses habits, des vêtements coupés à la perfection, le souci du moindre détail. Cet homme-là ne peut se permettre d’avoir l’air débraillé. Je ne conçois pas d’ailleurs que l’on puisse porter un jean déchiré tombant au milieu des fesses avec des sweaters presque informes qui laissent apparaître la moitié des sous-vêtements. Voir un tel spectacle me rend malade.

Selon vous, quelle doit être la mission d’un vêtement ?

Révéler la personnalité d’un individu. Bien entendu, le vêtement ne comblera jamais un manque de personnalité, mais tout ce que vous choisissez de porter la mettra en évidence. Vous trahissez, par vos vêtements, votre mode de vie. La manière dont on s’habille traduit aussi un idéal de beauté. Le vêtement est très émotionnel, il peut aider une personne à se sentir différente : plus ou moins en confiance, plus ou moins timide.

Vous-même, comment vous habillez-vous ?

Toujours avec un ensemble veste et pantalon. Il est vraiment très rare que je sois habillé comme je le suis aujourd’hui ( NDLR : il porte un jean sombre et un pull à col roulé très ajusté malgré la canicule qui règne). Là, je me sens vraiment mal ( il éclate de rire). Je ne me sens vraiment pas à l’aise. En fait, je ne porte pas de veste aujourd’hui parce que mon handicap temporaire ne me le permet pas vraiment ( NDLR : John Ray est arrivé avec des béquilles le jour de l’interview à la suite d’un petit accident domestique).

Cela fait neuf ans que vous êtes chez Gucci, on vous a nommé directeur de la création Homme en 2004, un poste des plus instables et des plus exposés à la critique. Comment appréhendez-vous l’avenir ?

Je ne regarde jamais au-delà de la prochaine collection. Mon esprit est de toute façon toujours en éveil car le travail, ici, est acharné. Ne pas me projeter dans le futur fait aussi partie de ma personnalité. Toutefois, cela reste une nécessité dans ce milieu afin de prévenir les déceptions éventuelles. Les événements se précipitent et les certitudes s’envolent. Néanmoins, je pense que j’ai encore beaucoup de choses à donner à la Maison Gucci.

Propos recueillis Cuong Nguyen

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