Ses pièces en satin de soie rebrodé fleurent bon le temps jadis. Bienvenue dans l’univers de Céline Pinckers, jeune créatrice liégeoise qui a fait de la lingerie son terrain de jeu.

C’est un de ces après-midi où le printemps joue les invités surprises. Grand ciel bleu, rayons de soleil plus entreprenants qu’à l’habitude. Céline Pinckers n’en attendait pas plus pour sortir sa minuscule table métallique flanquée de quelques chaises bancales, dans la petite cour de son atelier-showroom. Anjulie Wesel, créatrice du label de sous-vêtements masculins Lady Violette, est de passage. Ça lui arrive de temps à autre, leur amitié remonte à leurs études à l’HELMo, la Haute École libre mosane. Une visite pour travailler en belle compagnie, pour faire un brin de causette aussi. Échange des dernières nouvelles, comme l’inauguration d’All I Need, le concept store vaillamment ouvert par la touche-à-tout Aurore Daerden, fille de, qui propose entre autres la collection de lingerie Céline Pinckers, une première dans la Cité ardente, décidément nul n’est prophète en son pays.

Dans des tasses rondes en porcelaine, le thé vert aux grains de riz soufflés et grillés répand ses effluves exotiques. En sourdine, parvient l’animation d’une des artères commerçantes du centre-ville, située à deux pas du repaire de la créatrice. Pour parvenir jusque-là, il faut emprunter une discrète rue piétonne. Pas de sonnette. Quelques coups frappés à la vitre suffisent, pour accéder à l’univers délicieusement rétro de cette jeune femme de 28 ans. Meubles fifties chinés, boîtes remplies de petits trésors du quotidien, plumes d’autruche, deux tabourets rembourrés de tissus assortis à l’une de ses précédentes collections, plusieurs bustes, une cabine coquine qui cache des films porno du début du siècle, un portant qui rassemble les pièces si douces de sa collection estivale, quelques £uvres d’art contemporain… Et là-haut, une fois grimpé l’escalier de métal blanc, place à l’espace de travail proprement dit : la machine à coudre se repose temporairement sur une grande table en bois – tous les prototypes sont encore réalisés ici -, à côté d’esquisses punaisées au mur et d’échantillons de tissu classés tant bien que mal dans des cartons. Rien de trop rangé, ni de trop désordonné non plus. Juste des traces de vie inhérentes à tout acte de création.

PRENDRE LE TEMPS

Pour l’instant, Céline Pinckers est toujours en train d’imaginer sa collection automne-hiver 12-13, sans plus vouloir respecter le calendrier insoutenable de la mode.  » Qui a dit que tous les six mois, quelqu’un avait nécessairement une nouvelle idée ? Qu’il devait passer à autre chose et oublier ce qui avait à peine eu le temps de s’épanouir ? s’interroge celle qui gère toute seule sa société. Ce rythme est finalement ingrat. J’ai donc choisi de ne plus le suivre. Prendre cette décision a été un vrai soulagement. Je présenterai des nouveautés quand elles seront prêtes. L’idée a heureusement été bien accueillie. Je ne veux pas que l’aspect business prenne le pas sur le reste, ce n’est pas comme cela que j’envisage les choses. « 

En attendant l’aboutissement de sa saison hivernale, zoom sur l’été 2012. L’imprimerie typographique récemment lancée par son amoureux écrivain n’a pas laissé la Liégeoise indifférente, et c’est tout naturellement des gravures d’oiseaux et de fleurs qui l’ont inspirée.  » J’ai baptisé cette collection Wazomu , pour oiseau-mouche en phonétique, détaille-t-elle, tout en se resservant une tasse de thé. Très souvent, le fil conducteur d’une saison apparaît comme une évidence. C’est un détail qui me passionne et finit par tout emporter. « 

Le choix du colibri n’est en rien innocent.  » On m’a déjà comparée plusieurs fois à cet animal. C’est le plus petit oiseau au monde, le plus léger, mais pourtant le plus robuste, capable de franchir de très longues distances. Je trouvais ça assez touchant comme image.  » Dans son vestiaire estival, le volatile laisse son empreinte sur des tulles transparents, avant de venir se poser sous les manches kimono d’une robe. Les teintes sont délicates : nougat, blue grass et noir. On trouve une touche sporty, comme ce short en satin de soie. Et quelques pièces à arborer le jour,  » des blouses, robes et bodies, qui ne doivent plus se cacher, comme le veut traditionnellement la lingerie « . Le style évolue. La délicatesse et les arabesques romantiques typiques de l’Art nouveau font progressivement place à un langage plus géométrique, proche de l’Art déco.  » J’ai imaginé un rayonnement qui part des hanches, en une série de petits plis.  » De la broderie, aussi, pour la première fois :  » J’avais envie de quelque chose de plus direct et épuré que la dentelle. Travailler sur la matière, plutôt que d’apposer des ajouts. « 

Cependant, l’ADN de la griffe reste le même, tout comme l’inspiration puisée dans l’élégance raffinée des années 20 et 30.  » Je suis une grande nostalgique. Je reste fascinée par le temps jadis. Je m’en nourris, pour construire l’avenir « , précise celle qui porte ce jour-là une robe Lanvin vintage. Pas étonnant quand on sait que la jeune femme collectionne les gazettes de mode des Années folles, se protège du soleil avec une ombrelle, ou encore refuse d’enfiler le pantalon, à de très rares exceptions près –  » Je ne sais pas ce qui m’a pris, j’en ai essayé un il y a une semaine. Une sensation désagréable, sans doute parce que cela faisait dix ans que je n’en avais plus porté ! « 

Pourtant, rien ne destinait au départ Céline Pinckers à devenir créatrice de lingerie. Mais la vie est ainsi faite qu’il suffit parfois de se laisser guider. D’emprunter des chemins détournés pour finalement trouver sa voie. À 8 ans, la Liégeoise se rêve danseuse étoile. L’examen d’entrée réussi, elle suit les cours de l’enseignement secondaire artistique.  » J’ai arrêté un an avant la fin, j’étais en train de me rendre malade. C’est un milieu très professionnel, extrêmement peu à l’écoute du corps, alors que je n’étais encore qu’une enfant. J’ai préféré tout stopper, avant de le regretter. « 

Rien n’est cependant perdu, la jeune femme a compris que la création d’un univers scénique lui plaît. Virage vers le stylisme, donc, en vue de créer des costumes pour le monde du théâtre et de la danse.  » J’avais déjà appris à coudre avec ma grand-mère, dont la s£ur était couturière. J’ai choisi d’étudier ici à Liège, à l’HELMo, car la formation y est très technique. Je voulais pouvoir réaliser tout de suite quelque chose par moi-même.  » L’exercice de fin de parcours l’oblige à intégrer une conscience commerciale à ses recherches stylistiques. Mais, étrangement, Céline Pinckers prend goût à cette contrainte.  » J’ai apprécié ce contact direct avec la personne que j’habillais. L’échange de femme à femme. Pouvoir visualiser un vêtement qui serait porté en rue. « 

ELVIS ET MADAME PLUME

Nouveau tournant, direction le prêt-à-porter. La diplômée parfait son apprentissage en s’essayant à l’accessoire, lors d’un stage de plusieurs mois chez Elvis Pompilio, modiste liégeois installé à Bruxelles. Et en approfondissant son amour pour une époque révolue, notamment grâce à une rencontre fortuite avec celle que tout le monde surnomme Madame Plume, une plumassière ayant quatre fois son âge, avec laquelle elle se lie d’amitié. Ses premières pièces, testées dans une boutique liégeoise ?  » Il était possible de s’habiller de pied en cap, en assortissant sa culotte à sa robe !  » Sauf que la réalité est tout autre ; les magasins de lingerie ne veulent pas vendre de prêt-à-porter, et vice versa. Par ailleurs, ses deux collections sont au final bien trop petites que pour exister indépendamment l’une de l’autre.  » Il a fallu faire un choix il y a trois ans, et mon c£ur a penché vers les sous-vêtements.  » Destination finale.

Il faut dire que rien dans ce qui existe alors sur le marché ne lui convient vraiment.  » Les dessous quotidiens ont perdu de leur charme, alors qu’ils occupaient une place très importante au début du siècle. J’ai voulu retrouver un juste milieu, concevoir quelque chose que j’avais envie de porter.  » Pour elle, quoi de mieux que de se prélasser en combinaison. Aucune gêne à rester en nuisette toute une soirée.  » Ou même à jardiner en tenue légère « , rit-elle. Impossible de savoir si c’est vrai, sauf à constater que ses voisins n’ont pas vue sur son jardin, (mal)heureusement…

Son univers désuet si particulier plaît. Underwear, enseigne pointue de la rue Dansaert, à Bruxelles, est la première à lui commander des soutiens-gorge et culottes en satin de soie exclusivement fabriqués dans une petite coopérative française installée dans le Poitou- Charentes,  » j’y tiens pour une question d’éthique, et tant pis si cela implique des prix un peu plus élevés « . D’autres multimarques suivront, en Belgique et à l’étranger, où 60 % des ventes sont désormais engrangées.

À côté de sa griffe qui lui prend déjà tout son temps –  » sauf le dimanche, où je cuisine et m’occupe de faire pousser des légumes  » -, Céline Pinckers donne aussi des cours de coupe et de gradation aux étudiants de la section mode de l’HELMo. Ou réalise des commandes spéciales, comme celle de la jeune compagnie Justice Immanente, qui £uvre à mi-chemin entre le théâtre, la danse et le striptease,  » une belle expérience de création pure « .

Pour le reste, la créatrice ne cache pas qu’il faut s’accrocher. Satanée crise.  » Cela reste très dur. Heureusement, je suis une tête de mule et j’ai un très bon potager, ne peut-elle s’empêcher de plaisanter. On dit qu’il faut du temps pour que les choses s’installent. Trois ans, généralement. Le plus dur serait donc bientôt derrière moi… « 

www.celinepinckers.com

PAR CATHERINE PLEECK

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