Julien Dossena, chez Paco Rabanne

© MICHEL FIGUET

Le contraste pourrait être détonant, un créateur en short de sport dans un espace de travail presque clinique. Ça fait sourire Julien Dossena, il est en mode relax, son défilé Paco Rabanne printemps-été 23 est passé, sa collection terminée, on est dans l’entre-deux, il peut penser à souffler un peu. «C’est un bureau qui fait très bureau, commente-t-il en l’embrassant du regard. Je le voulais assez pur, avec une moquette lilas, un bureau de Norman Foster et, derrière, juste la ville dans ce qu’elle a de plus classique.» Dans les hauteurs de ce navire amiral, rien ne vient distraire la vue sur le ciel et les immeubles de la rue François Ier, le parfait Paris haussmannien fantasmé. «C’est ici que l’on fait les essayages, explique le Français, et quand les vêtements arrivent, il y a une telle richesse de matériaux, de brillance, de couleurs, de métal… c’est donc pas mal de pouvoir les envisager dans cette boîte aux tons presque froids.»

Je voulais un bureau assez pur, avec une moquette lilas.

Depuis dix ans, il incarne l’âme de Paco Rabanne, en renouvelant les archétypes d’une maison décidément révolutionnaire. Le quasi-quadra peut se féliciter de l’avoir fait grandir, «au début on était douze, maintenant, une centaine…» On y compte bien entendu les fidèles de toujours, qui enrichissent sa réflexion. Mais aujourd’hui, l’heure est aux vacances. Ne reste du travail acharné des dernières semaines qu’une boîte pleine de boutons, d’œillets, de crochets en métal, on est bien chez Paco Rabanne. A portée de main, parfaitement taillés, des crayons, car pour mieux expliquer sa pensée à son équipe, il lui arrive de dessiner. Sur un buste Stockman, une robe en latex affiche ses partis pris. «De loin on pourrait croire à une soie glacée, on a retravaillé la matière, je voulais avoir la sensation que l’on a jeté un seau de latex coloré et une sensation d’énergie, de geste comme chez Pollock ou Cy Twombly…»

© MICHEL FIGUET

Julien Dossena a la particularité d’être de ceux pour qui les images comptent. Et les mots encore plus, il cite Maupassant, Annie Ernaux, Joan Didion… S’il n’y a ici pas un seul bouquin, on repère cependant sur le bureau de verre le Go-Sees du photographe Juergen Teller, un recueil de 462 portraits de modèles pris au débotté sur le pas de la porte de son studio. «C’est un livre assez rare, un cadeau. On y trouve toutes les filles des années 1990-2000 qui venaient chez lui pour passer un casting, elles sont dans leurs vêtements de tous les jours, je me suis beaucoup inspiré de leurs looks.» Dans la somme de ses références, on trouve encore, comme en sous-texte, les vibrations du monde comme il va. Voilà pourquoi son automne-hiver 22 est empreint de sérénité, de douceur et l’été 23, électrique comme traversé par une certaine rage. «Pour la collection de la saison, je voulais me faire plaisir et faire plaisir. J’estimais qu’on en avait pris plein la figure, j’étais encore plein d’espoir, je pensais que la sortie de crise serait douce… En fait, pas du tout. L’été prochain est donc une collection un peu énervée, avec l’idée d’une femme combattante, et armée, parce que l’on vit des temps sombres.» Sa bulle feutrée, épurée est décidément totalement perméable, rien à voir avec une tour d’ivoire.

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