Redécouvert par Tom Ford, le designer Vladimir Kagan est plus que jamais l’icône vintage des jeunes générations huppées. Rencontre avec le créateur, dans son appartement new-yorkais, entre ciel et terre, sur Park Avenue.

Carnet d’adresses en page 99.

L e groom maison, un vieil homme, sans doute, qui arrondit ses fins de mois en accompagnant les visiteurs, attend debout dans l’ascenseur de ce gros immeuble classique de Park Avenue. La porte se referme, départ pour le quatorzième étage. A peine ouverte, on plonge directement dans l’appartement de Vladimir Kagan et de son épouse Erica, installés ici depuis le milieu des années 1970. A première vue, la décoration et l’ameublement paraissent bien éclectiques. On y trouve certes des mobiliers signés du designer, mais aussi des meubles hérités autrefois de la famille anglaise d’Erica Wilson.

L’intérieur de Erica et Vladimir est chargé de souvenirs, d’histoires, d’objets souvent insolites qu’on ne s’attend pas ou peu à trouver chez le créateur qui a inspiré à Tom Ford l’ameublement de pas moins de 360 boutiques Gucci dans le monde dans lesquelles trône, désormais, un grand canapé Omnibus signé Kagan.

Vladimir, qui rentre de son footing matinal dans Central Park, cultive une vraie modestie :  » Ce qui est amusant, c’est que depuis plus de cinquante ans, ce que je fais plaît à une clientèle jeune, assez avant-gardiste. La différence depuis les années 1990, c’est que ces gens ont de l’argent.  » A 78 ans, Vladimir Kagan déborde d’activité. Mais sa vie s’apparente bel et bien à une vraie success story.

Vladimir est né le 29 août 1927, à Worms en Allemagne. Venu de Biélorussie, son père Illi, ébéniste, épouse Hilde Wallach, la fille d’un grand négociant en meubles et en objets de décoration de Munich, de 20 ans sa cadette. Jeune, Vladimir peint. Son autoportrait, réalisé à l’âge de 12 ans, témoigne d’une grande maturité. A cette époque, la famille Kagan vient de débarquer à New York, fuyant l’Allemagne nazie. Illi Kagan se fait un peu d’argent en réparant les meubles d’autres immigrants. L’affaire prend de l’essor et Vladimir, jeune diplômé d’une école d’arts industriels de 20 ans, rejoint son père. Beau gosse et sportif, comme en témoigne la première série de portraits réalisés – déjà ! – pour les besoins d’un dossier de presse, il fait preuve d’une étonnante capacité de production. Ses lignes sont modernes. Pour preuve : aujourd’hui encore, ses modèles sont très prisés des collectionneurs et certains d’entre eux ont même fait leur entrée dans les collections de grands musées.

L’atelier familial s’agrandit, des show- rooms s’ouvrent dans plusieurs villes américaines, mais sans que la signature de Vladimir Kagan connaisse cependant la notoriété d’un Mies van der Rohe ou du Corbusier. Pourtant, Kagan excelle dans son genre. Les canapés et les sièges qu’il dessine dans les années 1950, par exemple, témoignent d’un avant-gardisme certain. Aujourd’hui encore, ils restent indémodables avec leurs pieds en aluminium, leur Plexiglas et bien d’autres matériaux ou techniques de pointe.

La crise des années 1980 met un terme à l’activité de l’entrepreneur Kagan. Il ferme ses diverses enseignes et évite de justesse la faillite totale. Lorsqu’il arrête complètement en 1987, c’est sans espoir de reprise, à tel point qu’il se débarrasse même d’une partie de ses archives.  » Fort heureusement, à cette époque, Erica était au sommet de sa gloire. Lorsque je l’ai connue, elle était venue à New York pour donner des cours de travaux d’aiguille ( NDLR : Erica est diplômée de l’école royale britannique de travaux d’aiguille, patronnée en son temps par la reine Mary). Elle a publié plusieurs livres, dont un best-seller qui s’est vendu à 1 million d’exemplaires. Elle a été longtemps l’invitée de programmes télévisés, dont une partie a été enregistrée dans cet appartement.  »

Au début des années 1990, Vladimir Kagan s’adonne à la peinture et à la sculpture. Mais ses créations séduisent à nouveau plusieurs décorateurs qui les redécouvrent dans des galeries de design. Devenue Vintage avant la lettre, la signature Kagan compte ses fans, dont le designer William Sofield. C’est dans la boutique de celui-ci que Tom Ford découvre un modèle de sofa Omnibus – il en existe de nombreuses déclinaisons depuis sa création à la fin des années 1960 – et l’acquiert pour sa maison de Santa Fe. Pour Kagan, une nouvelle vie commence.

Un Omnibus à plusieurs niveaux d’assise trône aujourd’hui dans le salon du designer, juste au pied d’un tableau de Frank Stella. Comme le sofa langoureux Serpentine et d’autres pièces du designer, Omnibus est réédité. Il connaît un grand succès dans sa version  » back to back « , la préférée du designer belge trendy Glenn Sestig.

Vladimir Kagan s’amuse beaucoup de ce succès. L’horizon semble désormais radieux. De nouveaux projets sont nés, comme le sofa Cornet édité depuis 2003 par Roche-Bobois. Dans un autre genre, la marque de boisson Bombay Sapphire a confié à l’Américain le design d’un verre à Martini, dont le pied contorsionné imite une pelure de citron. Le lobby du Standard Donwtown LA, un hôtel design de Los Angeles, avec sa multitude de canapés couleur fuchsia, lui rend, lui aussi, un vibrant hommage.

Même sa salle de bains jaune privée a été copiée pour être  » clonée « . Vladimir Kagan est de retour. Mais est-il jamais vraiment parti ?

Texte et photos : Jean-Pierre Gabriel

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