Le New-Yorkais Karim Rashid est certainement le designer le plus trendy et le plus glamour du moment. Ses créations résolument innovantes et osées séduisent ou rebutent mais laissent rarement indifférent. Rencontre avec un créateur hors norme.

L a signature de Karim Rashid est présente sur bon nombre des produits tendance édités par les plus grandes marques de design et de mode. Il travaille en effet pour Cappellini, Zanotta, Guzzini, Zeritalia, Frighetto, Magis, Foscarini ou encore pour Issey Miyake, Giorgio Armani et Estée Lauder. D’origine anglo-égyptienne û il est né au Caire en 1960 û ce créateur multidisciplinaire a fait des études de design industriel à l’université de Carleton à Ottawa avant de poursuivre sa formation en design auprès d’Ettore Sottsass. Après avoir travaillé quelques années en tant qu’indépendant en Italie puis au Canada, il a ouvert sa propre agence à New York en 1993. Depuis, le bouillant designer a dessiné un bon millier de produits. Son credo ? Une approche holistique et spirituelle du design où l’objet est en totale harmonie avec nos envies et nos sensations.

Weekend Le Vif/L’Express : Que signifie le design pour vous ?

Karim Rashid : Le design, c’est ma raison de vivre. C’est un superbe outil servant à créer un monde meilleur et plus engagé. Il définit nos existences et nos cultures.

Quelle est votre définition d’un bon design ?

Nous vivons dans un monde où il n’y a plus de bon ou de mauvais design. C’est une sorte d’idéal nietzschéen où l’on ne porte plus de véritable critique sur le design. Tout est possible, tout est acceptable. Il y a ainsi une abondance d’objets inspirés du passé. Aujourd’hui, le modernisme est fatigué, le minimalisme est tombé en disgrâce, le post-modernisme est infantile et l’artisanat se voit qualifié de design… En fait, il y a trop d’objets qui ont un style mais pas de contenu. Pour obtenir un  » bon  » design je pense cependant qu’il est indispensable que l’aspect extérieur soit en parfaite adéquation avec l’aspect intérieur. Un design est réussi lorsque notre confort physique est en harmonie avec nos émotions, nos performances, nos besoins et notre plaisir. C’est une approche très holistique visant à satisfaire la condition humaine.

Quelle est votre approche du design ?

J’espère toujours apporter une petite touche d’originalité aux aspects fonctionnels de la vie quotidienne en créant des objets romantiques, poétiques et inspirants. Je n’hésite jamais à concevoir un paysage sensuel, très doux, libre, spirituel, romantique et informel.

Parmi tous les objets que vous avez dessinés, lequel chérissez-vous le plus ?

Celui que je crée en ce moment ! Je suis beaucoup trop occupé pour regarder en arrière. En outre, ce n’est pas très sain de se tourner sans cesse vers le passé, mieux vaut aller de l’avant. Actuellement, je suis littéralement obsédé par la conception de bijoux pour Georg Jensen, le développement d’un gsm, la construction d’un building en Turquie et d’une station de métro à Naples, la mise au point de chaussures en plastique pour Melissa au Brésil, d’une nouvelle montre pour Alessi, de lunettes solaires en titane pour Sceye, d’un nouveau livre pour Taschen qui sortira en avril et d’une multitude de projets pour le prochain Salon du meuble de Milan…

Vos créations sont plutôt funky et colorées. Pensez-vous que le monde dans lequel nous vivons manque d’objets ludiques ?

Nous avons tout simplement besoin d’objets qui nous inspirent, qui suscitent des émotions et qui nous interpellent au niveau du vécu. Nous devons être stimulés tout en étant conscients de nos sensations.

Pensez-vous que vos origines égyptiennes exercent une influence sur votre créativité ?

Jusqu’il y a peu, je pensais que non. Mais lorsque je considère mon travail de ces dix dernières années, j’y perçois des réminiscences de l’art antique égyptien.

En général, quelles sont vos sources d’inspiration ?

Je regarde au-delà du design et de l’architecture. L’inspiration est accumulative. Tout peut être source d’inspiration. Tout dépend de la manière dont vous regardez le monde qui vous entoure. Je suis inspiré par mon enfance, mon éducation, les professeurs qui m’ont donné cours, les projets que j’ai menés à bien, les villes que j’ai visitées, les livres que j’ai lus, les expositions que j’ai visitées, la musique que j’ai écoutée, les odeurs que j’ai senties…

Vous avez dessiné des objets, des meubles, des vêtements… Pensez-vous que tout doit être design et tendance ?

Le design sert à repenser et à faire évoluer le paysage culturel et physique. Ce n’est pas une question de tendances mais de progrès. La forme suit le sujet. Le sujet étant la base servant à la création de la forme. Cette forme doit être agréable et faire partie de nous tous en s’intégrant dans notre paysage naturel. Je suis fatigué du modernisme trendy, du minimalisme, du bon goût et du soi-disant classicisme.

En 2001 vous avez écrit le livre  » I Want to Change the World « … Espérez-vous toujours atteindre ce but ?

Oui, parce que le design change notre vie quotidienne, notre environnement et nos comportements. C’est pour cette raison que je me concentre sur plusieurs points à la fois : production, méthode, matériaux, technologies, confort, comportement, forme, esthétique, coûts, mobilité, transport des biens, facilité de montage, contexte, utilisation et, le plus important de tous, la culture de l’entreprise pour laquelle je travaille. S’il n’y a pas une véritable symbiose entre mes idéologies et les leurs, cela ne donne rien de bon. Le design n’est pas un acte égoïste mais une forme de collaboration.

Pensez-vous que le design change notre mode de vie ou vice versa ?

Dans un monde placé sous le signe du matérialisme, l’idée de la consommation nous fait encore culpabiliser. Mais il est déjà trop tard pour ce genre de sentiment. Pour qu’une entreprise soit compétitive, elle doit accroître son volume de production Les marques créent donc sans cesse de nouveaux produits à un rythme de plus en plus soutenu. La mondialisation est en place. Mais la compétitivité et la liberté d’entreprise ont cependant des conséquences positives. Les entreprises doivent sans cesse innover et améliorer la qualité de leurs produits pour survivre et conserver leurs parts de marché. Tout cela permet d’améliorer nos conditions et nos styles de vie de même que notre bien-être. Les médias nous permettent en outre de mieux être informés sur ce que nous consommons. Grâce à l’Internet, par exemple, nous pouvons découvrir de nouveaux produits, comparer les prix, et, plus important encore, lire les commentaires d’autres consommateurs sur des sites spécialisés. Ces dernières années, j’ai acheté une voiture, une maison, des appareils électroménagers, des livres, de la musique, des vêtements et bien d’autres choses encore sur le World Wide Web. Faire les magasins c’est fastidieux, ça prend du temps et en plus le choix est limité par rapport au shopping centre géant qu’offre l’Internet.

Quel est votre rêve le plus fou en matière de design ?

Etre à la fois robotique et technologique. C’est-à-dire vivre dans un monde contemporain où les coutumes, les traditions kitsch ainsi que les valeurs et croyances traditionnelles n’existent pas. Je souhaite vivre dans un monde hautement technologique et très esthétique où la beauté et la gentillesse dominent. Un monde où le sentiment d’appartenir à une collectivité sera naturel. Une collectivité où la paix, l’amour, la créativité et l’intelligence seront nos seuls désirs.

Comment voyez-vous l’avenir du design ?

Chaque jour de ma vie, je me dis que nous pourrions vivre dans un monde totalement différent. Un monde rempli d’objets, d’espaces, de lieux, d’esprits et d’expériences résolument modernes et sources d’inspiration. Depuis toujours, le design est l’architecte culturel de notre monde. Nous avons conçu des villes, des industries, des systèmes… Je souhaite vraiment que les gens puissent évoluer dans un monde contemporain et se libérer de la nostalgie, des traditions et des rites désuets. Si la nature humaine est de vivre dans le passé, changer le monde par le biais du design est un moyen de changer la nature humaine.

Selon vous, quels sont les challenges que les designers contemporains devront relever ?

Les designers deviendront des sortes d’ingénieurs culturels, de véritables stratèges de la culture. La tendance en design sera l’addition par la soustraction. Quelques objets de grande valeur domineront le marché. Le design offrira aux entreprises de l’originalité et des idées en adéquation avec les problèmes contemporains. Actuellement, il y a peu d’idées déclinées en une infinité de versions. Le design et la production joueront un rôle majeur afin de permettre aux entreprises d’explorer de nouveaux territoires et de découvrir de nouvelles opportunités.

Quels sont vos projets dans l’avenir immédiat ?

Je développe une dizaine de nouveaux projets que j’exposerai lors du prochain Salon du meuble de Milan et je vais publier un nouveau livre intitulé  » Evolution  » qui répondra à nombre des questions que vous m’avez posées. Je planche également sur des écrans LCD, des produits high-tech, un gsm, des produits d’entretien, des bouteilles de shampooing, des cosmétiques, des meubles, des produits pour la cuisine, la déco de restaurants à New York, Long Island, Paris et Moscou, des bouilloires, des tapis, des chaussures, des boîtes de distribution pour les journaux à New York, une bicyclette, des sacs, des hôtels à Londres et Brighton, des accessoires pour chien… Je réalise aussi des installations et des peintures pour, entre autres, des associations caritatives. Enfin, je crée de la musique, j’élabore une exposition rétrospective itinérante pour la Modern Pinacothèque de Munich et je rédige un bouquin pour Taschen qui sera publié sous le nom de Digipop en avril 2005.

Propos recueillis par Serge Lvoff

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