Amanda Sthers, 30 ans, fourmille de projets. A quelques jours du tournage de Je vais te manquer, son premier long-métrage, elle sort un quatrième roman : Keith me, récit étrange, schizoïde et mélancolique sur le guitariste des Stones. Elle nous a offert le café chez elle pour en parler.

C’est la nounou qui répond au parlophone. Indique l’étage et ouvre la porte sur un grand appartement lumineux du xvie arrondissement de Paris. Tout en parquet et murs blancs. Apparaît d’abord un petit bout d’homme de 3 ans, auteur des peintures à l’eau qui sèchent sur la table du salon. Il s’appelle Léon, porte un tee-shirt avec imprimé P’tits légumes. Du nom de l’album jeunesse que sa mère vient de publier pour que lui et son grand frère Oscar apprennent à aimer les haricots et leurs amis les brocolis. Vient ensuite une jeune femme blonde de 30 ans, auteur de quelques pièces et récits remarqués. Elle s’appelle Amanda, porte Converse, jeans et pull bleu nuit comme la couverture du roman qu’elle sort, là, chez Stock. Entre elle et Léon, il y a  » Patrick, le papa de mes enfants qui reste pour toujours dans ma vie  » – dédicace de Keith me. Au détour de quelques phrases couchées en amertume, on y reconnaîtra encore le chanteur à succès rangé dans la catégorie des  » princes qui se barrent tôt ou tard sur leurs chevaux blancs dans des contrées lointaines « . Cela dit, et c’est ce qui rend cette espèce de réflexe autobiographique à la parisienne supportable, les minimes incursions dans la vie privée de l’auteur participent de manière essentielle à la structure plutôt audacieuse et inventive de son quatrième roman.

Résumons simplement. Soit Andrea Stein, alter ego romanesque de A.S., se faufile dans la peau de Keith Richards, revit les expériences du pirate, souffre, rit, baise comme et avec lui. Tantôt revient à elle, raconte son autobiographie amoureuse. Tantôt s’efface derrière sa plume pour romancer la vie du guitariste des Stones. Résultat : une sorte de jam session où les histoires et les identités se répondent, se chevauchent dans une mélodie gonflée par une écriture battue comme un riff de rock and roll. Car Keith me s’entend autant qu’il se lit. Entre prose classique et sursauts de poésie mordant du côté de l’écriture automatique, cet objet littéraire difficilement identifiable se relit d’ailleurs plutôt deux fois qu’une. Comme ces morceaux de musique aux arômes multiples qui nécessitent un bis repetita pour étancher la soif.

Il fallait bien un café pour mettre les choses au clair. Amanda Sthers nous l’a offert dans son grand appart’ à moitié vide. A quelques semaines de son déménagement dans le centre de Paris. Ça sent la transition, la page qui se tourne. Elle est extrêmement douce, posée, économise ses mots, les choisit comme on achète un fruit. Pendant tout l’entretien, on sent un regard. C’est celui de Keith Richards shooté par Jean-Marie Périer qui nargue le salon dans son cadre en verre.  » C’est un cadeau de mon mari. Il me l’a offert pour mes 30 ans. « 

Weekend Le Vif/L’Express : Qu’est-ce qui vous séduit chez Keith Richards ?

Amanda Sthers : Au départ je ne suis pas vraiment fan. Dans l’éternel débat, je suis d’ailleurs plus Beatles que Stones. Cela dit, j’aime les Stones, je trouve leur musique super. Mais ce que j’aime par-dessus tout, c’est l’imagerie qu’ils dégagent. Le départ de ce roman, c’est une interview où Keith Richards raconte qu’il a sniffé les cendres de son père. Cet acte est plein de symboles. C’est à la fois une histoire mêlée d’amour, de haine, d’inceste et de résurrection. Ça m’a donné envie d’écrire.

Se mettre dans la peau du pirate, est-ce un moyen d’éprouver les épreuves qui se logent dans ses rides ? Pour exorciser une douleur, l’évacuer par procuration ?

Dans les sociétés judéo-chrétiennes il y a un ridicule à souffrir quand on vit dans des grands appartements, que nos enfants ont à manger. Que tout va bien, en somme. C’est sûr qu’un idéal brisé ou une histoire qui s’arrête sonne ridicule à côté de la douleur du monde. Prendre comme véhicule quelqu’un qui symbolise cette douleur bien plus fort, ou en tout cas pour qui elle est moins ridicule, c’est plus simple pour un écrivain.

En même temps, dans Keith me, vous avancez à peine masquée ?

Ah bon ? C’est drôle, parce que la plupart des journalistes me disent que c’est mon livre le plus autobiographique. Dans ma famille, par contre, ils trouvent que Madeleine me ressemble beaucoup plus. Dans un roman, on parle toujours de sentiments qu’on a ressentis. Après on les adapte à des situations différentes. Un écrivain qui n’aurait rien vécu pourrait difficilement exprimer quoi que ce soit. Bon, je n’ai pas besoin de prendre de l’héroïne pour raconter Keith. Par contre, si je n’avais jamais été ivre, par exemple, il aurait été un peu compliqué de parler d’abandon de soi.

Plus l’expérience personnelle est intense, plus l’imaginaire est fort ?

On n’a pas besoin d’aller jusqu’au bout des choses mais il faut les effleurer, au moins en avoir envie. En écrivant, je me suis toujours protégée de ce que je pouvais être ou devenir. Le fait d’avoir des enfants aussi protège d’avoir une seringue dans le bras. Je leur appartiens. Ils sont des bouées de sauvetage.

Cette démultiplication des identités n’est pas neuve dans votre univers créatif. Est-ce la conséquence d’une enfance passée sur les genoux de votre père psy à écouter ses patients ?

Je ne pense pas que je sois folle à cause de ça… ( rires) Non, sérieux, c’est vrai ça nourrit la construction de mon imaginaire. J’ai plus de facilité à réinventer un être humain parce que j’ai accepté très tôt qu’on était contradictoire, qu’on n’était pas ce qu’on paraissait. Pour le coup, j’ai lu tout ce que je pouvais sur les Stones et puis je l’ai oublié. Je voulais me fabriquer l’inconscient de Keith Richards.

Comment avez-vous construit votre récit ? Vos propres épreuves privées s’y sont-elles glissées en cours de conception ?

Je sais toujours où je vais. J’écris toujours la fin en même temps que le début. J’ai ma ligne. Comment j’y arrive je ne sais pas. Il y a plein de moments qui m’échappent dans l’écriture et il suffit que je croise quelque chose dans la rue qui me touche pour que ça se retrouve dans mes livres. La rupture que j’ai vécue était trop forte pour ne pas se retrouver dans le roman.

On sent une certaine amertume dans Keith me ; Madeleine suintait le gâchis.  » Life’s shit « , comme dirait Keith ?

C’est drôle parce qu’il y a ce cynisme en moi, cette vision objective de la réalité et de ce que les choses finissent par devenir, les paris perdus. Et puis, il y aussi une vraie naïveté et encore des illusions. Je retombe amoureuse, je crois à nouveau que les choses ne vont pas s’abîmer, que tout est magique. Et heureusement parce que sinon, on devient juste cynique et triste. Mais dans mes livres j’ai du mal à autoriser officiellement cette naïveté à prendre le dessus.

A côté de cette part de  » cynisme « , vous ne manquez pas d’humour. Au contraire. On sait que vous avez écrit pour Caméra Café, pour Arthur. Dans Chicken Street, Madeleine et Le Vieux Juif Blonde, il y a aussi beaucoup de drôlerie…

Je ne suis pas non plus quelqu’un de désespéré… J’ai souvent dit que mes livres ressemblaient à la vie. La vie c’est des moments de chagrins et de rire. J’ai du mal à écrire des choses uniformes. Faudrait que je pleure pendant un an ou que je rie pendant un an, ce que personne ne fait. C’est forcément dans les moments les plus dramatiques que j’ai eu les plus grands fous rires. Mais ce n’est pas que de la survie. C’est mon tempérament. Je me regarde et je m’amuse de moi-même. J’ai du mal à ne pas avoir de second degré. Quand je suis dans une émission de télé ou quand je vous parle et que je donne mon avis, il faut que je fasse semblant qu’il y a un quelconque intérêt pour répondre.

Vous jouez un jeu, là ?

Non, c’est un plaisir de parler et de répondre à une interview. Mais en même temps je ne peux pas commencer à penser que je suis quelqu’un dont la vie compte. Sinon on devient vite un abruti.

Vous aviez déjà écrit une autobiographie (Ma place sur la photo). Qu’est-ce qui vous a motivée à écrire la suite ? Etant donné votre notoriété, se dévoiler n’est-ce pas prendre le risque d’être lue pour de mauvaises raisons ?

Quand j’écris, je ne peux pas penser à cela. Sinon, je suis prisonnière. Puis, vous savez, on me reconnaît de temps en temps, mais franchement j’ai une vie complètement normale. Je n’ai jamais cherché l’exposition avec mon mari. Je crois que les gens qui sont reconnus en ont envie. C’est aussi une question d’attitude. Quand je marche dans la rue en jogging, personne ne me parle. En plus un écrivain ne suscite pas vraiment la peoplelisation. C’est une première chose. Concernant l’écriture, il y a toujours des gens qui lisent pour des mauvaises raisons. Parce que le marketing est bien fait, par exemple.

Vous êtes-vous préparée à affronter une certaine curiosité déplacée ?

Je l’ai affrontée pendant sept ans. Mais si on prend mon livre pour des mauvaises raisons, qu’on le referme et qu’on n’a pas été touché, c’est que, tant pis, je me suis plantée. Par contre, si on l’achète pour des mauvaises raisons et que finalement il parle au lecteur, c’est un roman réussi. Dans ce cas, les raisons de l’achat m’importent peu. J’ai d’ailleurs reçu pas mal de lettres de gens qui m’ont achetée par curiosité et qui ont finalement été touchés. Peu importe les raisons, ce qui serait grave c’est qu’elles persistent à la fin du livre.

Dans Keith me, Andrea est présentée comme l’éternelle jeune fille que personne ne prend vraiment au sérieux. Qui se dit qu’elle doit vivre quelques  » vrais  » malheurs avant d’être reconnue comme artiste. Est-ce que vous avez souffert personnellement de ce sentiment d’illégitimité ?

Je ne ressens aucune culpabilité à être artiste. En revanche, je sais que j’étais déjà écrivain quand j’ai rencontré Patrick, j’ai été traduite dans beaucoup de pays où personne ne sait qui il est. Mais il y a toujours ce doute. Et tant mieux, je garde quelque chose de l’ordre de la fragilité qui ne me dérange pas.

L’écriture est une nécessité, répétez-vous. Que vous apporte-t-elle ?

C’est une douleur et une joie. C’est comme une passion très forte dont on voudrait se débarrasser.

Un labeur ?

Non. C’est comme aimer un homme qu’on ne peut pas aimer. Quelque chose en moi aimerait ne plus être bousculé par l’écriture et en même temps toute ma vie est construite autour d’elle. Donc je ne sais pas comment je réagirais si l’envie n’était plus là. Parce que je n’écris jamais par automatisme.

Redoutez-vous que votre plume meure un jour ?

A chaque livre je pense que ça va s’arrêter. A chaque pièce. Ce n’est pas une peur, c’est plutôt un apaisement.

Que feriez-vous si la nécessité d’écrire des romans disparaissait ?

De la photo. Je shoote pas mal. Des gens, des visages.

Vous ne vous cantonnez pas à votre métier d’écrivain. Le tournage de votre premier long-métrage, Je vais te manquer débute le 15 septembre prochain. Qu’allez-vous nous raconter ?

Ce sont des destins qui se croisent dans un aéroport. Entre Montréal et Paris. Il y a une vraie comédie romantique. Il y a une histoire beaucoup plus sociale – quelqu’un que l’on reconduit à la frontière, qui vit des moments très graves. Ce sera un vrai mélange de genres. C’est aussi proche de la comédie italienne. On passe du rire aux larmes. Les gens qui lisent le scénario le qualifient de  » Love Actually  » en plus grave.

Quel sentiment vous anime à la veille du tournage ?

Je suis contente parce que je pensais que j’allais filer mon scénario à un réalisateur. Mais mes producteurs m’ont convaincue de le réaliser moi-même. Ce qui m’excite et m’effraie. Sinon, c’est un plaisir pour moi de travailler en équipe parce que je suis tout le temps seule avec mon stylo.

D’autres projets cinéma ?

J’ai adapté Thalasso avec Stéphan Guérin-Tillié qui avait fait la mise en scène au théâtre et qui va le réaliser. Au printemps prochain.

Keith me est aussi un hommage à la musique… Quelle place tient-elle dans votre vie ?

Je fais tout en musique. Tout d’abord, j’écris en musique. Keith me, je l’ai écrit avec du rock. Mais pas les Stones. Boy Kill Boy, par exemple. Beaucoup de rock anglais.

Est-ce que ça influence le rythme de l’écriture ?

Oui, beaucoup. Souvent, j’ai un titre associé à un livre. J’ai écrit Chicken Street avec Coldplay. Madeleine, il y a vraiment Brel dedans. Je l’ai écrit avec Damien Rice aussi. C’est vrai, il y a beaucoup de moments où je peux écouter en boucle la même musique quand j’écris, c’est comme un métronome. Une place importante aussi parce que tout le monde fait de la musique dans ma famille. J’ai un frère qui est journaliste pour Rock & Folk et qui a un groupe de rock. Ma s£ur est chanteuse. Mon père avait un groupe de musique avant. Donc quand on fait des fêtes dans la famille ça finit toujours en chanson.

Vous chantez ?

Heureusement non. Je chante quand tout le monde chante pour ne pas qu’on m’entende.

Vous écrivez aussi des textes. En avez-vous en cours ?

J’en ai toujours dans le fond de mes tiroirs. Mais, j’aimerais bien écrire pour quelqu’un. Pour l’instant rien n’est programmé. Je rêverais d’écrire pour Julien Clerc.

Dernière question : justement, quelle question ne vous a-t-on jamais posée, et à laquelle vous aimeriez répondre ?

Bonne question… Ce qui est dommage, c’est que souvent les silences parlent plus des gens que ce qu’ils disent. Et c’est la seule chose dure à retranscrire dans l’écriture. Non, tiens, j’en ai une ! Pourquoi personne ne m’a jamais demandé  » Est-ce que Patrick Bruel vous doit toute sa carrière ?  » ou  » Est-ce que vous pensez que Patrick chante grâce à vous ?  » Le truc totalement inversé…

Propos recueillis par Baudouin Galler Photos : Renaud Callebaut

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