À l’heure où l’on déplie chaises longues et transats, balade dans les coulisses du fabricant catalan de mobilier de jardin. Ou comment concilier succès commercial et passion pour les belles matières et le design.

Manuel Alorda et sa femme, Hanneke Derksen, se sont rencontrés en vacances. Elle venait des Pays-Bas et passait l’été en Espagne, dans l’hôtel familial où Manuel faisait la saison. Ces deux-là ne se sont plus quittés et leur vie professionnelle fut dès lors placée sous le signe du soleil et des loisirs. En 1964, profitant de leur voyage de noces en Hollande et du piston de son beau-père, Manuel décroche un contrat d’importateur exclusif auprès de Kettler, un fabricant allemand de mobilier pour la plage et le camping. Mais, dès l’année suivante, il saute le pas et fabrique sa propre ligne baptisée Kettal. Malgré leurs jolies toiles pop, il fallait être un peu dingue pour vendre transats et pliants à des Espagnols qui, en pleine dictature franquiste, ignoraient jusqu’au sens du mot  » mobilier de jardin  » ! Mais la mayonnaise a pris, notamment grâce à la petite Seat 600 qui mit tout le pays sur la route des vacances. En coulisses, Manuel et Hanneke font tout : designers, ingénieurs, VRP, chauffeurs livreurs et même photographes pour des catalogues hauts en couleur, dont les mannequins en Bikini et chapeau de paille chahutant sur des balancelles ne devaient pas passer inaperçus en ce temps-là !

Viennent les années 80. En pleine movida, Kettal s’embourgeoise en éditant le fauteuil Bambú. Tout droit sorti de La Croisière s’amuse, ce gros club ultraconfortable en tubes plastique imitation bambou fit craquer les stars hispaniques de la chanson et du cinéma et resta vingt ans au catalogue. Désormais, l’avenir de Kettal passera par le haut de gamme. Dans les années 90, l’enseigne rachète d’ailleurs trois marques françaises : Hugonet, dont les créations très French Riviera (aujourd’hui signées Mourgue, Liaigre ou Méchiche) ont toujours fait rêver Don Manuel, mais aussi Triconfort et Evolutif, pour sa maîtrise de la résine.

LES CLASSIQUES DE DEMAIN

Aujourd’hui, le groupe a beau faire partie du top 3 des éditeurs de mobilier de jardin européens, avec 350 employés, trois usines dont une de 52 000 m2 à Tarragone, Grenoble, Guangzhou (Canton) et un chiffre d’affaires annuel de 40 millions d’euros, cela reste une entreprise familiale. Dans le bel hôtel particulier du centre de Barcelone où sont installés ses bureaux, l’ambiance est bon enfant et les patrons charmants. Don Manuel s’y rend chaque jour, en dilettante depuis qu’il a passé le relais à Alex, son fils cadet. C’est ce dernier, convaincu qu’il devait faire appel aux meilleurs pour faire de Kettal une marque internationale, qui commanda une première collection à la designer espagnole Patricia Urquiola en 2007. Le coup d’essai se révéla un coup de maître : belle et nouvelle, la ligne Maia révolutionna le regard sur la marque. Suivront le Néerlandais Marcel Wanders, les Barcelonais discrets et créatifs de l’Emiliana Design Studio (les pots et pouf ZigZag en corde noire, c’est eux), la Néerlandaise Hella Jongerius en 2010 (qui signe le robuste club Bob) et l’Italien Rodolfo Dordoni, dont la ligne Bitta, en lacets de polyester tressé, ne manque pas d’allure. Très impliqué dans le processus créatif, Alex ne lâche pas les designers, veille à ce qu’ils respectent la logique de production, à ce que leurs créations soient aussi belles que pratiques et confortables. Son ambition ? Éditer des meubles intemporels, les classiques de demain.  » Il y a encore du chemin à faire « , affirme-t-il. Alex n’est pas homme à regarder en arrière, même s’il a de quoi être fier. Le gouvernement espagnol lui a décerné l’an dernier un prix  » pour son usage exemplaire du design dans sa stratégie d’entreprise « .

Les chaises et les fauteuils Kettal paradent sur les terrasses des derniers hôtels en vue, du Mandarin Oriental de Barcelone au Yas d’Abu Dhabi. Patricia Urquiola met au point sa future collection 2012. Et, dans l’immeuble voisin, ses parents ont ouvert au public, en 2008, leur remarquable collection d’art contemporain. Débutée pendant leur voyage de noces, elle réunit aujourd’hui des £uvres de Miquel Barceló, Jaume Plensa, Damien Hirst, Eduardo Chillida ou Antoni Tàpies. Le récit d’une vie de passion, de création… et un sacré bout de chemin parcouru depuis les petits pliants en alu !

La marque compte dix boutiques en propre, dont une à Anvers (126-128, Frankrijklei, tél. : 03 232 02 94). www.kettal.com. Fundación Alorda-Derksen, 314, calle Aragón, à Barcelone. www.fundacionad.com

PAR JULIE DAUREL

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