Trop d’exigences, trop de sollicitations, trop de stimulations, trop de violence à la télé… Mise constamment sous pression, la jeune génération devient insupportable et  » ingérable « . Un désagrément qu’il serait possible d’éviter si les parents réapprenaient à respecter la réalité de l’enfant.

Tout esprit honnête est obligé d’admettre qu’un enfant est… un enfant. Il devrait vivre, le temps qu’il faut, dans son monde de rêves et de flâneries, se développer et se construire petit à petit et à son rythme. Or, de plus en plus souvent, les parents ont tendance à l’oublier et précipitent leur progéniture trop précocement dans la vie d’adulte. Incapables de faire face à ces attentes trop élevées, les bambins perdent la boule et les repères, avec, à la clé, des problèmes de stress, d’anxiété, de nervosité et de décrochage scolaire. Le Dr. Jean- Marie Gauthier, pédopsychiatre au Centre Hospitalier Régional de la Citadelle à Liège, professeur à l’Université de Liège, tire la sonnette d’alarme : les parents doivent urgemment replonger les kids dans un cadre familial plus sécurisant et plus adapté à leur niveau. Analyse et solutions.

On dit la jeune génération stressée. Comment cette tension se manifeste-t-elle chez les enfants ?

Le stress est un terme général qui signifie  » contrainte « . Pour le décrire, il faut trouver des indicateurs. Les plus petits, à partir de 4 ans, manifestent leur stress en étant insupportables et invivables. Un peu plus tard, on rencontre le décrochage scolaire. Les enfants se sentent insécurisés et ont une mauvaise insertion à l’école. Le problème commence à se manifester dès l’âge de 10 ans.

Quelle est l’origine du phénomène ?

Le problème fondamental, c’est qu’on ne sait plus ce qu’est un enfant. On plonge les gosses très tôt et trop vite dans le monde adulte qu’ils ne peuvent pas comprendre. Un exemple : ils regardent le journal télévisé où les informations s’enchaînent à toute vitesse. Un adulte arrivera, plus ou moins, à les maîtriser. Mais, pour un enfant, que représentent la fonte des glaciers, les énergies renouvelables ou la crise financière ? On dramatise tout, on vit dans un monde angoissant et angoissé, pour lequel il n’y a pas d’explication. Par ailleurs, des études ont démontré que lorsqu’un enfant regarde un programme agressif ou violent pendant une heure, le risque de comportement agressif est multiplié par quatre. La violence à la télé ou via les jeux vidéo a trois effets : l’invitation à être violent, la banalisation de la violence et, en troisième lieu, la perception du monde comme étant violent. Mais les chaînes qui diffusent en boucle les dessins animés et qui promettent de la distraction à longueur de la journée ne sont pas non plus à l’abri des critiques. Les dessins animés véhiculent des idéologies qui font l’éloge du héros très puissant et dénigrent les relations humaines. Face à ce monde hostile, l’attitude des parents est paradoxale. D’un côté, ils considèrent l’enfant comme un être fragile qu’il faut protéger ou mettre sous cloche et, en même temps, ils le confrontent à des phénomènes violents qu’il ne peut pas maîtriser.

Le problème est-il lié intrinsèquement à l’évolution de la société ?

Oui. Le temps de disponibilité et les valeurs sociales ont changé. Celle qui prévaut aujourd’hui, c’est la possession d’objets. Ce n’est pas l’argent. Or, les parents qui sont au chômage ne peuvent pas répondre favorablement à toutes les demandes. Les parents qui travaillent, en revanche, n’arrêtent pas de courir. Le temps passé en famille se réduit. L’américanisation de la société fait qu’on ne prend plus de repas en commun. Or les repas en famille ont une portée éducative. On n’a plus le temps de parler aux enfants, de leur expliquer les choses pour qu’ils comprennent. De nombreux problèmes naissent aussi dans les familles monoparentales. Il est très difficile d’éduquer son enfant quand on est seul. Un parent qui est dans cette situation devrait augmenter sa référence à d’autres adultes qui ont des objectifs communs et qui pourraient jouer le rôle de tiers.

Et Internet n’arrange sans doute pas les choses…

Non. Internet est un milieu extrêmement violent, il véhicule les images d’agressivité et d’un monde dangereux. Il ne remplace pas la rencontre. Il génère aussi une grande irritabilité chez l’enfant, même si on ne comprend pas encore très bien tous les mécanismes et les interactions entre Internet et la psychologie des petits. Le Web a également tendance à annuler l’espace et le temps. Parmi les facteurs stressants, on peut aussi citer l’absence de séparation entre vie privée et vie publique, à cause de Facebook, notamment. On assiste en outre à un changement de rôles et à des retournements de situation. En ce moment on voit une pub d’un opérateur de téléphone dans laquelle c’est un enfant qui donne des conseils d’achat à son père !

Dans vos consultations, voyez-vous plus de filles ou plus de garçons ?

Environ 80 % de garçons et 20 % de filles, le contraire de la psychiatrie adulte. Ces chiffres sont pareils dans le monde entier. L’explication serait biologique, car les garçons sont plus fragiles sur le plan psychologique. Ils ont des troubles externalisés, ils font plus de bêtises, travaillent mal à l’école. Les filles souffrent plutôt de troubles internalisés, tels la dépression ou l’angoisse.

Quelles sont les solutions et les bonnes résolutions ?

Il faut revenir à l’idée d’une éducation progressive. Le constat est anthropologique. Un enfant reste très longtemps immature, c’est une réalité biologique qui ne changera pas. Il n’est pas un être tout fait. Les dernières maturations cérébrales, en l’occurrence le contrôle des impulsions, se forment autour de 18 ans. Par ailleurs, il est très important pour un enfant d’avoir d’autres références que ses parents. Traditionnellement, l’éducation était confiée à plusieurs personnes : mère, père, grand-mère, grand-père, frères et s£urs. L’enfant, contrairement aux idées reçues, n’était pas élevé par sa mère, mais par tout un village… Et ce village a disparu. L’idéal serait de recréer des espaces sociaux où les enfants pourraient retrouver une référence pédagogique différente des parents. Il semble que l’attitude communautariste fait son retour. Il s’agit peut-être de l’un des effets de la crise, mais c’est un point positif. Enfin, il faudrait sortir de cette angoisse qu’on véhicule en permanence.

PAR BARBARA WITKOWSKA

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