En 2012, le créateur bruxellois Christophe Coppens décidait de mettre un terme à son aventure dans la mode. Installé à Los Angeles, il s’est efforcé depuis de trouver une identité en tant qu’artiste. Un changement de cap qu’il nous raconte en photos.

ENVIE D’AILLEURS

 » Quitter la Belgique en laissant derrière moi mes amis et ma famille m’a beaucoup pesé, mais c’était nécessaire. Trop d’endroits me rappelaient ma vie de créateur. Pour tourner plus rapidement la page, j’avais besoin de prendre mes distances. J’ai aujourd’hui 45 ans ; je ne pouvais pas me permettre de perdre cinq ans à réfléchir à mon avenir. J’ai envisagé de m’installer à Rotterdam, Tokyo ou Madrid, mais deux mois après avoir liquidé mon entreprise, mon partenaire, Javier, s’est vu offrir l’opportunité de suivre un master aux États-Unis en bénéficiant d’une bourse Fulbright. Nous avons d’abord pensé nous installer à New York, où j’ai une soeur, mais après une visite des écoles de cinéma de Los Angeles, le choix s’est imposé de lui-même. Au début, la ville a beaucoup contribué à me faire avancer dans ma quête. On est vraiment influencé par la lumière, ici. « 

LE PIÈGE DE L’ESTHÉTIQUE

 » La première année, j’ai cherché à retrouver une certaine paix intérieure et à panser mes blessures. J’ai beaucoup réfléchi et lu pour alimenter mon esprit et m’ouvrir à d’autres perspectives. Le plus grand défi a ensuite été de me construire une identité nouvelle avec cette masse d’informations. Qu’avais-je à exprimer à ce moment-là en tant qu’artiste ? J’ai dû gratter une couche après l’autre pour atteindre le coeur, le noyau. L’un des grands pièges était celui de l’esthétique, ce désir de tout embellir qui était profondément ancré en moi. Mais je progresse, petit à petit. Pour l’exposition Works on Paper (*), j’ai réalisé une série sur papier, pure et brute, sans fioritures. Je ne me considère pas vraiment comme un peintre, même si j’utilise l’encre et la peinture. J’applique une couche après l’autre, je ponce, j’ajoute à nouveau, puis je laisse le soleil délaver les couleurs et l’eau tout effacer. Le papier, la peinture, l’eau et le soleil sont mes quatre outils. Je suis convaincu que ces quinze réalisations possèdent une énergie très forte, une sorte d’urgence, qui ne se libère que lorsqu’on les regarde. Ce qui m’inspire ? Actuellement, les créations de Forrest Bess et la tradition des oeuvres tantriques. « 

AVEC VUES

 » Long de 77 kilomètres, le fleuve Los Angeles prend sa source dans les montagnes pour se jeter dans l’océan à Long Beach. Ses méandres surgissent un peu partout dans la cité, souvent de façon assez inattendue. Ses eaux coulent pour une large part dans un lit de béton, mais il présente aussi quelques segments récemment réaménagés qui sont beaucoup plus verts. Une rivière bétonnée a aussi quelque chose de romantique. Cet endroit est d’ailleurs un décor de film très populaire et stimule mon imagination. Los Angeles a la réputation d’être une ville animée et superficielle et c’est sûrement vrai pour certaines zones… mais pas pour  » mon  » L.A., avec des districts comme Echo Park, Los Feliz, Downtown, Glendale ou Pasadena. Je prends plaisir à lire mon journal dans un parc ou sur les hauteurs, pour profiter de la vue. Javier et moi vivons à Silver Lake, en pleine nature. C’est un miracle d’avoir trouvé une maison avec un garage, qui me sert d’atelier, dans ce quartier artistique où on trouve tout à distance de marche. Et le glamour d’Hollywood semble aussi éloigné d’ici qu’il l’était de Bruxelles. « 

AFFRONTER SES DÉMONS

 » Lorsque je suis arrivé aux Etats-Unis, j’avais l’habitude d’un rythme intensif – une cadence qui ne convenait pas du tout à mes nouvelles activités. Au début, réfléchir m’apparaissait comme un luxe que je ne pouvais pas me permettre. Ce n’est qu’aujourd’hui, après trois ans, que j’ai trouvé un équilibre entre mon boulot quotidien à l’atelier et des missions ponctuelles, comme la fabrication de masques pour la chanteuse Róisín Murphy. Je suis aussi étroitement impliqué dans le travail cinématographique de Javier. Mes seules routines, ce sont mes deux expressos à midi et ma séance de natation le soir. Cela va changer à partir d’octobre prochain, lorsque je devrai me rendre à Amsterdam toutes les six semaines pour diriger le master Fashion Matters au Sandberg Instituut. Quand on m’a proposé le poste, j’ai d’abord cru à une plaisanterie. J’enseignerais aux étudiants, moi, ce qu’il ne faut surtout pas faire ? Mais en y réfléchissant, je me suis dit que c’était le défi parfait. Après tout, j’ai oeuvré dans les tranchées du monde de la mode pendant vingt-et-un ans, j’ai fait toutes les erreurs possibles et imaginables, je sais exactement où j’ai fait fausse route et j’ai appris pas mal de choses chemin faisant. « 

UTILE SOLITUDE

 » Mon foyer est aujourd’hui l’endroit où je vis avec mon compagnon, mais je me sentirais encore plus chez moi si les autres personnes à qui je tiens étaient un peu moins loin… Un café en vitesse avec quelques amis, un lunch improvisé avec ma maman, ce sont des choses qui me manquent énormément. Néanmoins, cet isolement m’est utile et me force à travailler ; et être souvent seul ne me dérange pas. Parfois, il m’arrive d’aller m’installer dans un diner, un de ces restaurants bon marché typiquement américains, pour lire ou bosser. Je m’y sens chez moi. Los Angeles a beau être une ville animée et à la pointe des dernières tendances, ici, c’est comme si le temps s’était arrêté. J’aime bien m’y asseoir, moins pour le menu proposé que pour les gens qu’on y croise, les serveuses, l’Ice Tea à discrétion. Cela dit, la mentalité européenne me manque aussi. Je ne vais pas rester dans cette mégapole jusqu’à la fin de mes jours, mais pour l’instant, je m’y plais bien.  »

Works on Paper, galerie Stephane Simoens, 7, Golvenstraat, à 8300 à Knokke. www.stephanesimoens.com Du 19 septembre au 20 octobre prochain.

PAR ELKE LAHOUSSE / PHOTOS : CHARLIE DE KEERSMAECKER

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