Au sud-est de l’arc des Caraïbes, la Barbade recèle églises anglicanes, terrains de cricket et champs de courses. On y conduit à gauche et tout s’arrête le dimanche. S’il n’y avait le climat et la population d’origine africaine, cette petite république parlementaire pourrait passer pour une copie tropicalisée de la Grande-Bretagne.

Les Barbadiens ou l’art d’être aimable. Cela se ressent, dès l’arrivée dans cette île plane et piriforme. Sous domination britannique durant plus de trois cents ans, la Barbade se distingue des autres îles des Antilles tant par son l’histoire que par sa géographie. En effet, elle n’appartient pas à la chaîne volcanique des Caraïbes et ne doit son existence qu’à l’activité corallienne, qui l’a doucement élevée au-dessus des eaux. Une journée suffit pour en faire le tour. Elle est baignée à l’est par l’océan Atlantique (ses gros rouleaux font les délices des surfeurs à Bathsheba) et à l’ouest, par la paisible mer des Caraïbes. La brise fait ployer l’omniprésente canne à sucre et fait tourner les ailes du »Morgan Lewis », le dernier moulin bâti sur les plans de colons hollandais venus du Surinam voisin et reconstruit à grands frais. Jadis, l’île en aurait compté jusqu’ici trois cents soit un moulin par plantation! Tous destinés à extraire le jus de la canne à sucre.

Coups de frein, coup de klaxon, Emerson, chauffeur de taxi, salue de la main ses amis qui jouent aux dominos. Installés à la terrasse d’un « rhum shop », ils sont les clients d’un de ces trois mille débits de boissons aux couleurs d’une marque de rhum locale. La Barbade est une grande famille! La petite île, 24 km sur 36 dans sa plus grande longueur, ne compte que 260 000 habitants. Ici, pas de banlieues, pas de bidonvilles mais des « chattelhouses », petites maisons en bois préfabriquées badigeonnées de couleurs pastel, nichées dans des jardins où poussent flamboyants et frangipaniers, bananiers, arbres à pain et cocotiers. Sans ignorer quelque ilôts de forêt primaire où quelques singes grimpent encore à l’assaut des derniers acajous, rescapés de l’exploitation inconsidérée des agrumes.

Pour retrouver des villages de pêcheurs qui ont su conserver l’ambiance d’autrefois il faut aller au Nord comme à Six Men’s Bay. Ici, règne nonchalance et couleurs au rythme du rhum. « Là où il y a une église, il y a un rhumshop » affirme-t-on volontiers. On vient y siroter un punch, célèbre boisson à base de rhum et de sirop accompagnée d’une tranche de « lime » ou d’un zeste de citron. Les touristes, en majorité Britanniques et Américains, affectionnent les séjours balnéaires et la pratique du golf. Toutefois, ils sont peu nombreux à aimer parcourir les 110 km de plages et à apprécier la nature généreuse de l’île. Curieux paradoxe, on trouve de-ci de-là des puits de pétrole au sein des champs de canne à sucre. Les visiteurs (600 000 l’an dernier) se partagent entre les représentants de la classe moyenne britannique, qui rôtissent sur des chaises longues avec en main un verre de Banks, la bière locale, et quelque milliardaires privilégiés. Ainsi en été, tous les samedis, le Concorde, en provenance de Londres, atterrit avec son lot de célébrités. Ces dernières séjourneront au Crane Beach Hôtel, ou mieux encore au Sandy Lane ou bien au tout nouveau Villanova. Certains se « contenteront » de luxueuses villas nichées dans des jardins à la végétation luxuriante.

Les Barbadiens, des « bajans » de couleur à 85 %, apprécient à leur juste valeur la convivialité et la sécurité qui règnent dans leur île. Sans complexe envers leur passé colonial, ils pratiquent la polémique avec ferveur. Ainsi le déménagement éventuel de la statue de l’amiral Nelson, actuellement sur la place des Héros nationaux, mobilise toujours l’opinion. Sa victoire sur Napoléon à Trafalgar aurait permis aux colons anglais de maintenir l’esclavage alors qu’il fut aboli aux Antilles françaises…

Les récoltes de cannes à sucre, l’excellence du rhum et des mélasses constituaient les préoccupations essentielles des « Bims », les Bajans blancs (équivalent des Béké aux Antilles françaises). « Les plantations étaient plus faciles à gérer qu’à la Jamaïque ou à Trinidad, deux autres anciennes colonies anglaises » affirme Gideon, gérant du Waterfront Café qui aime faire goûter son rhum à l’eau, la spécialité de la maison.

Les navigateurs portugais avaient découvert l’île en 1536 et l’ont baptisée « os barbados », la barbue, impressionnés par les banyans et leurs racines aériennes. Quand les Anglais y débarquent à leur tour en 1625, les seuls occupants de l’île sont des porcs sauvages que les Portugais y avaient abandonnés. La dernière puissance coloniale laissera, elle, une population de mangoustes, grandes chasseresses de reptiles, introduites pour annihiler les serpents verts qui affectionnaient particulièrement la canne à sucre. Aujourd’hui, il n’y a plus de serpents et les mangoustes rôdent autour des poulaillers.

Depuis 1979, date de l’indépendance, Bridgetown, la petite capitale, affiche des airs tranquilles. Sauf en semaine sur Broad Street, l’artère commerçante où voisinent banques et bureaux. Le siège du parlement, construit en 1639, joue son petit Westminster. D’anciens entrepôts transformés en restaurants s’alignent le long du quai où s’amarrent les bateaux de pêche au gros et les voiliers de plaisance. Le marché aux poissons permanent est toujours en effervescence. On s’y presse pour acheter barracuda, espadon, mérou et langouste. En été, les poissons volants débités en filets font les délices des bajans. Le samedi après-midi, la Garnison Savannah, le rendez-vous des turfistes, rassemble la grande foule sur le champ de course.

Au rythme du temps passé

Au sein des Antilles, la Barbade est réputée pour la beauté de ses maisons de campagne. Ainsi, St Nicolas Abbey, sur la paroisse de St Peter, qui contrairement à son nom ne fut jamais une abbaye, mais bien une demeure construite vers 1650 au coeur d’une plantation de 170 ha. « C’est la seule maison de la Barbade à disposer de cheminées, preuve que l’architecte britannique qui l’a conçue, ignorait tout du climat de l’île » explique Edwina qui en assure la visite. « L’étage ( NDLR: non visitable) est habité par un célibataire à la retraite, le lieutenant-colonel Stephen Cave qui a hérité des lieux en 1964″, ajoute-t-elle.

Un film retrouvé par le colonel dans un tiroir, et tourné par son père en 1937, rappelle la vie et les habitudes de l’époque. Ecuries, moulin à vent, ruines rappellent son passé glorieux.

Au sud de la ville de Bathsheba, au fond d’une allée de cocotiers, se dressent les colonnes et frontons d’un vaste manoir, un collège théologique anglican, le CodringtonCollege fondé par Christophe Codrington au début du XVIIIe siècle. L’institution a formé les deux tiers du clergé des îles Caraïbes. L’atmosphère british n’est d’ailleurs nulle part aussi sensible que dans ces églises paroissiales perdues dans le cadre verdoyant formé par les manguiers, papayers et palmiers. Parmi ces lieux de culte, c’est St-John, sur la côte Est, perché au sommet d’une falaise où se brisent les vagues atlantiques, qui est le plus émouvant. Dans le petit cimetière derrière l’église, des ex-voto et des dalles rappellent les noms des planteurs des siècles passés. Croix et pierres tombales envahies de mousse créent une atmosphère digne des « Hauts de Hurlevent ». Son hôte le plus remarquable est sans conteste Ferdinand Paléologue, descendant du dernier empereur byzantin, enterré en 1670. L’histoire raconte qu’après avoir combattu Cromwell dans les rangs royalistes lors de la première guerre civile anglaise, il dut trouver refuge en 1645 dans cette île paradisiaque où sa famille possédait de nombreuses terres.

Texte: Gabrielle Lanceleur, Photos: Alfredo Venturi [{ssquf}]

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