Dans La Femme au miroir, le romancier Eric-Emmanuel Schmitt relate l’histoire de trois femmes dont la beauté prend la vie en otage. Comment cela est-il possible ? Nous sommes allés le lui demander.

Dans notre miroir ou dans le regard des autres, c’est d’elle que nous sommes en quête. La beauté, cette vertu moderne. Et si elle n’était pas la promesse de bonheur qu’on lui prête ? Dans son dernier roman, à la fois féministe et féminin, Eric-Emmanuel Schmitt conte avec brio les tourments intimes de celles qui ne veulent pas voir leur vie conditionnée par leur image (*). Elles sont trois, de trois époques différentes. Toutes plus belles les unes que les autres, toutes prisonnières aussi d’un physique qui transforme leur vie en destin. Anne vit à Bruges à l’époque de la Renaissance, Hanna, dans la Vienne impériale, contemporaine de Sigmund Freud. Anny, elle, star du cinéma à Hollywood, vit, ou survit, à l’époque actuelle, entre tournages, amants et paparazzis.

Qu’aviez-vous envie de raconter ?

Ma question, c’était :  » Qu’est-ce qu’une femme regarde quand elle s’observe dans un miroir ? » Ma découverte, c’est qu’il n’y a rien d’intime, qu’il y a là comme une foule qui attend d’elle quelque chose et elle essaie constamment de vérifier si elle est conforme à ça. C’était vrai hier, c’est encore plus vrai aujourd’hui. Parce que mes héroïnes accrochent le désir des autres, leur vie est quasiment fabriquée. Anne de Bruges, par exemple, est regardée comme un joli vase pour porter des enfants. Elle n’est intéressante que parce que sa beauté est transmissible. Anny, qui est célèbre depuis l’adolescence, est devenue un objet de fantasme avant même de savoir si elle était désirable. Leur beauté transforme leur vie en destin, parce que les autres prétendent savoir ce qu’elles doivent en faire.

Il y a pourtant des femmes qui peuvent se servir de leur beauté sans passer à côté d’elles-mêmes.

Bien sûr ! Certaines jouent le rôle que l’on attend d’elles, mais elles s’y prennent de manière rusée, car, en réalité, elles ne font pas de leur beauté le pilier central de leur vie. Le risque, pour d’autres, c’est d’être piégées par ce jeu de la séduction et de ne plus pouvoir exister en dehors de cela.

Être soi-même, ne pas  » capitaliser  » sa beauté, c’est s’exposer au commentaire, à la raillerie parfois…

Se choisir  » soi  » plutôt que  » soi selon les autres « , c’est prendre le risque de décevoir. Je suis toujours admiratif d’une attitude comme celle de Simone Signoret ou de Brigitte Bardot, qui ont fini par refuser leur statut de sex-symbol, par refuser cet enfermement. Ce sont des rebelles. C’est très courageux d’assumer des cheveux gris, le temps qui passe, voire de l’accélérer comme l’a fait Signoret. Mais leur réaction excessive montre bien la violence de la pression qui pesait sur elles. Moi, ce sont ces femmes qui sortent des rails qui m’intéressent.

Dans votre livre, il y a un personnage d’actrice hollywoodienne qui, elle, n’a pas ce courage d’assumer…

Oui, mais elle est lucide. Elle choisit la chirurgie esthétique, même si, devant les ravages de l’âge, c’est un choix un peu désespéré. La société n’oblige pas à avoir recours à la chirurgie, mais elle y invite. J’avais été profondément choqué, il y a quelques années, par une couverture de magazine avec Laetitia Casta. Elle était nue, sublime, mais, en regardant de plus près, j’avais remarqué que pour atteindre une supposée perfection on avait fait un photomontage, et elle avait deux pieds gauches ! On atteint là les sommets de l’aliénation ! Le corps n’a plus le droit d’exister parce que l’image est devenue plus importante que lui.

Votre propos, celui que la beauté puisse être une prison dorée, est assez subversif, non ?

La beauté comme l’absence de beauté, d’ailleurs. La frustration de ne pas être belle, l’obsession de le devenir peuvent toutes deux conduire un destin. Aucun de mes personnages n’est jamais dans la plainte. Ils se reprochent plutôt de ne pas arriver à bien jouer le rôle qui leur est assigné. La force de ces femmes, c’est qu’elles partent avec l’idée qu’elles ont des devoirs vis-à-vis des autres avant de comprendre qu’elles n’en ont que vis-à-vis d’elles-mêmes. Et cette conquête de soi ne passe pas par le miroir. Dans mon livre, ils finissent tous par se briser.

(*) La Femme au miroir, par Eric-Emmanuel Schmitt, Albin Michel, 460 pages.

PAR EMMANUELLE COURRÈGES

 » LE CORPS N’A PLUS LE DROIT D’EXISTER PARCE QUE L’IMAGE EST DEVENUE PLUS IMPORTANTE QUE LUI ! « 

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