Depuis dix ans, ses sacs et chaussures séduisent les modeuses les plus pointues. En cause, un chic indémodable, fait d’élégance et de simplicité. Logique, quand on a fait ses armes chez Chanel et Robert Clergerie.

De sa région natale, Avril Gau a conservé l’accent, mi-chantant, mi-traînant. Une intonation caractéristique de la Drôme provençale et de la petite commune de Die, connue pour sa clairette, un vin pétillant aux arômes fruités.  » J’ai grandi entre le massif du Vercors et les vignes, confie la créatrice d’accessoires, tout en sirotant un déca allongé, dans un troquet du quartier Saint-Germain, à Paris. Même si je suis venue m’installer dans la capitale quand j’étais très jeune, mes racines sont restées là-bas. « 

La Française a d’ailleurs fait le choix de retourner vivre dans le Sud, voilà dix ans.  » La qualité de vie y est tellement supérieure. C’est là que se trouve ma base : ma maison et mes bureaux « , précise celle qui fait néanmoins régulièrement des allers-retours vers la Ville lumière. Pour humer l’air du temps bien sûr, mais surtout pour se rendre dans sa première boutique, inaugurée il y a tout juste deux ans, et en ouvrir une autre, très bientôt, dans le Ier arrondissement.

Quand elle était môme, Avril Gau se voyait bien actrice – elle a d’ailleurs tâté des planches pendant un temps. Ou bien architecte. À moins que ce ne soit philosophe.  » J’avais mille projets en tête. J’ai toujours eu plutôt trop d’idées que pas assez. C’était un peu l’embarras du choix !  » Une chose est sûre, cette fille d’un facteur, agriculteur à ses heures, et d’une mère comptable, ne sera pas comme tout le monde.  » Quelqu’un avait dit un jour : « Avril sera différente ». Il fallait que j’assume et me montre à la hauteur de ce qualificatif.  » Qu’importe l’esprit conservateur qui règne parfois à la campagne, cette petite blonde énergique n’a pas peur de sortir des rangs, pour assouvir son goût pour le beau. Elle customise sa blouse d’école en lui ajoutant des bandes lamé or. Elle rêve de repeindre sa chambre en noir brillant, refus catégorique des parents, mais finit par obtenir que des copines parisiennes lui rapportent un papier peint fleuri Laura Ashley des plus sombres, le must à l’époque.

À l’école, l’adolescente s’ennuie vite. Au lieu de suivre un parcours scolaire classique, elle préfère le pragmatisme des stages et des apprentissages professionnels. Elle expérimente un boulot de dessinateur industriel, de l’encre jusqu’au cou.  » Une erreur complète !  » S’essaie à des projets divers, jusqu’au jour où elle repère une formation dans les métiers du cuir et de la chaussure, l’une des rares qu’elle peut non seulement assumer financièrement mais qui, surtout, satisfait son intérêt pour le stylisme.

Malheureusement, Avril Gau échoue au concours d’entrée, face à plus de 300 autres candidats.  » Je n’étais pas une merveille en dessin « , reconnaît-elle. Tenace, elle tente à nouveau l’examen, un an plus tard. Et, cette fois, le réussit.  » Mon coup de crayon ne s’était pas vraiment amélioré, mais ma créativité a sauvé la mise. L’important est d’avoir des idées. Davantage qu’un beau dessin, c’est l’aspect technique qui m’intéresse avant tout. J’adore concevoir un talon, imaginer une forme. « 

Son style, épuré et géométrique, séduit le chausseur Robert Clergerie, qui la prend en stage, en 1983.  » On pensait que j’avais 15 ans, tellement j’étais petite et fluette ! Mais j’ai réalisé les onze meilleurs modèles vendus durant la saison ; on m’a donc engagée…  » Une école exigeante, mais qui lui enseigne tous les secrets du métier. Avril Gau y restera six ans en tout.

Une pause professionnelle plus tard, le temps de suivre une formation en informatique de gestion à Nice, la créatrice est contactée par Chanel, pour devenir chef de produit en charge des chaussures. La voilà responsable de la collection intermédiaire, entre les accessoires de facture très classiques et ceux, plus show off, qu’imagine Karl Lagerfeld. Entre ces deux extrêmes, Avril Gau conçoit une ligne tout à la fois chic et moderne. À la clé, le succès.

Après onze collections pour la marque au camélia, Avril Gau se laisse convaincre par Calvin Klein, qui la réclame à New York en échange d’un pont d’or. Résultat : démission et une semaine de repérage sur place, histoire de vérifier que ce nouvel environnement lui plaît.  » Bien m’en a pris, car après quelques jours seulement, je me suis rendu compte que j’aurais été malheureuse comme les pierres si j’étais restée. Sur papier, le défi était pourtant attirant, avec le lancement d’une ligne d’accessoires CK. Il était possible de développer de vraies formes. Mais la façon de procéder était tout autre : il fallait établir des boards, proposer 40 ballerines inspirées de la concurrence pour n’en choisir qu’une au final… Inutile, selon moi. Pas besoin de faire tout et n’importe quoi ! « 

La Française décide donc de rentrer au pays sans attendre, et poursuit sa carrière en tant que free-lance. On la retrouve chez Chanel, encore et toujours, mais aussi chez Loewe, Stephane Kélian, Isabel Marant ou Charles Jourdan, notamment. En parallèle, la créatrice imagine des accessoires pour sa propre collection, mais ne parvient pas immédiatement à les produire, faute de temps.  » Je voulais vraiment y arriver, il fallait que j’arrête ces collaborations. L’envie était présente depuis longtemps, mais je devais me sentir suffisamment forte pour me lancer sans filet. « 

En 2002, Avril Gau franchit le cap, et crée sa propre griffe. D’emblée, la sphère fashion loue ses sacs et accessoires rétro et contemporains à la fois, son élégance intemporelle parfaitement dans l’air du temps, son  » chic with a twist « .  » Je ne vois pas l’intérêt de changer à chaque fois les formes et les talons. Même si de nouveaux modèles arrivent chaque saison, il y a un fond de collection qui perdure. Je me dis parfois qu’il faudrait que je sorte du registre classique. Je regarde ce que font les autres, les détails ajoutés à gauche et à droite. J’essaie de faire pareil… avant de tout retirer. « 

Cette quarantenaire, dingue de cinéma italien, trouve son inspiration dans le quotidien. Une idée peut tout aussi bien lui venir lorsqu’elle regarde un film que lorsqu’elle sort d’une gare, se rend chez le dentiste ou observe le haut d’un immeuble.  » Ce qui m’importe, c’est que ma création soit fonctionnelle. Je n’ai pas envie de perdre du temps chaque matin à devoir m’accrocher trois brides au pied. Il faut que mes chaussures soient portables et confortables. C’est le minimum de respect que je dois à mes clientes.  » Ces dernières, justement qui sont-elles ?  » Elles ont du style, un truc en plus et savent ce qu’elles veulent.  » Des femmes actives, élégantes bien sûr, qui ne font pas d’esbroufe. Cet hiver, elles craqueront sûrement pour le contraste des matières d’une botte vert forêt ou pour la simplicité d’un sac marine de qualité.

Carnet d’adresses en page 96.

PAR CATHERINE PLEECK

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