Un appartement de ville ou un coin de paradis ? Artiste peintre et créatrice de bijoux, la nièce de Françoise Sagan a imaginé, au cour de Bruxelles, cette succession de pièces joyeusement colorées où vivre, c’est savourer pleinement le bonheur de tous les instants.

Insoupçonnable. Planté au c£ur d’une prestigieuse avenue bruxelloise, l’immeuble cossu renvoie à un art de vivre bourgeois, sobre et classique. Mais la porte de l’appartement s’ouvre : et c’est l’éblouissement. Amples, généreux, 300 m2 de lumière, peuplés d’un kaléidoscope de couleurs. Que de fantaisie, d’imagination, de légèreté et de joie de vivre. Parfaitement assortie à ce décor, pétillante, drôle et spontanée, Cécile Defforey nous invite pour commencer dans son atelier où elle peaufine une douzaine de nouvelles £uvres, sur toile et sur papier, destinées à sa prochaine exposition collective au château de Fernelmont (*). Réunis sous le thème Loin de tout, des portraits de matelots et des vues à travers des hublots offrent une nouvelle facette de sa peinture dédiée à l’évasion, à l’ailleurs et à l’exotisme. Ses récentes créations de bijoux se faufileront entre les toiles : des interprétations de la faune et de la flore déclinées en bronze et en argent et agrémentées de pierres semi-précieuses.

Imagination, invention, créationà Cécile a suivi la tradition familiale. Française née dans l’Isère, elle a grandi à Paris dans une famille de peintres, de musiciens et d’écrivains. Tous de bons vivants.  » On déménageait tout le temps, je changeais d’école souvent. A une époque j’ai habité chez Françoise Sagan, la s£ur de ma mère. On sortait en boîte tous les jours. A minuit, on achetait des disques sur les Champs-Elysées, à la boutique Symphoniaà qui n’existe plus aujourd’hui, puis on mangeait du chili con carne en face de chez Castel. J’atterrissais toujours dans un monde confortable où il y avait du rêve, de la peinture et de la lecture. Pas de télé. On rêvait sa vie et c’était très amusant. « 

Indépendante, distraite et très mauvaise élève, Cécile quitte l’école à 18 ans et commence à travailler comme étalagiste au Printemps. Son petit ami,  » très beau « , est mannequin. Elle, elle n’est pas mal non plus et tape dans l’£il de Guy Bourdin, de Patrick Demarchelier, de Frank Horvat et de David Hamilton, les photographes stars de l’époque. Ses images glamour envahissent les pages glacées de Vogue et de Harper’s Bazaar.

Un cocon de douceur

La parenthèse mannequinat dure trois ans. Cécile gagne bien sa vie mais s’ennuie beaucoup. La peinture est un bon dérivatif à l’ennui. La rencontre avec le père de son fils, un architecte, est décisive : elle devient artiste peintre à plein temps.  » Ma peinture a beaucoup évolué. Au début, j’étais assez angoissée, mes tableaux étaient un peu sinistres. Un jour, j’ai décidé de laisser tomber tout ce qui fait mal. Si, si, il suffit de prendre cette décision et du coup tout devient plus beau et plus lumineux. « 

La maîtresse des lieux se dirige vers la bibliothèque, sort le livre Propos sur l’art de Henri Matisse et nous lit cette phrase :  » La peinture doit être un lénifiant pour le cerveau fatigué par la journée de travail d’un homme d’aujourd’hui « . Très à l’aise dans cette définition, Cécile ajoute :  » Après être lénifié, on s’envole. C’est là que j’interviens. Ma peinture évite les drames. La maison est un cocon, où l’on ne doit rien trouver d’agressif. La peinture doit être merveilleuse. C’est un ravissement, un kidnapping. Je veux que les gens soient transportés dans un monde d’émerveillement.  »

Ses tableaux, toujours figuratifs, privilégient la faune et la flore, car  » c’est la base de la peinture depuis la nuit des temps « . La nature est idéalisée et humanisée. De petits personnages allégoriques représentent les éléments, les fleurs ont un visage, le ciel est mouvant, humain, comme si la nature respirait autour de nous.

Cécile a exposé à Londres, à Cannes, à Paris et à New York, en fonction de sa vie bohème et nomade. Un jour, elle s’est mise aux bijoux. Pour commencer, elle les a créés, comme cadeau, pour la famille, car  » les boutiques, ça me barbe « . Au fil du temps, les collections se sont étoffées, ont pris le chemin des galeries dont, tout récemment, la Collector Gallery à Bruxelles où Cécile s’est posée il y a quelques années et dont elle apprécie la douceur de vie. Le somptueux appartement qu’elle occupe, flanqué de son interminable terrasse-jardin, y contribue largement.

Des mariages inattendus tout en harmonie

Le plus étonnant dans cet appartement est la manière de se jouer des espaces. Imaginez, par exemple, les 150 m2 du salon à meubler. Une tâche diabolique, mais une parfaite réussite.  » J’aime bien la décoration, car c’est l’extension de mes tableaux, une extension tridimensionnelle. Au lieu de peindre, je mets les objets en scène. C’est le même monde qui se déploie sous différentes formes.  » Collectionneuse passionnée depuis toujours, Cécile a imaginé une cohabitation et une juxtaposition d’univers différents et éclectiques. Des tabourets zèbre voisinent avec des fauteuils syriens incrustés de nacre et d’os, des totems, des paravents et des miroirs vénitiens s’épanouissent un peu partout, des meubles de Piero Fornasetti font un clin d’£il à la table de Yves Klein en Plexiglas, remplie de poudre de couleur  » bleue Klein « , un amusant bar en forme de verre de cognac nargue des canapés hollywoodiens bleu ciel et des coussins en velours rouge en forme des lèvres de Mae Westà

Les couleurs vibrent et s’entrechoquent, les époques s’interpellent et les styles se chahutent dans une liberté extraordinaire et dans un sens du grandiose. On va de découverte en découverteà Ces objets insolites, ces mariages inattendus et ces couleurs inhabituelles donnent à l’ensemble une forte impression d’unité à la façon d’un puzzle où chaque élément est solidaire d’un autre. Aux murs, les tableaux abondent. Il y a ceux des artistes que Cécile affectionne : elle a une prédilection pour la peinture personnelle, exempte de références et craque pour des artistes confidentiels, des esprits libres qui ont subi le moins d’influences possible. Il y a aussi de nombreuses toiles personnelles.  » On m’a dit un jour que ce que je peignais ressemblait à un paradis.  » Nous confirmons. Son appartement est tout en harmonie : un intérieur qui tourne le dos à la réalité quotidienne et vous transporte vers un ailleurs meilleur.

(*) Dans le cadre du festival Fernelmont Contemporary Art, du 18 au 28 juin.

Carnet d’adresses en page 72.

Barbara Witkowska – Photos : Renaud Callebaut

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