A une nuit de train de Pékin, deux localités rescapées de la grande marche vers la modernisation s’ouvrent au monde. Wutaishan et Pingyao offrent la vision unique et complémentaire d’une Chine fervente et intemporelle.

L e train de nuit, parti de Pékin, se prépare véritablement à entrer dans un autre monde. Lorsqu’il s’immobilise avant l’aurore dans une petite gare perdue, aucun de ses passagers n’imagine les émotions qu’il va ressentir d’ici peu… Une émotion précédée par la chaotique mais superbe ascension en bus de l’une des cinq montagnes sacrées de Chine au moment précis où le soleil grignote les monts arrondis et dénudés de la chaîne des Hengshan. Entouré de cinq pics (dont le plus haut culmine à 3 060 m), le bus s’immobilise dans la rue unique du village monastique de Taihuai. En prenant un peu de hauteur, les toits gris et or des temples et monastères forment, au creux de la vallée, des vaguelettes semblables à la surface d’un lac balayé par les vents. Au centre s’élève un imposant dagoba blanc (monument reliquaire ou stupa). Quatorze temples bouddhistes orthodoxes et lamaïstes habités par près de 200 bonzes et bonzesses composent le bourg. D’autres temples, un peu à l’écart, sont quant à eux accrochés aux versants des montagnes. Lieu sacré pour tous les bouddhistes, Taihuai attire aussi bien les Tibétains en pèlerinage que des Chinois venus du pays entier. Toujours très pieux, les premiers en vêtements d’apparats ou enveloppés de poussiéreuses peaux de moutons, censées protéger leurs membres de leurs douloureuses circumambulations, contrastent avec les seconds souvent à la limite d’une irrévérencieuse fatuité. Pèlerins et touristes chinois û savent-ils se distinguer les uns des autres û offrent ici des sommes folles, convaincus de s’attirer les faveurs des grimaçantes divinités, tandis que des litanies pénétrantes se perdent vers les sommets montagneux… Hors du temps, les journées du visiteur étranger se passent à égrainer ces lieux saints, admirant leurs joyaux et saluant les moines souriants.

Le village de Wutaishan est consacré quant à lui à Wenshu, le maître de la Sagesse. Il faut dès lors sans tarder lui rendre hommage en se rendant au temple Pusading (ou Grand Wenshu). Fondé au ve siècle par des bonzes de la secte des bonnets jaunes, ce temple lamaïste trône au sommet du pic Lingjiu. Pour l’atteindre, il faut emprunter, au centre du village, un long escalier de 108 marches. L’effort étant récompensé par le visage serein et apaisant d’immenses bouddhas et de nombreux bodhisattvas (sages). Récemment rénovés, les bâtiments que l’on découvre ici datent, comme les autres temples de la vallée, de l’époque Ming (1368-1644) et Qing (1644-1911). Sur ce toit de la Chine du Nord dans la province de Shanxi, l’hiver se révèle rude et les voyageurs se font rares. Quelques touristes esseulés tâtent de la neige et la plupart des hôtels, pensions de famille, restaurants et petites épiceries, si courtisées par la foule en été, restent soigneusement clos. Deux ou trois jours suffisent pour se pénétrer de l’atmosphère bienfaisante de Wutaishan. Il faut ensuite refaire le chemin inverse pour reprendre un train et poursuivre plus au sud sa découverte vers Pingyao.

Lanternes rouges

Pour changer de train, il faut effectuer un transit obligatoire à Taiyuan, la capitale de la province du Shanxi. Ville sans grand intérêt touristique, Taiyuan, comme les paysages qui l’entourent, sont assez effrayants. Nous sommes ici au nord de l’immense et fertile plateau de l£ss, berceau de la civilisation chinoise que traverse, sur trois provinces, le fleuve Jaune. Avec les villes de Datong, Kaifeng, Luoyang et bien d’autres encore, la région a été l’épicentre des premières capitales impériales du pouvoir Han. Définitivement abandonné après 1126, le plateau du l£ss est retourné peu à peu à la vie rurale. Les beaux reliefs de terre jaune sculptés en terrasses et traditionnellement creusés d’habitations troglodytes sont aujourd’hui méconnaissables. La misère y côtoie d’arrogantes et inépuisables mines de charbon. Exploitées à grand train, elles fournissent de l’énergie à toute la nation chinoise. Mais le prix à payer est terrible et la pollution a fini par tout recouvrir d’un voile noir. Dans ce décor chaotique, impossible d’imaginer que subsiste l’unique ville Han de la Chine ancienne. Pourtant, à 95 km plus au sud de Taiyuan, Pingyao est un lieu en marge du temps. Comme Wutaishan, miraculée de la Révolution culturelle et des pillages sacrilèges menés durant la période communiste, cette cité médiévale a vécu longtemps en vase clos à l’abri de ses superbes murailles. Fortifiée aux premiers jours de la dynastie Ming (en 1370), ses hauts murs (6 à 10 m) s’étendent intacts sur 6,2 km ponctués ici et là par six portes imposantes. Une protection bien indispensable pour cette ancienne cité de marchands prospères qui donnèrent jour aux premiers banquiers de l’empire. Les demeures û mobiliers compris û des principales familles riches, sont aujourd’hui, avec quelques jolis temples, les plus belles attractions de Pingyao. On y découvre notamment les cours d’entraînement et les armes des gardes-experts en Kung Fu qui protégeaient les coffres des banquiers. Dans les rues, une foule de petits antiquaires proposent aux passants de multiples trésors ( beaucoup de belles copies) de peintures, porcelaines, jades et objets usuels en bois précieux meublant autrefois le quotidien des gens ordinaires. Déclaré patrimoine de l’humanité par l’Unesco en 1997, Pingyao se réveille soudain d’un long sommeil de plus d’un siècle et revit par la magie d’habiles artisans restaurant sans relâche cet ensemble miraculeusement préservé de maisons traditionnelles. Au c£ur de la Chine industrielle, ce joyau d’un autre temps, interdit à la circulation des voitures, est une véritable oasis de paix et de beauté. Le voyageur occidental reconnaîtra dans la demeure des Qiao le décor qui a servi au film  » Les Lanternes rouges  » ( » Epouses et concubines « , 1991) du réalisateur Zhang Yimou.

On prend plaisir à loger, dîner et déambuler dans ce véritable décor du passé énigmatique de par la nature même des briques anthracite tandis que l’on peut découvrir les mille et un petits métiers menacés par la modernité. Au détour des ruelles, il n’est pas rare en effet de croiser un artisan brodant des chaussons ou encore un petit groupe de chanteurs d’opéra, et plus loin, un cortège de funérailles dont les acteurs, pourtant bien réels, semblent tout droit sortis d’un conte millénaire…

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