La chronique intime d’une superjournaliste
Journaliste à succès, l’auteure du best-seller Diana : chronique intime lance The Daily Beast, un site Internet qui mixe allègrement politique, scandales et célébrités… tout en préparant un livre sur le couple Clinton. Portrait d’une superpro, hyperenthousiaste et ultrasensible.
Le regard bleu perçant, mais la blondeur enfantine, Tina Brown allie l’aisance et le sourire de la diva des médias qu’elle assure depuis trois décennies déjà. Bottes en cuir à talon aiguille, jupe en tweed ajustée et chemise blanche Ralph Lauren légèrement ouverte sur son décolleté ( » Mon look à la Bernard-Henri Levy « , plaisante-t-elle), elle nous reçoit dans son bureau avec vue sur l’Empire State Building. Louée, enviée, mais aussi parfois accusée de succomber à l’information voyeuse et tapageuse, cette journaliste d’origine britannique continue de créer le buzz. A la tête du magazine Tatler à Londres dès 1979, puis, aux Etats-Unis, rédactrice en chef de Vanity Fair (1984-1992), du New Yorker (1992-1997) et de Talk (1998-2001), elle bouscule la planète média avec son sens de la formule choc, de la photo osée, de l’information salée, toujours prête à faire courir une bonne rumeur et à titiller les neurones.
Une seconde jeunesse
A 55 ans, celle qui pourrait se faire passer pour la s£ur de la princesse Diana, si elle n’était pas déjà sa biographe (The Diana Chronicles, » chronique intime » de la vie de la princesse de Galles, parue en juin 2007, dix ans après la mort de celle-ci, a enregistré un succès planétaire), signe deux nouveaux coups d’éclat : elle vient de lancer The Daily Beast (*) un site Internet qu’elle compare à un » agrégat » de nouvelles fraîches et décapantes, tout en s’attaquant à la rédaction d’un ouvrage sur l’alchimie du couple Clinton.
Couronnée dès l’âge de 20 ans comme une des plumes les plus talentueuses de sa génération, elle se réinvente aujourd’hui sur la Toile, le média né en même temps que ses enfants, George, 22 ans, et Izzy, 19 ans. Et elle qui se présentait comme » la vieille fille » de la presse écrite vit une seconde jeunesse. » Je ne me suis plus amusée à ce point depuis le lancement de Tatler, confie-t-elle. J’avais alors 25 ans ! Je suis devenue une vraie convertie du Net. «
Loin d’en être la pionnière, qu’est-ce que cette quinqua – aussi à l’aise dans les soirées mondaines qu’à un colloque sur la guerre en Irak – pouvait donc bien apporter au World Wide Web ? » La sensibilité « , répond-elle tout de go. Cette pro des médias, qui n’avait pas hésité, en 1991, à faire poser une Demi Moore nue et enceinte en couverture de Vanity Fair, et qui a pris sous son aile des photographes comme Helmut Newton et Richard Avedon, continue à exercer son flair légendaire… Sauf que cette fois, elle le fait via un écran d’ordinateur. Une révolution copernicienne, ou une seconde naissance, pour cette femme qui a le journalisme chevillé au corps, qui affirme retrouver » la magie et l’excitation de l’enfance face aux vidéos en ligne « , par exemple. Mais la grande dame de l’info n’en oublie pas tout son savoir-faire, ni ses arguments de vente. » L’idée est de faire gagner du temps à nos lecteurs, martèle-t-elle. En organisant des raccourcis vers ce qui est le plus intéressant, nous offrons une page alternative pour une audience sophistiquée. «
Avec à sa tête un nom qui équivaut à une marque, le site de Tina Brown est entièrement financé, à hauteur de 18 millions de dollars (environ 14 millions d’euros), par le magnat des médias Barry Diller. En attendant la rentabilité. Ses bureaux ultramodernes sont perchés dans un petit bijou de verre poli signé Franck Gehry, dans le quartier de Chelsea, au c£ur de New York. Son plan d’attaque ? » Nous choisissons dix nouvelles par jour, que nous trouvons intéressantes, stimulantes, provocatrices. Nous essayons de puiser dans des sources d’information qui ne sont pas traditionnelles. Mais ce peut être aussi un article politique très intéressant du Washington Post, un blog du Guardian, ou un sujet culturel du Los Angeles Times. «
Plumes célèbres et oiseaux rares
The Daily Beast fait aussi appel à des plumes célèbres ou à des oiseaux rares, calés dans un domaine, qui lui prêtent leur collaboration. Ce fut le cas notamment de Bill Clinton qui a joué les critiques littéraires. Car l’autre secret de Tina Brown, c’est son Rolodex de contacts. » Après avoir dirigé quatre magazines, avoir eu mon émission télé et avoir écrit un ouvrage, j’ai beaucoup d’amis dans les arts, la culture et la politique. Mais j’essaie toujours de leur faire partager leur point de vue sur ce qui les intéresse. Je ne vais pas demander, par exemple, à Bill Clinton d’écrire sur Britney Spears, même si cela serait bon pour la fréquentation du site. «
Quelques semaines après son lancement, The Daily Beast – dont le nom est tiré du roman d’Evelyn Waughan, Scoop, une satire du monde de la presse – vole déjà vers la consécration, avec deux millions de » hits » par jour. A la Une, le gros titre du jour devient une » big fat story » : l’info, sérieuse ou non, mondaine ou son contraire, qui alimente les conversations et fait couler de l’encre. Ce peut être une galerie photos de la garde-robe de la future First Lady Michelle Obama, ou les détails du fameux plan de sauvetage de l’économie américaine… Ou encore la sortie du dernier CD de Carla Bruni…
Comment Tina Brown fait-elle son choix ? » C’est là qu’entre en jeu la sensibilité. Je pense que nous aimons tous varier nos intérêts. Sans aller dans le très-très bas, je pense que l’on peut apporter une approche culturelle au phénomène des célébrités par exemple. «
Star parmi les stars
Les stars : un monde que Tina Brown connaît parfaitement bien et où elle a trouvé sa place. Avec Harry Evans, son mari de 25 ans son aîné, qui a longtemps dirigé le Sunday Times de Londres, la New-Yorkaise d’adoption est connue pour ses dîners où se mélangent les personnalités les plus en vue du monde politique et littéraire, comme Al Gore, les Kennedy ou encore Salman Rushdie. Certains diront qu’elle soigne ses contacts… Elle parle tout simplement d’enthousiasme. » J’adore rassembler les gens. Si un éditeur me demande, par exemple, d’organiser une soirée pour un auteur, je ne sais pas dire non. »
Quoi d’étonnant dès lors que la journaliste hors pair choisisse le couple Clinton pour ses prochaines » chroniques « , à paraître en 2010 ? » Je suis fascinée par Bill et Hillary, par leur tandem, par la façon dont leur vie émotionnelle et leur vie politique n’en finissent pas d’être enchevêtrées, par leur pouvoir aussi « , assure celle qui a soutenu, l’été dernier, l’ex-Première Dame pendant les Primaires américaines.
Fan d’Hillary
Alors que les rumeurs allaient bon train sur les intentions du nouveau président américain Barack Obama de choisir son ancienne rivale comme secrétaire d’Etat, Tina Brown s’était quelque peu rebellée dans un article paru dans The Daily Beast. » Hillary aurait dû remporter la nomination. Elle aura dû se faire offrir la place de vice-président. Maintenant, on lui propose un poste selon les termes du vainqueur. A prendre ou à laisser. » Mais le jeune président démocrate va avoir besoin de son aînée, » comme Batman compte sur Robin « , prédisait la journaliste.
Depuis, Tina Brown a mis de l’eau dans son vin, jusqu’à parler de » miracle » à propos de la victoire du jeune sénateur de l’Illinois. » Je pense que c’est tout à son honneur que Barack Obama ait mis de côté leurs vieilles rivalités et va faire d’Hillary la première personne de son cabinet. Je crois qu’il a réalisé qu’avec la crise économique actuelle, il va avoir besoin de cette énorme superstar pour s’occuper des dossiers comme l’Irak, l’Afghanistan, Israël et l’Iran. Et que même avec toutes les valises qu’il traîne, Bill Clinton reste un incroyable diplomate et ambassadeur pour notre pays. «
Pour se consacrer à son ouvrage sur le couple vivant le plus célèbre de la politique américaine, Tina Brown se retire dans sa maison de Quogue, dans les Hamptons. Son moment de détente préféré ? S’étendre à une extrémité du canapé, sa fille Izzy face à elle (celle-ci aurait hérité de la belle plume de sa mère), et papoter. Mais la fièvre créatrice ne lui donne que peu de répit. » J’adore travailler avec les écrivains, échanger des idées, c’est ce qui m’anime. Et quand on vieillit, il faut s’activer davantage, et non pas ralentir. C’est comme pour perdre du poids « , lâche la journaliste, qui n’est jamais à un grand écart (d’idées) près !
(*) Internet : www.thedailybeast.com
Elodie Perrodil Photos : Chris Maluszynski
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