Et si la nouvelle recette beauté imparable, c’était d’être bien dans son âge… à tout âge ? Pour délivrer ce message, la pub aussi fait le pari de la quinqua qui s’assume et ne cherche plus à paraître plus jeune à tout prix.

Il y a des chiffres qui ne trompent pas : toutes les trois secondes, une personne passe le cap de la cinquantaine dans le monde. Conséquence logique de ces anniversaires en rafale ? D’ici à 2020, un quart de la population mondiale aura plus de 50 ans. En Europe et au Japon, la barre des 50 % sera même franchie. Et l’on ne s’arrêtera pas là. Dès 2050, la probabilité de vivre centenaire atteindra les 30 % dans les pays développés. Cet allongement constant de l’espérance de vie a déjà des implications sur le marché de tout ce que recouvre la notion de soins  » anti-âge  » aujourd’hui. Et pour cause : selon une étude commandée par Darphin, qui fait partie du groupe Estée Lauder, les quinquas, qui mènent globalement une vie deux à trois fois plus saine que les plus jeunes, contrôlent plus de 40 % des dépenses globales ! A l’échelle mondiale, ce segment bien particulier de la population représente à lui seul l’équivalent de la moitié de la population chinoise, ce qui fait de ces femmes le groupe démographique de consommateurs le plus important de la planète.

 » Pourtant, elles ne se retrouvent pas dans la manière dont l’industrie de la beauté s’adresse à elles, constate Lana Glazman, vice-présidente global consumer insight pour Darphin. Sans doute parce que les marques leur envoient des messages contradictoires. D’un côté, elles les encouragent à être elles-mêmes, de l’autre, elles les poussent à acheter des produits pour paraître plus jeunes. Or, ce n’est plus nécessairement ce que veut la gent féminine. Son âge, elle ne le perçoit plus comme une contrainte. Et elle refuse par-dessus tout qu’on en parle comme si c’était une maladie !  »

Sur les emballages, les mots  » anti-âge  » ou  » antirides  » se font par conséquent de plus en plus rares, laissant la place à des termes à connotation moins combatives et plus positives – comme Haute Exigence Jour chez Clarins – ou se focalisant davantage sur le résultat escompté – comme Le Lift de Chanel – que sur le problème à cibler.  » Le discours militant assez agressif, plutôt « anti », ne fait plus mouche, souligne Laurent Venot, directeur général L’Oréal Produits Publics en Belgique. Les femmes ont intégré que les rides font partie du processus naturel de vieillissement et qu’elles peuvent être belles avec. S’il paraît vain de vouloir à tout prix lutter contre elles, on peut en revanche vouloir estomper certaines choses, prendre soin de sa peau autrement parce qu’elle a d’autres besoins.  »

LE POIDS DES MOTS

Si le nombre de références ciblant les 45 + ne cesse d’augmenter, rares sont pourtant les labels qui acceptent de mentionner l’âge de la cible dans la notice – sur le pack et dans les pubs, c’est tout simplement exclu – et encore moins d’adresser frontalement la question encore taboue de la ménopause qui pourtant a des conséquences directes et connues sur l’état de la peau. Ce que l’on explique chez Darphin par la nécessité pour l’industrie cosmétique de continuer à faire rêver.  » Nous ne sommes pas là pour proposer des solutions médicales, note Lana Glazman. Pour tous les problèmes fonctionnels directement liés à la ménopause, la femme ira voir son médecin. Nous devons rester aspirationnels, donner des ailes aux femmes au lieu de les culpabiliser.  »

Toutefois, là aussi, le discours change… progressivement. Ainsi, Vichy – dont les produits sont vendus en pharmacie – n’hésite pas à appeler un chat un chat, revendiquant même son statut de pionnier de la  » cosmétique ménopause « . Chez Clarins, on admet, même sur l’emballage du soin Haute Exigence Jour, cibler  » les modifications hormonales liées à l’âge  » grâce à un actif végétal aux propriétés redensifiantes exceptionnelles. Pour accompagner le lancement de son best-seller reformulé, l’entreprise se rapproche même volontiers de la consommatrice visée en choisissant pour sa campagne une actrice américaine de 48 ans prenant la pose sans retouches devant l’objectif du photographe des stars, Patrick Demarchelier. Un pas franchi par L’Oréal Paris depuis quelques années déjà.

 » Longtemps les égéries ne dépassaient pas les 30-40 ans, reconnaît Laurent Venot. On ne ciblait pas non plus directement le marché des quinquas et plus. On se disait qu’on les toucherait par débordement de nos gammes existantes. Puis, en 2009, nous avons « signé » avec Jane Fonda qui avait déjà passé 70 ans à l’époque. Nos consommatrices nous ont alors fait savoir qu’elles étaient sensibles au fait que nous avions ainsi démontré que l’on pouvait encore être belle et attirante dans cette période de la vie ! Et ce retour nous a confortés dans l’idée de continuer dans cette voie.  » Depuis lors, la marque s’est adjoint les services de plusieurs super quinquas comme Inès de la Fressange et Julianne Moore.  » Andy MacDowell qui a rejoint la « dream team » L’Oréal Paris alors qu’elle avait la trentaine a vieilli avec nous, renchérit Laurent Venot. Cette nouvelle stratégie nous a réellement permis d’aller chercher de l’extra-croissance. Et nous poursuivrons très certainement nos recherches et nos études visant les habitudes de consommation de ce segment de la population.  »

Le poids lourd de la grande distribution est loin d’être le seul aujourd’hui à suivre cette démarche. Ainsi, alors que Stephanie Seymour, 45 ans, est annoncée chez Estée Lauder, Julia Roberts, 46 ans, est le visage de la gamme de soins visage premium chez Lancôme, Dior et Biotherm préférant mettre en scène une femme au début de la quarantaine – Eva Herzigova et Amber Valletta respectivement – et ce, même si la cible visée a certainement quelques années de plus.

JEUNE D’ESPRIT

 » Ce faisant, on prend en compte ce que l’on appelle l’âge cognitif, détaille Christophe Urvoy-Isaac, general manager chez Senior Agency. Un phénomène qui, à l’adolescence, se traduit par le fait que l’on veut paraître plus vieux alors qu’inversement, chez les 50 et plus, on a toujours tendance à se voir plus jeune que l’on est.  » Ainsi, une récente étude Ipsos commandée en France par l’Observatoire des Quinquas assure que 92 % des 45-60 se sentent jeunes dans leur tête et ont même l’impression d’avoir en moyenne treize ans de moins que leur âge réel. Loin de chercher à les duper en utilisant des égéries plus jeunes, les marques ne feraient finalement que leur renvoyer une image conforme à celle qu’ils ont d’eux-mêmes.

 » Les quinquas d’aujourd’hui ont grandi avec la pub, poursuit Christophe Urvoy-Isaac. Ce sont des consommateurs nés, des consommateurs puissants, surtout, et ce depuis leur jeunesse.  » Tellements puissants qu’ils bousculent les habitudes de communication des marques qui ont longtemps eu peur de ternir leur image – en la vieillissant, s’entend – si elles s’adressaient clairement à une cible plus âgée.  » Un préjugé qui s’explique aisément lorsque l’on sait que la moyenne d’âge dans les services marketing dépasse rarement la trentaine, déplore le publicitaire spécialisé dans les campagnes visant les « happy boomers ». Les marketeurs préfèrent se mettre en scène que d’essayer de se représenter ce que voudraient leurs parents par exemple, qu’ils considèrent encore bien souvent comme des has been. Au point d’oublier que les quinquas d’aujourd’hui, c’est U2 !  »

Des  » mediors « , comme les appellent les publicitaires, qui, loin de pleurer sur leur jeunesse perdue, entendent bien profiter de leur nouvelle indépendance – les enfants ont quitté le nid – et de leurs revenus confortables pour s’occuper d’eux sans une once de mauvaise conscience. Faut-il donc s’attendre à les voir progressivement envahir les plans médias ?  » La tendance, clairement, est en marche, confirme Christophe Urvoy-Isaac. Lorsque nous avons ouvert l’agence, il y a dix-sept ans, nous devions convaincre les sociétés de s’attaquer à cette cible-là. Maintenant, elles viennent nous trouver pour nous demander comment mieux la toucher.  » Autre signe notoire que le changement est bien en route ? Après le soin, le maquillage aussi aura bientôt des égéries de toutes les générations : ainsi, la it girl chargée de promouvoir la nouvelle ligne make-up du couturier Marc Jacobs n’est autre que l’actrice Jessica Lange, née en 1949. Quant à François Nars, il s’est choisi pour muse Charlotte Rampling à l’heure de célébrer les 20 ans de son label. En beauté.

PAR ISABELLE WILLOT

 » Donner des ailes aux femmes au lieu de les culpabiliser.  »

92 % des 45-60 ont l’impression d’avoir en moyenne treize ans de moins que leur âge réel.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content