Boudée hier, la cravate renoue avec le succès, s’imposant comme l’un des derniers bastions masculins du style où l’audace est plus que permise.

Qu’ils l’aiment ou la détestent, rares sont les hommes qui peuvent se vanter de ne jamais avoir dû en porter une de leur vie. Pourtant, celle à qui l’avènement post-soixante-huitard du casual chic avait taillé une nécro sur mesure n’a pas disparu des dressings. Mieux encore : fièrement accrochée à l’éternel balancier de la mode, elle se pend au cou des stars les plus hype – le dernier single de Justin Timberlake ne s’intitule-t-il pas Suit and Tie, soit littéralement costume et cravate ? – et défile même sur les catwalks les plus pointus en mode camouflage.

Ringardisé par l’essor du streetwear triomphant, ce dernier bastion masculin du style a été contraint, pour revenir en grâce, de passer par la case subversive de l’imagerie rock’n’roll. Le retour de la chemise urbaine dépassant du jeans et du pull-over fin des années 90 – elle-même une réaction à l’overdose de tee-shirts des baby-boomers – n’y est pas non plus étranger. Ouvert, son col n’a rien d’harmonieux. Fermé, à moins que la coupe ne s’y prête, il fait plutôt vieux jeu. La solution viendra du guitariste des Strokes, Albert Hammond Jr, qui sera l’un des premiers à se réapproprier la cravate, vestige de l’uniforme scolaire qu’il endossait dans sa jeunesse. Il l’acoquine avec son jeans et ses Converse, suivi de près par le leader des Libertines et les membres du groupe Franz Ferdinand avant qu’Hedi Slimane, qui officie alors chez Dior Homme, ne consacre la variante fine et noire comme le signe de ralliement des pointus de la fashion.

L’HEURE DU CHOIX

Mise au régime – elle perd quelques centimètres en largeur -, elle s’offre aussi une sérieuse cure d’austérité, bannissant pour longtemps couleurs et motifs fantaisie de tous les placards branchés. Ultime refuge, en version cuir ou imprimée de têtes de mort, des rebelles de l’industrie du cinéma, Quentin Tarantino ou Tim Burton en tête, forcés de se passer la corde au cou par le dress code pointilleux des Oscars ou du Festival de Cannes, la petite bande de tissu sombre et mat a fini par devenir la norme. Encore bien présente cet été chez Lanvin et Burberry, elle se la coule (toujours) douce sur la plateau télévisé de Frédéric Taddeï et s’affiche désormais sans faire de vague autour du col de chemise immaculé de Jean Dujardin et de Bradley Cooper.

 » Aujourd’hui, elle est davantage choisie et assumée qu’obligatoire et statutaire, analyse Christophe Goineau, directeur de la création de la soie masculine chez Hermès. Elle s’inscrit dans une démarche personnelle. Les jeunes hommes surtout ont tendance à y revenir en réaction à leurs aînés qui l’ont abandonnée dans les années 80-90 pour paraître plus jeunes et plus décontractés. Ils vont aussi essayer de l’arborer différemment de leur père ou de leur patron. Puisque c’est un choix, autant l’assumer pleinement et en profiter pour dire quelque chose de soi, à travers une couleur, une forme, une matière ou un motif différents justement. Du coup, nous aussi nous avons modifié notre offre face à ces panels d’envies de plus en plus larges.  »

Pas question pour autant de renoncer aux thèmes historiques – bateau, cheval, animaux… – qui font depuis des décennies la réputation de la maison.  » Je n’ai qu’à me servir dans les archives, se réjouit Christophe Goineau. Ces cravates dites fantaisie sont adoptées par des hommes qui ont du caractère et qui assument leurs choix tout en étant en marge du côté trendy de la mode. Cela n’empêche pas cette collection d’évoluer : si vous comparez des modèles d’il y a vingt-cinq ans avec ceux d’aujourd’hui, vous verrez qu’elle a énormément changé. La taille des petits canards ou dinosaures a été réduite, leur positionnement est beaucoup plus géométrique : de loin, l’effet est très graphique.  »

Après avoir apprivoisé les  » sans cravates  » avec des losanges en soie, des cravates-foulards fluides et lâches qui s’enroulent négligemment comme une écharpe, des carrés pour Homme aussi, noués à l’intérieur de la chemise, le sellier parisien a lancé la saison dernière une toute nouvelle ligne baptisée 8 ties – pour huit cravates de huit centimètres de largeur – qui s’adresse directement aux jeunes professionnels hyperconnectés en quête d’une esthétique en phase avec leur univers quotidien.  » Pour la première série, j’ai essayé d’extraire de tout ce qui nous entoure des motifs qui n’existaient pas il y a dix ans – comme les touches d’un clavier par exemple, le symbole d’une clé USB, le pictogramme on-off – en essayant de sublimer ces objets d’apparence banale et de leur apporter une certaine poésie, détaille Christophe Goineau. Nous avons travaillé sur un twill plus épais et surtout plus mat pour leur donner un côté plus cool, moins officiel.  » La deuxième série pose elle aussi sur notre monde moderne un regard poétique et décalé en apprivoisant les antennes relais, les immeubles à appartements et les bons vieux CD en voie de disparition, mais elle s’amuse également à décliner le thème – Chic, le sport – de l’année 2013, la clé pour  » décrypter  » le motif se trouvant cachée au verso de la partie la plus étroite de la bande de soie.

HORS DES SENTIERS BATTUS

Un retour en vogue qui pousse aussi d’autres maisons à sortir des sentiers battus du ligné, des pois et du paisley qui cartonnent toujours auprès des amateurs de look preppy. Ainsi, chez Givenchy, Riccardo Tisci n’hésite pas à pousser l’idée du ton sur ton à son paroxysme en surimprimant les madones de ses chemises emblématiques sur ses cravates. Un jeu subtil de camouflage qu’il prolongera cet automne dans sa précollection et que l’on retrouve aussi cet été chez Daks, Paul Smith, Ermenegildo Zegna ou encore Ferragamo. Chez Tom Ford, si elle repasse à l’uni c’est à l’inverse pour mieux servir les audacieux carreaux du costume, comme démontré en janvier dernier par Justin Timberlake lors des SAG Awards. Chez Vuitton, on coupe la poire en deux en plaquant sur un fond fleuri une bande unie.

 » Si l’on nous avait prédit il y a dix ans que la cravate allait revenir au centre du vestiaire masculin, nous ne l’aurions sans doute pas cru, se réjouit Christophe Goineau. Aujourd’hui c’est un « hot product » et c’est très amusant de jouer avec elle. Les hommes ont presque abandonné tous leurs attributs historiques : le parapluie, le chapeau, les gants, mais la cravate, elle, a survécu. C’est elle qui parfait la silhouette. Pour les Japonais, c’est un peu l’équivalent d’un beau rouge à lèvres pour une femme : ils choisissent une couleur qui leur ira bien au teint.  » Un indicateur de l’humeur du jour aussi.  » Parce qu’ils en ont moins, les hommes les choisissent mieux « , conclut Christophe Goineau. Lors de l’achat mais également au moment de la nouer. Un petit bout de tissu pas si neutre que cela finalement. Tant il finit, mine de rien, par en dire long sur celui qui le porte.

PAR ISABELLE WILLOT

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