Elles sont rares, les filles d’Ève à faire dans la ganache. Ilse Wilmots contredit cette règle qui voudrait nous laisser croire que maître chocolatier ne s’accorde pas au féminin.

Comme dans la chanson d’Olivia Ruiz, le sang qui coule en elle doit être une variété de chocolat chaud. Un mystère : aucune trace du breuvage dans les veines de ses parents, aucune prédisposition dans son ADN à dédier sa vie à la cabosse. À Laeken, dans la cuisine familiale, la petite Ilse est seule à satisfaire sa gourmandise et son besoin de  » mettre la main à la pâte  » à coups de gâteaux, cakes et autres crapuleux pêchés pâtissiers recouverts de cacao.  » À 11 ans, j’étais déjà convaincue de ce que je voulais faire  » assure, faussement timide, cette quadra tout en friandise et belle gentillesse. Elle vise le CERIA, le célèbre campus d’Anderlecht, option boulangerie-pâtisserie. Maman en décide autrement. Puis finit par céder après trois années à voir sa fille saliver sur l’existence plus sucrée dont elle rêve.

Forcément, la réussite est à la mesure de sa motivation. Très vite, elle entre chez Godiva,  » le 12 août 1991 « , dit-elle très précisément. Il y a vingt ans, donc. Elle est toujours là, au service de cette maison bruxelloise presque nonagénaire, qui, malgré son rachat en 2008 par les Turcs du Yildiz Holding et après trente ans passés sous pavillon américain (Campbell Soup Company), contribue encore à la réputation dorée de notre pays sur la carte du chocolat. Force de frappe : 2 000 tonnes de chocolat à l’année, 450 boutiques et la crédibilité du Made in Belgium.

Ses premiers pas, Ilse Wilmots les exécute  » en bas « . Comprendre : huit heures par jour pendant huit ans à manier la poche de pâtissier. Mission : décorer les pralines  » à la main, tient-elle à souligner, comme c’est encore le cas aujourd’hui et depuis 1926. J’ai vraiment grandi ici dans l’usine « . Résultat : fidèle, précise – c’est ses collègues qui le disent – à 100 % issue du moule maison, elle fait une candidate idéale pour intégrer l’équipe de Création et d’Innovation de la griffe. En 2008, elle en prend la tête. À elle la noblesse du métier, les prototypes, la créativité, au rythme de cinq collections par an qu’elle pense dans l’intimité de son atelier avant de les voir rejoindre l’unité de production et les étalages du monde entier. Son défi : face à la concurrence qui fait rage dans le monde du chocolat, comme dans la mode, il faut de plus en plus répondre aux exigences de modernité des clients, trouver l’équilibre entre son propre goût et les tendances en vogue : hier les chocolats d’origine, actuellement la revalorisation des produits de terroir, traduite par exemple chez Godiva à la faveur d’une nouvelle ganache à la fraise de Wépion. En somme : faire £uvre d’artisan-créateur, sensible à l’air du temps, mais dans le cas de Ilse, sans en porter publiquement les lauriers. Une fierté discrète et anonyme pour cette rare femme à exercer le métier de maître chocolatier. Ce n’est en tout cas pas l’équipe marketing de la maison qui s’en plaindra, elle dont l’emblème représente Lady Godiva, figure médiévale légendaire qui obtint la levée des impôts sur les sujets de son époux, Lord Léofric, en déambulant à cheval,  » seulement vêtue de ses longs cheveux  » contre la promesse des habitants de Coventry de rester cloîtrés chez eux, aveugles à sa nudité.

 » C’est peut-être parce que j’ai un côté masculin que ça marche pour moi « , tente d’expliquer par la boutade cette mère de trois enfants, qui, gamine, jouait au foot et se serait bien vue gendarme si Colomb n’avait jamais ramené de fèves en Europe. Heureusement pour nous, et pour ses marmots qui pensent qu’elle travaille pour saint Nicolas, elle a choisi de nous donner du plaisir sans nous faire de procès. Une définition acceptable de la femme idéale.

PAR BAUDOUIN GALLER

 » C’EST PEUT-ÊTRE PARCE QUE J’AI UN CÔTÉ MASCULIN QUE ÇA MARCHE POUR MOI. « 

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