Depuis une dizaine d’années, plusieurs icônes automobiles issues des années 1960 sont réapparues sous une forme modernisée, tout en conservant l’esprit de leur design originel. Cette  » newstalgia  » reflète-t-elle un manque cruel d’inspiration ou une subtile réinterprétation de l’Histoire ?

C’est bien connu, c’était mieux avant ! Le monde d’hier était soi-disant plus simple, plus libre, plus exaltant. La mémoire sélective oublie les désagréments passés, pour fantasmer un univers d’autant plus idyllique qu’il ne peut plus subir la contradiction. L’homme est ainsi fait et le paradoxe semble aujourd’hui à son comble. Face à une société de consommation qui n’a jamais autant proposé d’innovations, le besoin de replonger dans la nostalgie, au travers de références connues, apparaît nécessaire, comme un contrepoids aux inquiétudes du lendemain. Pragmatiques, les industriels ont compris l’intérêt qu’ils pouvaient y avoir à sublimer certains produits phares du patrimoine, en les interprétant à la sauce du xxie siècle. L’idée, simple en apparence, étant de concilier le meilleur des deux mondes : l’image positive de la mémoire collective et la technologie actuelle pour tenter de créer un nouvel objet hybride aux formes connues et pourtant différentes. Avec plus ou moins de succès, on voit donc ces dernières années des icônes de la consommation des Trente Glorieuses faire un come-back sur le devant de la scène. Du grille-pain chromé Magimix façon fifties à la réédition du Solex – mais cette fois électrique -, en passant par la chaise Ghost en plastique – un style Louis XV revisité par Starck chez Kartell -, ou encore le luxueux canot à moteur Aquariva de 2007 qui rappelle le mythique Riva Aquarama des années 1960, tous les secteurs sont concernés.

Retour vers le futur

L’automobile n’échappe pas à ce phénomène que les sociologues ont nommé la  » newstalgia « . Le premier modèle à surfer officiellement sur son histoire est la Volkswagen New Beetle, réminiscence de la Coccinelle dont l’origine remonte aux années 1930, mais qui connut son heure de gloire dans les années 1950, 1960. En 1994, la New Beetle, présentée au départ sous forme de concept car, reçut un tel accueil que Volkswagen décida de sauter le pas et de la produire en série dès 1999. Reprenant ostensiblement le look de son aînée, elle divisa la communauté des designers. Géniale de spontanéité pour certains, elle était pour d’autres la preuve flagrante d’un manque criant d’imagination, une sorte de valeur refuge sans talent. L’auteur assumé de ces lignes dites  » néorétro  » est un Américain, J. Mays. Après avoir £uvré chez le constructeur allemand, il a rejoint Ford en tant que directeur du design, où il s’est fait une spécialité du néorétro en redessinant la Ford Thunderbird, puis la Ford GT 40 et surtout la légendaire Ford Mustang en 2005. Face aux critiques, souvent en provenance d’Europe, il sourit et tient à souligner quelques données culturelles :  » Vous autres Européens, vous vivez avec l’Histoire, entourés de références, notamment architecturales, qui rappellent sans arrêt votre riche passé. Vous êtes donc plus en demande de modernité en général et dans le design automobile en particulier. L’Amérique, au contraire, est une jeune nation, sans repère historique. Tout ce qui évoque sa courte histoire est à ce titre vu comme une célébration de son patrimoine, et non comme un manque de créativité. Par ailleurs, ces modèles ne représentent qu’une petite partie de notre offre et nous proposons des voitures aux lignes très modernes. Pourquoi opposer les genres, si cela plaît au marché ? » Le marché précisément est venu rappeler à Mays que le design comme simple habillage ne suffisait pas à assurer un succès durable.

La valorisation du consommateur

Après l’effet nouveauté, la New Beetle, considérée comme une Golf reliftée, a vu ses ventes dangereusement chuter et la nouvelle Thunderbird pour sa part a carrément cessé d’être produite faute de clients. Seule la nouvelle Mustang connaît une carrière stable. On touche ici au fondement même du design. Pour être percutant, ce dernier doit être porteur d’une promesse forte, visible, que doit ensuite délivrer le produit. La New Beetle jouait sur la sympathie que dégageait son aînée dans l’esprit du public, mais n’apportait finalement rien de plus qu’une Golf, voire même en accentuait les défauts avec un coffre minuscule. Pas suffisant pour durer, même si elle reste toujours trendy à Miami ou dans les grandes métropoles européennes.

Si un constructeur a bien compris avant les autres que la newstalgia était viable, en y apportant des valeurs en phase avec son époque, c’est certainement BMW. En achetant Rover en 1995, il hérite du projet d’une nouvelle Mini censée enfin remplacer celle apparue en 1959 ! A l’image de la Coccinelle, la Mini jouit d’une cote d’amour en or, et toutes les pistes de design étudiées jouent sur le néorétro. Mais BMW pressent le risque d’un feu de paille et cherche à comprendre le pourquoi de cet engouement auprès de ces voitures populaires des années 1950, comme la Mini, la Coccinelle ou la Fiat 500. En leur temps, elles étaient la promesse nouvelle de la liberté pour tous, la vraie, celle de pouvoir enfin se déplacer à sa guise. Mais aujourd’hui, dans un monde de surabondance de l’offre, cette promesse n’a plus de sens. D’autant qu’à la fin de leur carrière, ces autos populaires étaient considérées, à juste titre, comme dangereuses et inadaptées à la circulation moderne. L’intelligence de BMW a été de comprendre que la valeur clé de ce début du xxie siècle était l’individualité, le règne du  » moi je  » et que la Mini des années 2000 devait certes ressembler à son aïeule, mais devait aussi flatter l’ego de son propriétaire par une multitude d’attentions personnalisables et un contenu technologique élevé. D’où un paradoxe incroyable : la première génération a construit son succès sur le fait d’être une voiture peu chère destinée aux classes populaires, la seconde est devenue un hit des ventes en étant chic et chère auprès d’une clientèle sophistiquée !

Un produit  » populaire  » chic et cher

Cette inversion des valeurs a été possible car elle répond à l’attente majeure de l’époque, centrée sur la valorisation du consommateur et la capacité à lui offrir du quasi sur-mesure. Du coup, si le nouveau design de la Mini, signé une fois de plus par un Américain, ici Franck Stephenson, a été salué par tous pour sa propension à puiser dans l’émotion que dégageait le modèle original, c’est surtout l’offre globale qui a séduit. Personnalisable à l’envi, très soigné dans son intérieur, doté d’un châssis spécifique qui en fait un vrai kart à conduire, BMW n’a pas lésiné sur les moyens pour offrir à son conducteur une voiture unique, oscillant entre luxe et sport. Le design néorétro très poussé dans les détails est venu  » surligner  » cette promesse d’exclusivité à tous les niveaux et a fait de cette nouvelle Mini le grand succès automobile de ces dernières années.

A tel point que la concurrence s’inspire désormais du marketing Mini, épatée de constater que l’on peut vendre cher un produit qui bénéficie pourtant d’une image populaire. C’est le cas de Fiat, au départ hésitant, qui a finalement lancé l’année passée sa nouvelle 500. La Cinquecento originale est adulée en Italie, à tel point qu’elle a bénéficié d’une loi taillée sur mesure par les parlementaires, l’exemptant de contrôle antipollution qui aurait signé l’arrêt de mort des 600 000 exemplaires encore en circulation ! On comprend dès lors que son revival fut attendu comme le messie. Cette New 500 suit peu ou prou l’approche de sa rivale anglo-bavaroise, notamment dans la mise en place d’un programme de personnalisation très poussé. Si la ligne craquante réussit la mutation entre passé et présent, c’est surtout l’intérieur qui marie avec fraîcheur tous les clins d’£il aux années 1950 : tableau de bord façon Bakélite, compteur au graphisme d’époque, couleurs acidulées.

Et la ronde des  » newstalgia  » continue par ailleurs avec BMW/Mini qui a lancé la Clubman version break chic, encore plus chère et toujours plus smart. De son côté, Volkswagen hésite à produire un New Combi, minibus célèbre pour avoir transporté toute une génération de  » hippies  » et dont le concept car Microbus a enchanté les foules en 2003. Le paradoxe de cette tendance, c’est que les icônes réinterprétées des années 1950 – frigo Smeg rose bonbon, Piaggio Vespa bleu layette ou Mini Cooper rouge à toit blanc – sont aujourd’hui le symbole de la modernitéà Allez comprendre !

Renaud Roubaudi

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