A l’heure où alcools et spiritueux vivent des lendemains difficiles, le gin affiche une mine insolente. Après les années vodka, c’est au tour de la  » gin craze  » – véritable  » folie du gin  » – de déferler dans les bars et les restaurants.

Prendre le pouls de l’air du temps peut se faire tout simplement. Pas besoin de frapper aux portes des bureaux de tendances, un coup d’oeil dans les rayons des supermarchés suffit parfois. Direction Delhaize. Là où, il y a quelques années, les linéaires de cette enseigne de la grande distribution offraient à peine une ou deux références autour du bon vieux gin Gordon’s, le vouzémoi éprouve aujourd’hui bien des difficultés à faire son choix. Face à lui, une dizaine de bouteilles qui vont d’un flacon The Botanist, venu de l’île Islay et signé par la célèbre distillerie Bruichladdich, à l’impressionnant écrin de verre d’un N°3 London Dry Gin. Une hésitation ? Le chef du rayon Vin y va de son petit couplet.  » Avec le N°3, vous serez sur un nez de zestes de citron et d’épices, la bouche sera quant à elle gourmande, proche d’une pâtisserie. The Botanist, en revanche, proposera des arômes de pins résineux et d’eucalyptus. Pour ce qui est de la dégustation, on est sur une complexité épicée avec des notes de réglisse. Le tout pour une impression beaucoup plus sèche.  » Pas de doute, Delhaize n’a pas raté le train du gin. Preuve supplémentaire : depuis trois mois, la chaîne a lancé en exclusivité le Gordon’s Crisp Cucumber, un mélange de Gordon’s London Dry Gin et d’arômes naturels de concombre. But de la manoeuvre ?  » Offrir le petit plus qui étonnera le client.  » Afin de ne pas se louper, la marque au lion s’est même offert un ambassadeur de choc en la personne de Manuel Wouters, patron du Sips, l’un des bars à cocktails les plus en vue du pays, situé à Anvers. En guise de bonus, celui qui a appris son métier à bord du célèbre paquebot Queen Elisabeth II s’est fendu d’un cocktail à la fraîcheur épatante, le Crispy Sensation. Soit une parfaite combinaison du breuvage au concombre, de jus de pomme, de citron vert et de sucre.

Tout aussi symptomatique de cette lame de fond est la présence de cet alcool, dont les lettres de noblesse remontent au XVIIe siècle, dans des endroits inattendus. A Bruxelles, le plus bel exemple en est donné par Friture René, temple populaire d’une cuisine bruxelloise familiale. En préambule de la cuisine de Dirk Piolon, dont le registre s’étend des moules à l’escargot aux carbonnades flamandes, on s’attendrait tout légitimement à s’offrir une première gorgée de bière. Bien sûr, ça peut être le cas, mais le fils de la maison, Nicolas, a décidé d’ouvrir les papilles de son public à des plaisirs plus sophistiqués. Le jeune homme propose une petite dizaine de gins à la dégustation. Sa spécialité ? Le G&T, le gin-tonic, qu’il décline en différentes versions dont un mélange de Monkey 47, lamelle de concombre, baies de genévrier et eau tonique. Un cocktail d’une grande fraîcheur qui fait l’unanimité. Il faut dire que Nicolas Piolon le sert selon les nouvelles règles de l’art. Exit le verre long drink, c’est désormais un verre ballon qui laisse s’exhaler tout le bouquet d’arômes.

ON NE LEUR FAIT PLUS

L’engouement autour du gin, dont la montée en puissance s’est faite en une dizaine d’années, a généré une nouvelle génération d’amateurs pointus et exigeants. Au fait de leur alcool préféré, ils sont du genre à ne pas se laisser servir n’importe quoi. Ils distinguent parfaitement les nuances entre un Compound Gin – qui est le résultat d’une infusion d’aromates dans l’alcool pur sans processus de distillation – et un Distilled Gin – qui procède d’une redistillation. C’est bien entendu vers ce second type de gin que les aficionados se dirigent, tout particulièrement le London Dry, sans aucun ajout postérieur à la redistillation. Ces fanatiques du gin en connaissent aussi les racines historiques qui remontent au XIIe siècle. A l’époque, les moines néerlandais servaient une soupe au genièvre qui était censée prévenir les maladies…

Pour plaire aux passionnés, les marques ne ménagent pas leur effort. Sur la trame d’un alcool naturel à base de céréales (blé, épeautre…) aromatisé aux baies de genévrier, on ne soupçonne pas le nombre de variations possibles. Parmi les vedettes du genre, le Monkey 47 se distingue par ses racines allemandes – il provient de la Forêt-Noire – ainsi que par les quarante-sept ingrédients qui le composent. Très en vogue également, le gin signé par le label Hendrick’s se distingue par ses notes de rose. Cet alcool est emblématique des recherches opérées par les distillateurs pour obtenir un résultat flatteur au nez du consommateur mais parfois dédaigné par les puristes en raison d’un caractère trop marqué. Onze plantes et deux essences issues des quatre coins de la planète le constituent. Parmi elles, des graines de coriandre très aromatiques – évoquant le gingembre, le citron et la sauge – qui proviennent d’Europe orientale et du Maroc. Mais également des baies de genévrier d’Italie qui lui confèrent un goût exotique, épicé et aigre-doux, ainsi que de la racine d’angélique musquée dénichée en France et en Belgique. La racine d’iris, quant à elle, permet de lier toutes ces saveurs pour créer un mélange complexe qui vieillit pendant trois ans. Impossible enfin de ne pas évoquer la marque Bombay Sapphire, pionnière de la  » gin craze  » en 1987 avec le lancement d’une bouteille bleue très identifiable. Vingt-six ans plus tard, le label revient en force sur le marché européen en lançant un Bombay Sapphire East, un gin aromatisé avec douze ingrédients parmi lesquels la citronnelle et le poivre noir.

Notre pays s’est lui aussi lancé dans la quête du gin parfait. Deux flacons en témoignent, l’un au sud de la frontière linguistique, le gin de la Distillerie de Biercée (déjà évoqué dans ces colonnes), et l’autre au nord, le Filliers Dry Gin 28, propulsé sur le marché par une distillerie de genièvre de Deinze alléchée par le bon créneau. Bonne nouvelle, ces deux produits ont gagné leurs lettres de noblesse auprès des consommateurs.

Si les gins se sont multipliés comme des petits pains, près d’une centaine de références en moins de quelques années, les toniques ont suivi le mouvement. Rappelons que ces deux boissons sont liées depuis l’épisode des colonies britanniques durant lequel le gin et le sucre servaient à masquer le goût amer de la quinine, présente dans les toniques et utile pour lutter contre la malaria. Là aussi, fini l’époque où l’on se contentait d’un classique Schweppes pour diluer son gin préféré. Désormais les toniques en vogue se nomment Fever Tree, Fentimans ou Thomas Henry. A tel point que Schweppes a tout récemment réagi en déclinant une nouvelle gamme de  » Premium Mixer  » en compagnie du mixologue Javier de las Muelas : Tonic Original, Tonic Pink Pepper, Tonic Ginger & Cardamom et Tonic Lavender & Orange Blossom. Pour chacun des breuvages, la marque recommande des gins en particulier. Par exemple, le Tonic Ginger & Cardamom accorde ses arômes exotiques avec des gins floraux tels que Geranium, Citadelle, Gin Mare…

UN DUO DE CHOC

Pour s’initier au gin et aux cocktails qui en découlent, une adresse s’impose en Belgique francophone : Hortense. Imaginé par Matthieu Chaumont (29 ans) et Romina Bux (28 ans), l’endroit s’inspire du PDT à New York ou de l’Experimental Cocktail Club à Paris. Logée au sous-sol des Caves de la Nonciature, cette institution du Sablon, à Bruxelles, ne manque pas d’allure. Au programme, un décor de briques nues et d’alcôves, éclairé à la bougie, à la fois intemporel et contemporain. Le tout enrobé dans une bande-son ciselée que traversent tant la guitare de Johnny Cash que les rythmes de la cumbia des années 20. Le projet ?  » A l’heure où l’on s’intéresse au vin et à la gastronomie, les spiritueux sont souvent méconnus. Nous voulions faire comprendre la palette de goûts et les histoires qui existent derrière eux. Une tequila, par exemple, ne goûte pas forcément l’alcool à brûler « , sourit Matthieu Chaumont. En matière de gin, Hortense développe une approche très intéressante. Romina Bux détaille :  » Il s’agit d’un alcool assez neutre qui permet d’imaginer de nombreux cocktails. Grâce à l’apparition de micro-distilleries, il existe un large éventail de possibilités, depuis le London Dry jusqu’au Navy Strength, une variété de gin particulièrement puissante qui titre 57 % de volume d’alcool.  »

Côté matière première, le duo travaille une gamme de gins étendue : Aviation, Mombasa Club – qui sert au gin-tonic avec un soupçon de bitter et du tonic de la marque Thomas Henry -, Monkey 47, Brooker’s, Junipero – un gin californien utilisé pour le Dry Martini -, Sipsmith, Royal Dock… Autant de possibilités qui font naître d’intéressantes expériences comme le Smoke & Tonic, un gin infusé au thé lapsang souchong, ou encore Dessert au Neptune, un cocktail qui rend hommage au chef Nicolas Darnauguilhem en associant pamplemousse, Brookers 47 et sloe gin Hipsmith. Il nous livre ici quatre recettes de cocktails exclusifs.

Friture René, 14, place de la Résistance, à 1070 Bruxelles. Tél. : 02 523 28 76.

Hortense, 7, rue des Sablons, à 1000 Bruxelles. Tél. : 02 514 43 47.

PAR MICHEL VERLINDEN / PHOTOS : FRÉDÉRIC RAEVENS

Si les gins se sont multipliés comme des petits pains, les toniques ont suivi le mouvement.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content