La folie Marni

Entre esprit couture et culture pop, la collection printemps-été 2009 du label italien compte parmi les plus applaudies. Derrière cette

histoire de famille en forme de success story, Consuelo Castiglioni, directrice artistique et autodidacte de génie. Interview.

Ce n’est ni de l’avant-garde intellectualisante, ni une ode à l’éternel féminin. Pas du néo-bobo flou, mais pas non plus du minimalisme rigide. Encore moins un colorama psychédélique ou, a contrario, un florilège de tons sourds. Le style Marni, c’est pourtant un peu tout cela à la fois. Une syntaxe vestimentaire unique qui, depuis quelques saisons, a fait de ce label de luxe l’un des plus influents du moment. Un statut confirmé par des icônes fashion aussi pointues que Reese Witherspoon, Lou Doillon ou Kirsten Dunst, toutes inconditionnelles du  » chic with a twist  » estampillé Marni. Peu préoccupée par ces considérations flatteuses, Consuelo Castiglioni, fondatrice et directrice artistique de la griffe depuis quinze ans, ramène volontairement le débat à un niveau plus essentiel : celui du plaisir. De  » dessiner des vêtements qu’elle aimerait porter « . De créer librement, en se nourrissant de tout ce qui l’entoure, et en résistant aux vents dominants en matière de mode. Ce qui l’anime, c’est plutôt un souffle léger et frais, acquis loin des écoles de stylisme, qui procure à ses silhouettes une sensualité unique, entre douceur et affirmation de soi.

Au début des années 1990, Consuelo dessine une mini-collection pour Ciwi Furs, prestigieuse maison italienne fondée par Primo Castiglioni, son beau-père, fournisseur des plus grandes griffes, dont Prada, Dior ou Vuitton. Prospère durant deux décennies, la société familiale est alors au creux de la vague – elle subit l’onde de choc du tsunami antifourrure qui frappe les podiums. L’idée de la jeune femme, soutenue par son mari Gianni, président de l’entreprise ? Modifier profondément la perception qu’ont les clientes de cette matière hautement polémique en la traitant comme un tissu parmi d’autres. Dans un joyeux élan iconoclaste, Consuelo mixe, superpose, dépareille et juxtapose couleurs et étoffes. Pari gagné : désacralisée, la fourrure est aussi  » dédiabolisée « . Gianni Castiglioni et sa s£ur Marina croient au projet et, en 1994, Marni – contraction de leurs deux prénoms – voit le jour. Consuelo en assume la direction artistique.

Rapidement, le label trouve sa place sur le marché. Les ouvertures de boutiques s’enchaînent, une ligne Homme voit le jour, des collections Enfant suivent. La griffe est aujourd’hui présente sur les cinq continents, tout en restant indépendante des grands groupes de luxe, Consuelo y tient :  » Le fait qu’il s’agisse d’une entreprise familiale nous offre une liberté totale sur le plan de la création et de la production.  » Et travailler sans entraves, cela lui réussit plutôt bien.

Weekend Le Vif/L’Express : Comment définiriez-vous la  » fille Marni  » ?

Consuelo Castiglioni : Je pense que celle qui choisit de porter notre marque a une approche sophistiquée de la mode. Elle n’est pas spécialement obsédée par la tendance, mais son style reflète une identité forte. Elle est curieuse et enthousiaste à l’idée d’expérimenter et de jouer avec les formes, les structures, les imprimés et les couleurs. Elle ose créer ses propres combinaisons. Je la vois très féminine, mais la féminité tient selon moi davantage à un état d’esprit qu’à une garde-robe.

Vous aimez mélanger les matières naturelles et techniques, ainsi que les imprimés et les couleurs. Cette manière de combiner les choses fait-elle partie de l’ADN de Marni ?

Depuis toujours, les étoffes sont très importantes dans mon processus de création. Leurs effets, leurs couleurs, leurs textures me fascinent. Lorsque j’ai commencé à créer pour Marni, je me suis principalement concentrée sur les imprimés, leurs superpositions et juxtapositions. C’est surprenant de voir à quel point le tissu peut être une source incroyable de solutions pratiques.

A vos débuts, vous utilisiez les codes bohémiens. Aujourd’hui, vos collections s’orientent vers davantage de géométrieà

Il y a en effet eu une évolution dans le style et dans le détail. Mes sources d’inspiration ont changé et m’ont amenée à de nouvelles façons de travailler la matière, la structure, la couleur, les imprimés et la finition. L’âme de Marni reste bien présente, mais pour que la marque se développe, il faut un progrès constant sur le plan de la créativité et de l’expérimentation.

A ce propos, parlez-nous de vos sources d’inspirationà

Je me nourris de tout ce qui m’entoure. L’art, la photographie, un bout de papier peint, un pays ou un livreà la vie en elle-même est une source d’inspiration inépuisable. Parfois, c’est un tissu qui stimule ma créativité. J’aime combiner des contrastes harmonieux. Certaines textures ne se comportent pas de la même façon selon les modèles, et chaque saison amène un nouveau défi.

Vous n’êtes pas passée par une école de stylisme. Est-ce une force ou une faiblesse ?

Je ne vois pas cela en ces termes. Mon approche en tant que styliste tourne autour de l’observation, de la curiosité et de la recherche.

Si vous n’étiez pas styliste, quel métier exerceriez-vous aujourd’hui ?

Aucune idée ! Toute petite déjà, j’avais des idées très précises sur la façon de m’habiller. J’ai quitté Lugano (Tessin, en Suisse) pour Milan où j’ai commencé ma carrière comme consultante en mode et où j’ai rencontré mon mari, Gianni Castiglioni. Ensemble, nous avons fondé Marni. Pour moi, le stylisme, cela voulait dire faire de ma passion un métier à plein temps.

Quel était votre objectif premier quand vous avez créé la collection prêt-à-porter Femme printemps-été 2009 ?

Je voulais à la fois l’élégance de la haute couture contemporaine et un état d’esprit pop. Mon inspiration m’a menée à des silhouettes hautes et fines, avec un effet intrigant de contrastes et de superpositions. J’ai joué avec la géométrie, des bandes sphériques, des carreaux, des diamants et des bandes verticales, des cascades de tons flashy et de couleurs délavées, le mélange de formes abstraites et de détails extraordinaires. Des textures exclusives et discrètes dans du brocart et du macramé, de l’organdi et du jacquard de poids différents, dans des cotons naturels ou des soies techniques.

Les accessoires sont également très présentsà

En effet. Les boucles d’oreille ont d’ailleurs fait leur apparition pour la première fois dans la collection printemps-été 2009. Des pétales de fleurs immenses se mêlent aux colliers spectaculaires et se reflètent dans des bracelets surdimensionnés.

En termes de ventes, ils représentent aujourd’hui un volet important de Marni. Comment expliquez-vous ce succès ?

J’ai toujours considéré les accessoires comme l’élément ultime et fondamental de la tenue d’une femme, le petit plus qui lui permet d’afficher un look totalement différent. Depuis l’introduction de la ligne d’accessoires en 1999-2000, il y a eu une croissance constante dans les ventes. Je les crée à la fois pour en faire le détail extraordinaire d’une tenue, mais aussi pour qu’ils deviennent un objet design en tant que tel. Aujourd’hui, la collection d’accessoires représente 30 % de notre chiffre d’affaires global.

Avez-vous l’intention de développer d’autres boutiques dédiées exclusivement à l’accessoire, comme celle de Milan ? Cette ouverture l’année dernière était-elle la première d’une longue série ?

Oui. D’autres boutiques et corners ont entre-temps été ouverts à Madrid, Okinawa, Waikiki, San Francisco (chez Neiman Marcus) et Tokyo.

Y en aura-t-il une à Bruxelles ou Anvers prochainement ?

Ce n’est pas dans nos projets immédiats. Nous estimons néanmoins que la Belgique est un marché très intéressant et nous avons de bons retours via notre boutique virtuelle.

Avant-gardistes, les boutiques Marni installées partout dans le monde se distinguent de toutes celles des autres marques. Pourquoi ce choix ?

Nous avons choisi d’axer la communication autour de notre marque sur nos défilés et nos boutiques ( NDLR : Marni ne fait pas de campagnes de pub). En termes d’image, il est donc essentiel que chacune d’entre elles, même si elle possède des éléments distinctifs, partage un design global commun.

Votre griffe est très féminine. Qu’est-ce qui vous a donné envie de lancer des collections Homme ?

Au départ de mon travail sur le vestiaire masculin, il y avait simplement une réflexion que je m’étais faite : certaines matières que j’utilisais pour la Femme feraient de superbes chemises. Créer une collection entière exige cependant une vision d’ensemble différente : il faut non seulement tenir compte de l’esthétique et des détails mais aussi du confort et du côté pratique des vêtements. La collection masculine est maintenant globale, et inclut même des lunettes.

Préférez-vous travailler le vestiaire Homme ou Femme ?

Pour moi, tout cela fait partie d’un seul processus créatif. Elaborer une collection, du prêt-à-porter aux accessoires, de la ligne Homme à la ligne Enfant, amène continuellement de nouveaux défis sur le plan du stylisme, des matières et des imprimés. C’est ce qui me fascine dans ce métier. J’aime voir comment un vêtement prend forme petit à petit, se développe à partir d’une idée, d’un croquis, d’un bout de tissu et se transforme en quelque chose de défini et de nouveau.

Propos recueillis par Delphine Kindermans

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