La Biennale Internationale d’Architecture, rendez-vous des maîtres de la discipline, bat son plein à Venise. Et si l’édition 2010 se dessine comme un must, c’est grâce à sa commissaire Kazuyo Sejima. Rencontre avec une dénicheuse de talents.

La 12e Biennale internationale d’architecture de Venise (*) se tient principalement dans les pavillons des Giardini, à l’est du centre-ville, et à l’Arsenale, l’ancien chantier naval. Elle rassemble deux types de participants : des représentants de leurs nations respectives (comme à l’Eurovision) et des bureaux d’architectes conviés par la commissaire de l’événement – une fonction dévolue cette année à l’architecte japonaise Kazuyo Sejima. Cette surdouée dirige avec Ryue Nishizawa le bureau SANAA, qui s’est vu décerner, il y a quelques mois, le prestigieux Pritzker Architecture Prize. Une récompense qui met en exergue la vision très contemporaine du duo nippon. Celui-ci est l’auteur du nouveau musée d’Art contemporain de New York et de nombreux autres bâtiments aux lignes très épurées, presque ascétiques, où la transparence des matériaux brouille les limites entre l’intérieur et l’extérieur.

Ceux qui connaissent l’£uvre de Kazuyo Sejima (54 ans) ne s’étonneront pas qu’elle ait choisi People meet in architecture pour thème de la Biennale 2010.  » L’architecture a toujours été le reflet d’une conscience collective, souligne-t-elle dans le catalogue. C’est le cocon physique où s’inscrivent nos modes de vie en constante évolution.  » Cigarette à la main, elle se penche au-dessus de la balustrade en pierre du balcon du Palazzo Giustiniani, ce palais gothique du xve siècle, dominant le Grand Canal et qui abrite les bureaux de la Biennale. Sa jupe a la nuance corail des nuages qui, au soleil couchant, émaillent le ciel de la cité des Dogesà

L’architecture doit-elle apporter une réponse aux problèmes du monde d’aujourd’hui ?

Je veux construire des bâtiments qui soient en relation avec la société. Il y a tant de problèmes différentsà Pour chacune de nos constructions, nous essayons de voir face à quelle problématique nous nous trouvons, et comment y répondre.

L’architecture peut-elle changer l’homme ?

Que la technologie change les gens, c’est une évidence, mais c’est aussi le cas des bâtiments et des relations entre les bâtiments. La relation entre telle pièce et telle autre détermine l’usage que vous allez en faire. En tant qu’architectes, il y a certains aspects que nous pouvons influencer consciemment, tandis que d’autres relèvent plus de l’inconscient. Mais excusez-moi, il me semble que j’ai oublié votre questionà

Je vous demandais si l’architecture peut changer l’hommeà

Parfois, sans aucun doute. Et l’homme peut aussi changer l’architecture !

Est-ce pour cette raison que vous avec choisi, pour cette Biennale, le thème People meet in architecture ?

Ce thème est à prendre au sens le plus large possible, et j’espérais que les 48 architectes que j’ai sélectionnés l’interpréteraient tous d’une manière différente.

Avez-vous vu tous les projets ?

J’avais évidemment déjà vu, entendu ou été informée par e-mail de ce que chacun allait présenter, mais les projets définitifs restent surprenants, lorsqu’on les voit tous ensemble. Et je suis ravie. Je voulais que l’ensemble soit cohérent, mais sans tomber dans l’ennui ; il est important de préserver une diversité. Et chaque bureau apporte un point de vue unique. C’est moi qui ai choisi l’emplacement de chacun. Lors des éditions précédentes, il est arrivé que plusieurs architectes se retrouvent dans un même espace. Cette année, j’ai souhaité, au contraire, qu’il n’y ait qu’un participant dans chaque pièce, car je suis convaincue qu’un architecte ne peut pas présenter son travail parmi celui des autres. La réflexion sur l’espace et l’utilisation de celui-ci comme médium fait justement partie de son boulot. Chacun est donc son propre curateur dans la pièce qui lui a été attribuée, si bien que celle-ci devient, pour les participants, un nouveau projet. Ou une expérience. Et bien que l’Arsenale et les Giardini soient déjà, en soi, des endroits extraordinaires, les architectes sont parvenus à les embellir encore davantage. Je me suis toutefois efforcée de créer un certain rythme, de telle sorte que les différentes présentations se suivent de façon harmonieuse.

Vous avez sélectionné deux bureaux belges. Que pensez-vous de leur prestation ?

J’aime beaucoup le projet de de vylder vinck taillieu. Je leur avais attribué une pièce très difficile, comportant une sortie de secours et un escalier, mais ils sont parvenus à faire un bel usage de cet espace. J’en suis très fière. Les autres candidats belges, Office Kersten Geers David Van Severen, se sont également avérés très bons. Ils ont conçu dans le jardin une structure toute simple dont ils ont fait une belle galerie. Ils ont réussi à révéler le potentiel de l’endroit.

Pensez-vous que les architectes contemporains sont suffisamment tournés vers l’avenir ?

Certains, mais pas tous. Ce problème ne concerne toutefois pas que les architectes ; le monde en général est devenu plus conservateur. Et bien sûr, dans ce contexte, les architectes doivent se contrôler et être à l’écoute de la société – et de leurs clients. Il n’en reste pas moins qu’un processus créatif demande un travail d’équipe, entre architectes mais aussi avec les ingénieurs et les hommes de métier traditionnels. Nous n’avons encore jamais conçu un bâtiment en collaboration avec un artiste, mais il arrive qu’une photo artistique nous inspire. Ce dialogue représente parfois un risque, mais il mène aussi à de meilleurs résultats.

(*) Jusqu’au 21 novembre prochain, www.labiennale.org

Par Leen Creve

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