Comment cette période ingrate de la vie, longtemps cantonnée au rôle d’antichambre de l’âge adulte, a- t-elle pris le pouvoir ?  » Grâce à la musique « , répond avec panache Benoît Sabatier dans la bouillonnante anthologie qu’il consacre à la culture  » jeune « . Ou plus exactement, grâce au rock’n’roll.

Pour le directeur adjoint du magazine culturel  » Technikart « , tout a en effet commencé le 6 juillet 1954 dans les studios Sun de Memphis, aux Etats-Unis. Cheveux gominés, gueule d’ange et voix de velours, un certain Elvis Presley enregistre ce jour-là  » That’s All Right « …

Le rock est né. Et avec lui la jeunesse. Ou vice versa. Rien ne sera en tout cas plus comme avant. Electrisés par une bande-son où défilent bientôt Dylan, les Beatles ou les Stones, les jeunes se libèrent des chaînes de la tradition pour affirmer leur singularité. Fini de singer sans broncher papa et maman. Désormais, les tendrons se démarquent, se rebiffent, se rebellent.

A la fois encyclopédie et journal intime,  » Nous sommes jeunes, nous sommes fiers  » égrène fiévreusement toutes ces époques qui ont donné corps à une nouvelle  » espèce « . On passe d’une ère à l’autre, du déhanchement (Elvis et consorts) à l’engagement (Beatles et Dylan), de la défonce (hippies, Mai 68) au dévergondage (glam-rock, Bowie) et au déchirement (punk, disco), qui marque le début de la fin.

A l’aube des années 1980, les signes de récupération se multiplient. La machine se grippe. La subversion devient une (im)posture. Le journaliste, qui aime décidément les dates symboliques, situe la cassure en 1984. Les héros de la première heure ont – mal – vieilli. Brigitte Bardot n’est plus que l’ombre de B.B. La  » génération X  » troque l’idéalisme pour l’opportunisme. La jeunesse n’est plus un tremplin vers la liberté, c’est un diktat. Même les vieux sont jeunes.

Benoît Sabatier poursuit néanmoins son périple, jusqu’à ce concert des White Stripes en 2004. Mais le c£ur n’y est plus. Partout, il ne voit plus que débris, faux-semblants, régression.  » La culture jeune du xxie siècle sert une soupe décérébrante « , tranche-t-il, impitoyable.

De bout en bout, le ton est incisif, bagarreur, teigneux même parfois. Un voyage érudit et captivant, jalonné d’anecdotes succulentes et d’interviews de témoins de premier choix (Brian Eno, Madonna ou les Strokes). On lui pardonnerait presque sa propension à ressasser le glorieux passé, seule fausse note.

Autant Greil Markus, le pape de la culture rock, fait dans l’économie et la distanciation, autant Benoît Sabatier se jette corps et âme dans la mêlée. La musique, il la vit. Elle est… toute sa jeunesse. En 1984, il s’est senti trahi dans sa chair, dépossédé de  » sa  » révolution. Et ne s’en est jamais vraiment remis. Ce journal de bord est autant le panégyrique que le procès d’une génération, les baby-boomers. Brûler ce qu’on a adoré… Très rock’n’roll comme attitude !

 » Nous sommes jeunes, nous sommes fiers « , par Benoît Sabatier, Hachette Littératures, 660 pages.

Laurent Raphaël

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