LA LIGNE CLAIRE DE HOLSCHER

Aux extrémités, deux pignons entièrement vitrés inondent de lumière les pièces principales. © LINE KLEIN

Une maison aux allures de bunker, posée sur une pelouse impeccable. C’est dans cette habitation qu’il a dessinée voilà quarante-cinq ans, que l’on rencontre l’architecte danois Knud Holscher. Peu connu chez nous, ce génie discret fait l’objet d’une rétrospective à Paris.

Au Danemark, le design n’est pas qu’affaire de riches. Il entre dans le quotidien de chacun par la petite porte, inspirant le moindre objet usuel. A tel point qu’il n’y a aucune honte pour un designer réputé à inventer des toilettes. Les sanitaires de Knud Holscher sont diffusés dans toute la Scandinavie, des hôpitaux à l’habitat individuel en passant par les aéroports. Sur l’affiche de l’exposition qui lui est consacrée en ce moment à la Maison du Danemark, à Paris, il est même assis dessus, l’image résumant bien son goût pour la simplicité et l’autodérision.  » Il est totalement inconnu chez nous, alors que ses compatriotes Arne Jacobsen, Poul Kjærholm et Finn Juhl sont devenus des icônes internationales, souligne Marius Hansteen, conseiller culturel à l’ambassade française du Danemark. Nous avons voulu rendre hommage à ce grand nom du design industriel et de l’architecture.  » Une bonne raison de le rencontrer dans la maison où il vit depuis 1972 au nord de Copenhague.

Un quartier sympathique, loin d’être huppé, au détour d’un chemin verdoyant. Posée sur un gazon impeccable où s’épanouit un pommier chargé de fruits, seule forme organique du paysage, la demeure de Knud Holscher n’offre au regard que les angles droits de ses murs de briques sombres. Mais ce bunker, adouci par une vigne vierge rougissante, réserve quelques surprises. Aux extrémités, deux pignons entièrement vitrés inondent de lumière les pièces principales. Entre les vues sur l’extérieur et les reflets miroitant sur le verre et l’eau des bassins, le jardin semble s’inviter dans la maison et les pièces se prolonger sur les terrasses.  » J’ai visité beaucoup de maisons aux Etats-Unis, dont celle de Charles et Ray Eames, raconte Knud Holscher. Contrairement à ce couple de génie, je n’avais pas la chance d’avoir la vue sur le Pacifique. Alors, avec un paysagiste, nous avons décidé de créer ces petits plans d’eau.  »

A 86 ans, cet homme aux yeux bleus malicieux n’a rien perdu de son humour. Et si quelques noms d’un passé lointain lui échappent parfois, il égrène sans hésiter les références de son mobilier : les fauteuils LC1 en cuir noir et tubes d’acier de Le Corbusier, la banquette PK80 de Poul Kjærholm, les suspensions PH 4/3 de Poul Henningsen, la table New Angle de Jørn Utzon et les fameux vases Aalto.  » Un jour, j’en ai découvert un qui lui ressemblait beaucoup dans un musée japonais… sauf qu’il datait du XVe siècle.  » A côté de ces grands classiques, danois pour l’essentiel, s’inscrivant parfaitement dans cet espace aux lignes pures, une série de pièces plus personnelles donnent de l’âme à l’ensemble. Des aquarelles réalisées au cours de ses voyages, un tapis rayé bleu et blanc du Nigeria, où il avait travaillé sur un projet d’université qui n’a finalement pas vu le jour, des statuettes primitives achetées à New York, une plaque de métal ciselée par son père, plombier qui se rêvait artiste… Mais aussi et surtout les toiles monumentales et abstraites de sa fille Tine, qui habillent les murs et  » amortissent aussi un peu le bruit « , commente-t-il en riant.  » Quand j’ai imaginé cette maison un peu expérimentale, je n’ai pas pensé à l’acoustique, raconte-t-il. Le premier soir où nous avons dormi ici, on entendait, de notre chambre, le chat laper de l’eau dans la cuisine.  » Une gageure dans ce lieu de plus de 300 m2… Mais finalement guère surprenant car cet espace, où la cuisine communique avec le séjour et avec la chambre à coucher en mezzanine, est entièrement ouvert. Seuls les enfants du couple ont eu droit, à l’époque, à des pièces fermées.  » J’y avais prévu une seule entrée de lumière, donnant l’impression de petites grottes intimes « , note Knud Holscher, aujourd’hui grand-père. Ce qu’il préfère dans sa demeure ?  » Les variations de niveau  » qui rythment les lieux, des petites marches aux escaliers inscrits sur des pentes lisses qui ont longtemps servi de toboggans. L’unité de l’ensemble est assurée par un sol en carrelage blanc présent dans chaque pièce.

SIMPLE ET FONCTIONNEL

Au-delà de l’architecture, Knud Holscher a tout conçu dans les moindres détails, des poignées de porte aux rangements de la cuisine en passant par les spots fixés sur des rails au plafond pour un éclairage sur mesure. Ses meubles de cuisine en alu, inspirés des malles de voyage qu’on peut poser ouvertes à la verticale et déplacer facilement, font d’ailleurs l’objet d’un chapitre dans le catalogue de l’expo. Organisée d’abord à Copenhague en février 2016, cette rétrospective sur Knud Holscher présentait un exemplaire de ce mobilier. Parfaitement adapté aux logements urbains où l’on a  » besoin de rangements flexibles dont le contenu […] peut être, au choix, caché ou montré selon ses besoins « , il a, depuis, été édité en bois pour le grand public.

 » La fonction du designer est de poser un problème et de chercher une solution, rappelle Marius Hansteen. Knud Holscher a grandi dans cette après-guerre où l’on inventait des objets simples et fonctionnels. Le Bauhaus et Mies van der Rohe, ont été, avec Charles Eames et Philip Johnson, ses principales sources d’inspiration.  » Après des études d’architecture à l’Académie royale des beaux-arts et une première expérience aux côtés des designers et architectes Erik Herlow puis Erik Christian Sørensen, il rejoint en 1960 l’équipe d’Arne Jacobsen. Il y supervise la construction du Saint Catherine’s College, à Oxford, avant d’intégrer un autre cabinet où il emporte le concours pour la création de l’université d’Odense, au Danemark. En 1971, il devient un associé de l’agence KHR Architects, aujourd’hui gérée par son fils Rasmus.  » J’ai eu trois carrières, détaille- t-il : diriger KHR ; faire du design ; donner des cours à l’école d’architecture.  » De ces années de professorat, il garde 12 000 diapositives.  » Avec ces horribles nouvelles technologies, je ne sais plus qu’en faire !  » avoue-t-il, même s’il reconnaît que ce progrès a du bon :  » Lorsque vous dessinez trop bien, tous les projets semblent possibles ; un dessin sur ordinateur, lui, ne ment pas.  »

Parfois un peu froid, son style sait s’adapter aux environnements. Pour le musée de Bahreïn, inauguré en 1988, il a travaillé sur une lumière douce, tamisée par des parois ajourées, sur le modèle des moucharabiehs. Touche-à-tout, il a aussi conçu des accessoires de cuisine et une poussette pour les marques danoises Scanwood et Seed, un abribus pour JC Decaux, des spots pour l’Italien Flos, des panneaux pour le métro de Copenhague… la liste n’est pas exhaustive. L’anonymat du design industriel ne l’a jamais rebuté. Quant à sa maison, dont ses enfants ne veulent pas car trop grande et trop identifiée à leur père, il est déjà prévu de la léguer à une fondation spécialisée dans les demeures d’architecte. En attendant, Knud Holscher y coule des jours paisibles avec sa femme Henny et affirme, un sourire satisfait en coin :  » Nous aimons toujours rentrer de voyage. « 

PAR LOUISE PROTHERY / PHOTOS : LINE KLEIN

KNUD HOLSCHER A TOUT CONÇU DANS LES MOINDRES DÉTAILS, DES POIGNÉES DE PORTE AUX RANGEMENTS DE LA CUISINE EN PASSANT PAR LES SPOTS FIXÉS.

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