La maison en cobranding
Entre mode et design, les alliances se multiplient. Un partage de savoir-faire bon pour l’image. Et le business. Décodage.
D’un côté, il y a l’arc-en-ciel acidulé et les imprimés lignés qui composent l’ADN de la maison Missoni. De l’autre la pureté quasi clinique du Corian®, ce composite unique, à la réputation minimaliste, abonné au nuancier des blancs. Mêlez les deux et vous obtenez l’un des cocktails design les plus hype du moment : un éditeur pointu, chouchou des architectes stars et une icône de la fashion qui, petit à petit, s’est taillé une place respectable dans l’univers de la maison, de plus en plus courtisé par les marques de mode.
Ensemble, ils ont rêvé une maison tout en Corian®, visitée par toute la presse internationale lors du Salon du meuble de Milan, en avril dernier, et, plus récemment, lors du London Design Festival qui s’est tenu en septembre dernier. Une cuisine, un salon, une salle de bains, même, d’un luxe inouï et pourtant, pétillants de couleurs, débordants de chaleur et de petits objets complices. En choisissant Missoni – après avoir travaillé les années précédentes avec les architectes Jean Nouvel et Zaha Hadid – Corian® a fait coup double. Il a réussi à humaniser une marque à la réputation design irréprochable tout en faisant entrer de plain-pied dans le cercle fermé des éditeurs qui comptent au sein de la petite planète design, un label qui s’est fait un nom sur les catwalks.
Pour Missoni, le timing était parfait : couronnée » créateur de l’année » en 2007 par le salon parisien Maison & Objet, Rosita Missoni a réussi, en dix ans, à positionner la filiale Home de la griffe italienne comme un acteur sérieux du monde de la déco. » Lorsque nous avons commencé, dans les années 1980, nous proposions seulement du linge de maison et des tapis, rappelle Luca Missoni en charge de la supervision du projet » Corian® loves Missoni « . Il s’agissait du prolongement naturel du travail d’une marque de mode qui jongle par nature avec le textile. Ensuite, nous avons créé des ambiances pour présenter nos collections dans les salons. Et pour cela, nous avons imaginé des sofas, des fauteuils, des barres pour les rideaux… Peu à peu, nous sommes passés de la nappe à la table, du couvre-lit au lit. «
Des couleurs gourmandes pour Corian®
En partageant avec les techniciens de Corian® sa maîtrise du graphisme et de la couleur, Luca Missoni s’est vu offrir en échange un matériau unique, lui ouvrant des pistes de création insoupçonnées jusqu’alors, donnant naissance à des objets exceptionnels. Exemple : cette étonnante table à plateau tournant dont les motifs que l’on dirait marquetés comme dans les meubles en bois fabriqués à l’ancienne sont en réalité » tatoués » dans la masse. » Dans la mode aussi, lorsque l’on créée un vêtement, on travaille sur les volumes, poursuit Luca Missoni. Nous avons commencé par imaginer des tissus. Aujourd’hui, tout naturellement, nous pensons aussi à la forme des objets que nous pourrions recouvrir de ces tissus. Pour réussir dans le monde du design, nous avons dû apprendre à faire des choix plus stricts. Car contrairement à la mode où tout change au bout de quelques mois, nous devons nous projeter sur plusieurs années. Nous inscrire dans la durée. «
Cette alliance que certains puristes des deux mondes jugent encore contre nature est pourtant loin d’être la seule. Bottega Venetta, qui avait lancé il y a deux ans sa collection Home, vient de s’associer à l’éditeur italien Poltrona Frau, spécialiste du travail du cuir, pour créer Meta, un luxueux fauteuil imaginé par Tomas Maier. Pour justifier ce cobranding, le directeur artistique de Bottega Venetta avance l’indiscutable expertise que lui apportera son partenaire. » Concevoir des fauteuils requiert un savoir-faire particulier, justifie Tomas Maier. Il est question de confort mais aussi de connaissance du corps humain. Il faut bien comprendre les procédés de fabrication. » Giuliano Mosconi, CEO du groupe Poltrona Frau parle, pour sa part, de synergie naturelle entre deux sociétés qui ont en commun un même amour du cuir, un souci du détail et du travail bien fait. » La mode et le design ont tous deux pour but d’améliorer la qualité de vie des gens, ajoute-t-il. Même si leurs rythmes sont différents. En design, l’approche esthétique se doit de s’inscrire davantage dans la durée alors que l’on attend de la mode un résultat plus immédiat. «
Pour d’autres grands noms du design, le twist fashion qu’ils apportent à leur collection passe par un simple habillage d’une de leurs pièces classiques. Ainsi, chez Molteni, Vivienne Westwood revêt les fauteuils Glove et Clipper, le canapé modulable Freestyle et le pouf Domino d’une édition limitée de l’imprimé Squiggle, must-have de la styliste britannique dans les années 1980. Quant à Giulio Cappellini, c’est dans les archives de la maison Pucci qu’il a puisé pour éclabousser de couleurs la chaise Rive Droite de Patrick Norguet. » La mode peut influencer le design en termes de couleurs, de textures, de choix de motifs et de méthodes de travail, souligne le directeur artistique de Cappellini. Ces deux mondes ont le même but : offrir à leur clientèle des produits résolument contemporains. » Comme le précise Christopher Sharp, fondateur de la marque de tapis de luxe The Rug Company qui a déjà fait appel aux services de Paul Smith, Vivienne Westwood, Diane von Furstenberg ou Matthew Williamson : » Les créateurs de mode ont un sens de la couleur et de l’imprimé à nul autre pareil. » » J’aime l’idée que nous leur offrons un canevas vierge sur lequel ils peuvent laisser libre court à leur imagination, détaille-t-il. Les tapis créés par ces grands noms de la mode sont devenus des pièces iconiques. «
Des sources d’inspirations croisées
Les créateurs aujourd’hui ne se contentent d’ailleurs plus d’ » habiller » des poufs ou des canapés : pour Samsung, c’est un téléviseur LCD à écran plat que Giorgio Armani a relooké, les logos des deux marques se partageant la vedette sur le cadre de l’appareil. » Longtemps, les gens cherchaient à tout prix à cacher leur téléviseur car il risquait de ruiner l’atmosphère du living, rappelle le créateur milanais. Maintenant, grâce à leur incroyable technologie, les écrans plats ne dénotent plus du tout même dans les intérieurs les plus design. » Surtout s’ils sont posés, qui plus est, sur une table de salon Armani Casa, spécialement conçue à cet effet…
Parfois, s’ils ne signent pas à proprement parler un meuble pour un éditeur, la personnalité ou le travail des créateurs de mode inspirent architectes et designers. Ainsi la chaise Helleu, chez Poltrona Frau, qui propose une relecture élégante et raffinée du fauteuil de metteur en scène, est dédiée par François Russo à son ami Jacques Helleu, directeur artistique des parfums et de l’horlogerie Chanel pendant plus de quarante ans, décédé en septembre 2007. Lorsque Oki Sato du bureau de design Nendo crée la chaise Cabbage, il répond directement au souhait d’Issey Miyake : concevoir un meuble en recyclant les tonnes de papier plissé utilisées dans la fabrication des vêtements Pleats Please, signature infroissable du célèbre styliste japonais. En pelant lui-même les rouleaux de papier comme des oignons, le futur propriétaire de ce charmant petit fauteuil trapu pourrait même participer à sa création. Et apposer lui aussi sa signature en bas de l’objet…
Isabelle Willot
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