Barbara Witkowska Journaliste

Solide comme un roc, fouettée par l’océan imprévisible, la ville fermée des corsaires où naquit Chateaubriand a su admirablement préserver son âme et s’offre toujours comme un vaisseau de haut bord.

Carnet de voyage en page 80

 » C ouronne de pierre posée sur les flots « , écrivait, il y a plus d’un siècle, Gustave Flaubert. Il n’existe pas de plus belle et de plus juste définition, pour résumer Saint-Malo. Pour l’homme de la ville qui débarque devant la vieille cité des corsaires, sa masse compacte, grise et mystérieuse, refermée sur elle-même, semblant flotter au milieu des vagues, reste une vision grandiose. Eclairée par une lumière limpide, Saint-Malo éblouit, écrasée par un ciel gris, elle impressionne. D’où qu’on la regarde, elle s’offre comme un vaisseau de haut bord. Pour lier connaissance, pour l’apprivoiser un tout petit peu, on monte d’abord sur les remparts. La balade a quelque chose de magique. D’un côté, la masse minérale, silencieuse et immobile. De l’autre côté, la masse liquide, mouvante et vivante qui ne cesse de déchirer la côte. On ne se lasse pas d’en faire le tour. A qui pouvait bien servir ce bloc immense de maisons de granit serrées les unes contre les autres, entre le continent et le large ?

Un peu d’histoire…

Mac Low, un moine du pays de Galles, débarque au VIe siècle sur ce bout de terre païen, pour l’évangéliser. Il remplit sa tâche avec tant de zèle, qu’après sa mort, le nom du village est tout trouvé : Saint-Malo. Six siècles plus tard, l’évêque Jean de Châtillon confère au rocher, où reposent les restes du saint, le statut de siège épiscopal. Du coup,  » l’image  » de la cité gagne en importance et en prestige. La proximité d’un port attire marchands, artisans, armateurs et marins. La situation exceptionnelle de cette presqu’île rocheuse entraîne deux conséquences. D’un côté, les Malouins, bien protégés, échappent à de multiples conflits qui déchirent les populations du Moyen Age sur terre et sur mer. D’un autre côté, cet isolement forge des esprits revendicatifs, indépendants et rebelles, farouchement insoumis aux différents pouvoirs. Dès le XVe siècle, Saint-Malo est une ville avec laquelle il faut compter. Le commerce avec les Indes, la Chine, l’Afrique et les Amériques est source de grande richesse. Le trafic maritime incessant et important en fait le premier port de France. A la fin du XVIIe siècle, Vauban peaufine les fortifications, agrandit les remparts et donne à la ville le look qu’on lui connaît aujourd’hui. Intra-muros, les hôtels particuliers rivalisent de grandeur et de magnificence. Le XIXe siècle apporte la dernière  » valeur ajoutée  » à sa célébrité. Les happy few de l’époque s’y donnent rendez-vous pour respirer le bon air, se détendre et cultiver l’art de vivre. Saint-Malo devient une station balnéaire haut de gamme et en vogue. Ce parcours sans faute bascule à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Un rideau de bombes, lâchées par les Américains, s’abat sur la ville et la détruit à 80 %. Tous les habitants se mobilisent pour faire renaître ce joyau prestigieux du patrimoine national. Chaque pierre est numérotée et soigneusement réutilisée. Si certaines demeures ou hôtels particuliers ne sont pas des copies conformes des originaux à 100 %, l’esprit de la cité et son ambiance sont admirablement reconstitués. On a l’impression que cette  » couronne de pierres  » est là depuis l’éternité.

Que de célébrités…

Peu de villes peuvent s’enorgueillir d’avoir des fils aussi grands et célèbres que Saint-Malo. Jacques Cartier  » découvre  » le Canada et s’en empare, au nom du roi de France, en 1534. Plus tard, surtout au XVIIIe siècle qui coïncide avec l’âge d’or de la cité, commence l’épopée mythique des corsaires qui a nourri toutes les imaginations. D’emblée, une précision s’impose. Les corsaires n’étaient pas des pirates. D’ailleurs, qui oserait prétendre que Chateaubriand était le fils d’un pirate ? Officiellement autorisés par l’Etat avec qui ils partageaient d’ailleurs leurs prises, les corsaires étaient chargés de  » courir sur les ennemis « . On appelait  » corsaires  » aussi bien les navires que les capitaines et les hommes d’équipage qui pratiquaient la course. Les corsaires ont donné leurs noms aux fleurons de la marine française, tels Robert Surcouf, René Duguay-Trouin et, donc le père de Chateaubriand, René-Auguste. Rude et redoutable corsaire, il fit fortune grâce à quelques campagnes particulièrement profitables, notamment en Afrique occidentale, commandant un navire négrier. Ce qui n’a pas empêché le  » comte de Combourg  » (appellation de pure courtoisie), une fois devenu riche et propriétaire du château de Combourg, de dénoncer violemment le trafic des esclaves ! Autres temps, autres m£urs… Très fières de leurs corsaires, les Malouins ont créé, il y a quarante ans, l’Association des descendants de capitaines corsaires (ADCC), institution très select qui réunit 600 personnes et compte parmi ses membres pilotes de ligne, éditeurs, notaires, médecins et banquiers… Revenons à nos célébrités de jadis. François Mahé de la Bourdonnais, autre noble malouin, s’est rendu célèbre en tant que gouverneur des îles Maurice et de la Réunion dont il a boosté l’essor économique. Enfin, François-René Chateaubriand (1768-1848), monument de la littérature française, mais aussi voyageur intrépide, écologiste avant la lettre, journaliste, diplomate, homme d’Etat inclassable et… grand amateur de femmes, particulièrement épris de Juliette Récamier,  » la belle des belles « . Sa vie tumultueuse et si bien remplie n’avait qu’un seul maître mot : la liberté. La liberté qui reflète si bien l’image de Saint-Malo, sa ville natale.

Les étapes de caractère

On prendra soin de glisser dans son sac les  » Mémoires d’outre-tombe « , en livre de poche, qui nous tiendront compagnie lors des pauses-café. Commençons par une balade sur la splendide plage du Sillon où François-René enfant guerroyait avec les marées d’équinoxe. Puis on pénètre intra-muros par la porte Saint-Vincent, principale entrée de la ville, élevée en 1709. Devant nous, une image sublime, sortie tout droit d’une carte postale, avec la large coupée du palais ducal et la place Chateaubriand. Le palais, construit par les ducs de Bourgogne aux XVe et XVIe siècles, abrite aujourd’hui la mairie et ne se visite pas. En revanche, il faut pousser la porte du grand donjon sur la droite. Ce prestigieux espace, bâti de granit et meublé d’immenses cheminées, sert d’écrin au Musée d’histoire de Saint-Malo. A voir absolument. Les trésors ? Une très belle figure de proue de bateau représentant un corsaire, très probablement René Duguay-Trouin, mais aussi une foule de tableaux, maquettes, plans, portraits qui retracent l’histoire de la ville et de ses hommes célèbres. Il faut poursuivre et compléter la visite au Musée du pays malouin (accessible avec le même billet). Maquettes de navires, outils singuliers, accessoires divers, costumes anciens et images des premiers bains évoquent la rudesse mais aussi les charmes de la vie quotidienne de jadis. La cathédrale Saint-Vincent est très proche. Elle a beaucoup souffert pendant les bombardements et sa rénovation n’a pris fin qu’en 1971. On contemplera le ch£ur, plein de finesse, les tombes de René Duguay-Trouin et de Jacques Cartier, ainsi qu’une mosaïque au sol, souvenir de la visite de celui-ci avant son départ pour le Canada (le 16 mai 1535). Ensuite ? On prend le chemin des écoliers pour se perdre dans ce labyrinthe de granit, contempler les façades, les unes plus belles que les autres, les passages, les placettes, les cours pittoresques. A marée basse, on ira à pied jusqu’au fort national, £uvre impressionnante de Vauban et, surtout, sur l’île du Grand-Bé, la dernière demeure de Chateaubriand. Face au large, il y repose, selon sa dernière volonté, sous une dalle toute simple où l’on ne voit  » aucun travail de l’art, aucune inscription, aucun nom, aucune date sur la pierre. Une petite croix de fer sera la seule marque de mon naufrage ou de mon passage en ce monde « . (Chateaubriand). Cette cité si particulière et si attachante pourrait largement suffire à occuper votre temps libre. Mais comment résister à l’appel de Combourg quand on a (re)lu les premiers chapitres des fameux  » Mémoires  » ? Combourg reste toujours cette grande forteresse, flanquée de huit tours, sombre et sans joie, malgré quelques retouches opérées à la fin du XIXe siècle qui apportèrent un semblant de confort. L’esprit des lieux demeure intact. On contemple la chapelle, la salle des gardes, les archives, sa table de travail, son lit de mort, et on comprend mieux son enfance, entre tristesse et exaltation.  » Des cachots et des donjons, un labyrinthe de galeries… partout silence, obscurité et visage de pierre, voilà le château de Combourg.  » (Chateaubriand) Pour quitter les lieux sur une note plus optimiste, on attendra la tombée de la nuit. Un éclairage sophistiqué et subtil transforme complètement le château. Il devient superbe et presque féerique.

Barbara Witkowska

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