Ses interventions posées chez Jean-Luc Delarue nous ont rendu son visage familier. Stéphane Clerget, pédopsychiatre, auteur d’une quinzaine d’ouvrages dans le domaine psy, publie cette semaine La mère parfaite, c’est vous. Un cadeau parfait pour le 11 mai.

Habitué des plateaux de Ça se discute et Jour après jour animé par Jean-Luc Delarue (sur France 2), Stéphane Clerget est rapidement devenu une référence en matière éducative à Paris. Son cabinet de consultation ne désemplit pas, et ses livres – que ce soit sur la crise d’adolescence, le divorce ou l’autorité parentale – permettent souvent de faire le point sur des situations délicates. Aujourd’hui, avec La mère parfaite, c’est vous, aux éditions Flammarion, c’est aux mamans que Stéphane Clerget s’adresseà Et à leur entourage !

Weekend Le Vif/L’Express : Dans votre livre, toutes les formes de maternités sont passées en revue : la mère poule, la mère solo, la working motherà Et vous pointez un sérieux point commun : la culpabilité. Est-ce à force d’entendre les ados critiquer leur maman que vous avez eu envie d’écrire cet ouvrage ? Pour les déculpabiliser ?

Stéphane Clerget : L’objectif de ce livre n’était pas de déculpabiliser les mères – tant mieux si c’est le cas -, mais de comprendre pourquoi elles culpabilisent tant, en permanence, et pour tout. Cela m’a surpris. Je désirais comprendre également les raisons pour lesquelles on les rend responsables des problèmes de leur enfant, beaucoup plus que les pères, par exemple. L’objectif de ce livre est de sortir de cette impasse qui repose sur la notion de culpabilité. Cela bloque l’amélioration du développement de l’enfant. Il faut chercher au-delà pour comprendre certains problèmes, chercher dans l’entourage, voire le transgénérationnel. Il y a souvent des raisons plus profondes, il faut être moins simpliste que résumer les problèmes de l’enfant à une erreur éducative de la mère.

Comment expliquer le regard censeur de la société : psychanalystes, profs, mamans, voire publicitéà Tous ont un avis sur notre mode éducatif !

C’est étonnant, mais ce n’est pas nouveau. La remise en question se fait en réalité sur les femmes, en général. C’est une attaque vis-à-vis de leur pouvoir. Historiquement, les hommes se méfient des femmes. Ils tentent d’affaiblir leur pouvoir en les mettant à l’écart, parce qu’ils la présument d’un pouvoir supérieur. Les petits garçons déjà se détachent de leur maman en ayant cette pensée : si elle peut donner la vie, elle peut aussi la reprendre ! Culpabiliser les mamans, c’est limiter leur pouvoir.

Comment remettre à sa place une personne qui nous juge sans la heurter ?

Déjà, il faut que la mère se libère elle-même de cette culpabilité. Si on se sent soi-même coupable, la remarque d’un tiers va renforcer le trait. Il faut étudier les racines de cette culpabilité : pourquoi a-t-on l’impression de tant mal faire ? Cette analyse est primordiale avant de répondre à l’attaque des autres. Ensuite, il faut savoir que ces  » attaques  » sont souvent un mécanisme de défense. Quand on critique quelqu’un, on critique sa manière de faireà Parce qu’elle n’est pas comme la nôtre ! Et si ce n’est pas l’autre qui fait mal, alors forcément, c’est moi ! Cela se base sur l’idée erronée qu’il n’y a qu’une seule bonne façon de faire. Derrière chaque critique se cache une défense personnelle. Il faut éviter de répondre soi-même par l’attaque, cela ne ferait que créer une réaction en chaîne. Les mères entre elles ne sont pas très solidairesà

Vous admettez que la mère parfaite n’existe pas en citant Winnicott :  » Il n’y a que des mères suffisamment bonnes « . Comment accepter que quoi qu’on fasse, ce ne sera jamais assez bien ?

En renonçant à la dimension mégalomaniaque qui nous fait croire qu’on a tout pouvoir sur son enfant. Cela nous vient probablement du fait qu’on a soi-même imaginé notre mère toute-puissante. Nous avons une représentation presque divinisée de la mère. Cette idée reste enfouie en nous, et une fois qu’on devient mère à son tour, on se tourne vers le modèle qu’on a retenu : on se compare à une déesse ! Or, forcément si on est tout-puissant, on veut un enfant absolument parfait. Comme ce n’est absolument pas le cas, il y a une insatisfaction. Mais la triste conscience qu’on n’est pas toute-puissante devrait permettre justement d’accepter l’idée qu’on ne peut pas façonner totalement son enfant à ce qu’on souhaiterait. Et quand bien même on pourrait le façonner – parce que souvent l’enfant nous fait plaisir en essayant de remplir nos désirs – il n’y a pas un modèle unique de l’enfant parfait.

Mais vous reconnaissez que l’enfant apparaît comme le prolongement social de soi. On espère tous qu’il réussisse là où on a échouéà

Oui, mais l’enfant est au carrefour de deux désirs : celui de la mère et celui du père. Lui, gentil, veut satisfaire tout le monde, alors que ses désirs à lui ne vont pas forcément dans le même sens. Puis il y a les désirs des grands-parents. Qui sont peut-être en contradictionà On projette tellement de désirs que l’enfant est bien obligé de faire une synthèse à laquelle s’ajoute sa propre volonté. Le difficile renoncement de la mégalomanie maternelle doit permettre aux mères de déculpabiliser et d’accepter l’autonomisation de leur enfant. Accepter que son enfant ne soit pas exactement tel qu’on veut qu’il soit. C’est peut-être difficile pour une mère, mais important. Quand une mère me dit  » qu’est-ce que j’ai mal fait ? « , je m’amuse à lui répondre :  » Mais madame, vous êtes bien prétentieuse !  » Elles pensent qu’elles sont à l’origine de toutà

Pourquoi les femmes sont-elles persuadées qu’elles élèvent mieux les enfants que les hommes ?

Parce que depuis plus de 2 000 ans, c’est leur fonction ! Et parce qu’elles-mêmes ont été majoritairement élevées par leur mère, et formatées par leur éducation : s’il y avait un autre bébé dans la famille, c’est à elle qu’on demandait de s’en occuper, pas à leur frère. Aujourd’hui, on demande plus volontiers au petit frère de s’en chargerà Et les papas s’investissent plus dans l’éducation de leur enfant.

Pensez-vous que cette nouvelle parentalité va alléger le poids qui pèse sur les épaules des mères ?

En théorie, oui. Dans les faits, ce n’est pas encore le cas. Un plus grand partage des tâches allégera probablement les mamans, mais la puissance supposée des mères est tellement inscrite dans l’imaginaire des individus et depuis si longtemps, que cela va sans doute prendre un peu de tempsà

L’idéal est donc d’éduquer rapidement les petits garçons à la paternité ?

Evidemment. D’une façon générale, l’éducation à la paternité s’apprend dès le plus jeune âge. En confiant des responsabilités aux enfants, en les impliquant ou en les laissant être le témoin de notre manière de s’occuper des frères et s£urs. L’éducation à la paternité, c’est tout simplement un père qui s’occupe de ses enfants. Il sera naturel pour ces enfants, une fois adultes, de voir un homme s’occuper d’un bébé. Ce ne sera pas du tout dissocié.

En attendant, le secret pour réussir et combler son enfant ?

Renoncer à sa mégalomanie et reconnaître que pour élever un enfant, une mère ne suffit pas. Il existe des relais éducatifs. C’est dur de l’admettre, parce qu’il faut lutter contre des siècles d’idées reçues. Certaines mères s’occupent de tout, mais font des choses qu’elles ne supportent pas, et le font en pestant. L’enfant le ressent et, comme il est égocentrique, il est persuadé que c’est de sa fauteà L’effet est donc plus néfaste que si on avait osé demander de l’aide. L’idéal est d’apprendre à repérer ses envies et ses compétences (en partant du principe qu’on fait bien ce qu’on aime bien), reconnaître ce qu’on n’aime pas ou ce qu’on ne sait pas faire. La mère parfaite n’est pas celle qui sait tout. Les mères comme les chefs de service doivent apprendre à déléguer. Etre mère, c’est une affaire d’équipe. Le secret, c’est d’accepter les relais, et expliquer la situation à l’enfant. Reconnaître qu’on n’est pas tout-puissant est rassurant pour l’enfant : cela lui permet d’accepter ses failles et ses champs d’intérêts personnels. D’ailleurs, s’il s’oppose parfois à nous, c’est peut-être parce qu’on est tellement parfait qu’on en devient étouffantà

Difficile pour une mère d’accepter ses failles, encore plus de demander de l’aideà

C’est dur, mais c’est le premier pas. Le plus important.

La mère parfaite, c’est vous, par Stéphane Clerget avec Danièle Laufer, éditions Flammarion.

Propos recueillis par Valentine Van Gestel

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content