Ce printemps, les créateurs se font militants. Dans leur ligne de mire : les problèmes de société d’aujourd’hui et les défis de demain. Qui a dit que la mode était futile ?

N’en déplaise à ceux qui résument la mode à une histoire de longueur d’ourlet, ce que l’on porte sur le dos est aussi un excellent baromètre sociétal. La preuve par les collections printemps-été 08, nourries des grands débats du moment. Ainsi, à Paris comme à Milan, et dans une moindre mesure à New York, les podiums nous sensibilisent aux problèmes de pollution et de réchauffement climatique, nous rappellent que les conflits internationaux s’éternisent et dénoncent le déséquilibre des relations Nord-Sud. Voyage en quatre étapes autour de la planète fashion.

Green attitude

A travers ses collections estampillées  » zéro cuir  » ou sa très hype ligne de cosméto bio, Stella McCartney n’a pas attendu le printemps-été 08 pour afficher ses positions  » vertes « . Cette saison, la créatrice britannique affirme un peu plus encore son engagement : elle a en effet invité Patrick Blanc, le botaniste connu du grand public pour ses murs végétaux – dont celui qui orne la façade du musée du Quai Branly, à Paris – à orchestrer son défilé. Les silhouettes hippie chic de la belle écolo ont donc évolué dans un palais de Chaillot transformé en jungle éphémère. Le concept du rideau de verdure était également décliné par Kenzo et Paul & Joe, qui apportaient ainsi une bouffée d’air pur à la trépidante semaine parisienne de la mode.

Chez Marithé + François Girbaud, c’est un décor de mappemonde et un slogan choc –  » Water ?  » – qui donne le ton. Le duo français, qui a adopté le laser au détriment des bains polluants pour décolorer ses jeans, entendait par là conscientiser la profession à la sauvegarde des ressources en eau. Avec une collection plutôt rock, parfois teintée d’accents punk, les stylistes français démontrent que l’on peut s’engager pour la pla-nète sans tomber dans le cliché néofolklo.

Quant à l’école japonaise, elle se laisse à son tour gagner par la green attitude. Pour leur premier défilé, les deux jeunes créateurs qui se cachent derrière le label Commuun ont dessiné un joli vestiaire minimaliste en jersey de coton et de soie bio.

Hot, hot, hot

Entre ses robes fluides et ses trenchs souples, Issey Miyake a de son côté mis en scène des tops en tee-shirts barrés d’un efficace  » carbon neutral « . De manière plus générale, en axant sa deuxième collection sur le thème du vent, Dai Fujiwara, directeur artistique de la griffe nippone ( lire notre portrait en pages 84 à 86), souhaite  » rappeler que le changement climatique est devenu une réalité qu’on ne peut plus ignorer « .

Une préoccupation partagée par le milieu de la confection, qui n’entend pas se laisser prendre de court par le phénomène. Ainsi, l’industrie américaine du prêt-à-porter a déjà réagi en adoptant des mesures très concrètes : afin d’adapter leur offre, plusieurs grands labels ont désormais recours à des météorologues chargés de les informer sur l’évolution du climat à moyen terme. Et chez les créateurs, on note aussi des collections moins en phase avec les saisons. Tandis qu’on avait déjà vu davantage d’étoffes fines et de manches courtes l’hiver dernier, ce printemps propose une mode moins dénudée. Olivier Theyskens, pour Nina Ricci, a notamment dessiné de longs pulls enveloppants en laine, et la fourrure s’empare du vestiaire estival chez Dior ou D&G. Quant au cuir façon croco, traditionnellement associé à l’hiver, il a fait une percée remarquée dans les shows printemps-été. Au lendemain des défilés, Harriet Quick, fashion features director de l’édition anglaise de Vogue, prédisait quant à elle l’émergence du  » all-year clothing « , avec des collections trans-saisonnières.

Même les grands groupes de luxe commencent, à leur manière, à se positionner en défenseurs de la planète. Dans la brochure Créatifs par nature, Yves Carcelle, président de Louis Vuitton, explique que sa société  » souhaite concilier création humaine et environnement pour un développement durable et pérenne  » et a déjà pris des mesures pour réduire son bilan carbone. De son côté, le groupe PPR s’est associé au réalisateur Luc Besson pour produire un film pointant les grands enjeux sociaux et environnementaux actuels.  » Nous avons un devoir de sensibilisation et d’action « , commente dans un communiqué François-Henri Pinault, PDG du groupe. Sortie prévue le 5 juin 2009, à l’occasion de la journée mondiale de l’environnement.

Armée régulière ou rebelle

Appellent-ils la paix mondiale de tous leurs v£ux, ces créateurs qui détournent le vestiaire militaire, ou font-ils écho aux bruits de bottes qui retentissent à travers le monde ? Avec ses  » guérilleras  » sexy, Jean Paul Gaultier semble vouloir nous emmener sur la piste des Farc, dont il détourne le vestiaire en y ajoutant un twist féminin : les ceinturons se transforment en bustier, le treillis se retrousse sur les bas résille, la parka est tailladée pour laisser paraître la peau et s’accompagne de gants en dentelle. Même regard ironique dans la collection Homme du couturier à la marinière, où l’on retrouve galons dorés et ceintures de soldats… sur un mannequin sosie du pacifiste John Lennon.

Pour l’Homme, toujours, John Galliano répercute l’onde de choc des conflits en Irak et en Palestine dans un joyeux bazar où s’entrechoquent masques à gaz, casques de pilotes de chasse, cartouchières, chèches et chemises à imprimés camouflage. Les treillis et autres pantalons de parachutistes prennent aussi le catwalk d’assaut chez Yohji Yamamoto. Le créateur tokyoïte affirme encore son message à travers une série de tee-shirts aux slogans guerriers et une bande-son contestataire – The times they are a-changin’, de Bob Dylan.

Dans le même esprit, mais de manière moins ostentatoire, Véronique Leroy, pour Léonard, revisite la tenue de combat en proposant de superbes gilets matelassés et Christian Lacroix dessine des caftans-parachutes. Chez Isabel Marant, keffieh, chèches, treillis et vestes de camouflage s’imposent dans toute la collection, tandis que chez Versace et Bottega Veneta, ce sont sahariennes et shorts en soie kaki ou beige. La panoplie du colon britannique s’invite à son tour chez Hermès, qui a fait de l’Inde le fil rouge de sa collection printemps-été 08.

Un autre monde

Sur les podiums installés par le célèbre sellier dans les jardins du Louvre, du rose indien et du jaune safran, des voiles de maharanis et des coiffes de maharadjahs. Mais Hermès est loin d’être la seule maison à surfer ce printemps sur la vague indienne, qui avait déjà inspiré la collection Croisière de Dior ( lire aussi notre dossier sur l’Inde en pages 40 à 59). Ce printemps, on en retrouve des réminiscences chez Alexander McQueen, qui s’inspire du Tibet pour ses vêtements masculins, chez Costume National, qui dessine des drapés façon saris, ou encore chez Giorgio Armani. Pour sa collection principale, intitulée  » Sud « , comme pour sa seconde ligne, le maestro ne se limite d’ailleurs pas à puiser dans le vestiaire traditionnel du sous-continent mais mixe les influences ethniques, donnant une connotation orientale à ses silhouettes tout en fluidité. Des trends multiculturels qui se retrouvent d’ailleurs chez bon nombre de créateurs : Christian Lacroix et Diane von Furstenberg pour leurs  » boubous africains « , Dries Van Noten pour ses juxtapositions d’imprimés, Léonard pour ses djellabas… Sans oublier le sarouel, pièce iconique de la saison, qui se plie à toutes les interprétations pour se retrouver chez Barbara Bui, Léonard, Trussardi, Cacharel ou Givenchy.

Quant à la première collection féminine de Kris Van Assche, elle puisait pour sa part son inspiration dans le Mexique de Frida Kahlo, dont les codes sont travaillés de manière minimaliste. Beaucoup de blanc et de noir, rehaussés de longues jupes monochrome orange ou jaune soleil, pour une collection très remarquée. Le Belge n’a pas failli à sa réputation de petit génie du vêtement.

Delphine Kindermans

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