La maison madrilène, fondée en 1846, revient sur le devant de la scène sous l’impulsion de Stuart Vevers, son talentueux directeur artistique. Découverte, en sa compagnie, des petits et grands secrets des ateliers.

Madrid. Sur le mur d’inspiration du studio de Loewe sont accrochés des échantillons de cuir aux motifs hispano-mauresques. Ici, une photo en plan serré d’un habit de torero, là, un portrait de Paloma Picasso.  » Quand j’ai vu cette image pour la première fois, j’ai su qu’elle serait ma muse. J’aime son côté androgyne, sexy et très haut en couleur. Et puis Picasso est mon peintre préféré « , confie avec enthousiasme Stuart Vevers, directeur artistique de Loewe, la plus célèbre maison de luxe espagnole, créée en 1846. Pas étonnant, donc, qu’il ait eu envie de tremper les nouveaux sacs en cuir nappa – un agneau souple et doux comme une peau de bébé – dans des oranges, magentas, turquoises, violets saturés de pigments.

Un manifeste d’optimisme et de sensualité qui résonne particulièrement dans le pays d’Europe le plus touché par la crise. Car, pour les Espagnols, Loewe est une institution nationale. L’ambassadeur d’un luxe maroquinier ancestral comparable à celui d’un Hermès, en France, et entré dans le giron du groupe LVMH en 1996. à l’origine, Enrique Loewe Roessberg, un émigré allemand, prend la direction d’un petit atelier de maroquinerie madrilène fondé en 1846. Les peausseries ibères, dont le fleuron est le cuir de Courdoue, approvisionnent déjà les cours du monde entier depuis le viiie siècle. Fidèle à cette tradition, la maison Loewe devient en 1905 fournisseur officiel de la maison royale d’Espagne et, dans les sixties, des stars américaines en vacances en Andalousie. Surtout, Loewe aura toujours accompagné l’histoire de ses compatriotes. Pour le meilleur et pour le pire. Sous la dictature franquiste, le créateur de l’époque, José Pérez de Rozas fait rêver les Espagnols avec ses vitrines peuplées d’Esquimaux, d’Arlequins multicolores ou d’éléphants miniatures.  » Ces mises en scène oniriques ouvraient d’autres horizons, car, à l’époque, il n’y avait que la télévision d’Etat, et les femmes ne pouvaient voyager sans la permission de leur mari « , raconte Flore Fernandez, responsable du musée Loewe. En 1975, la marque lance son sac Amazona, un modèle sportif dépourvu de doublure, qui accompagne les nouvelles envies de liberté et d’indépendance. Tout un symbole, devenu depuis un best-seller, tandis que les collections de prêt-à-porter sont confiées à de jeunes créateurs nommés Karl Lagerfeld, Giorgio Armanià

 » Le veau velours Ante Oro évoque la texture poudrée et la couleur de la terre de Madrid, le sable de l’arène de Séville. Le cuir nappa est aussi le plus complexe à travailler en raison de sa finesse et de sa légèreté « , explique Angel Fernandez. A 65 ans, dont cinquante de maison, le doyen des artisans Loewe, pourtant à la retraite, aime à se replonger dans les odeurs animales de la manufacture madrilène, où travaillent une centaine de personnes. Dans la partie atelier, dévolue à la conception, 600 modèles de sacs, de petite maroquinerie, de bijoux dessinés par le studio sont mis au point chaque saison.  » Quand j’ai mesuré les ressources qu’offrait cet artisanat, j’ai su que je devais venir ici « , embraie Stuart Vevers, qui a fait ses classes chez Louis Vuitton et Givenchy. En 2008, donc, le petit génie britannique de l’accessoire décide de quitter Mulberry, dont il avait orchestré le revival, pour rejoindre la direction artistique de Loewe, succédant ainsi au Belge José Enrique Oña Selfa. Sa mission ? Se recentrer sur l’ADN cuir de la marque en précipitant ses classiques dans l’époque. Comme le modèle Calle (mot espagnol :  » rue « ) lancé en 2009 avec sa forme empruntée aux sacs de supermarché.

 » Pour moi, le caractère fonctionnel est un enjeu crucial de nos modes de vie actuels. Il est temps de mettre de côté les sacs £uvres d’art, saturés de détails. La modernité du cuir passe donc par une quête constante de légèreté « , poursuit le créateur. Ainsi ces chemises en dentelle d’agneau, ces manteaux seconde peau en nappa qui soufflent le chaud et le froid entre rigueur et sensualité. Une tension qu’il a particulièrement ressentie en découvrant Madrid.  » A première vue, elle peut paraître un peu austère, mais c’est en réalité la ville des sens. Je n’imaginais pas en venant ici qu’il existait une telle vie nocturne, les rues sont pleines de monde, tout le monde se parle. C’est électrique. « 

Pour ce printemps, le créateur s’est d’ailleurs attaqué à un symbole espagnol un peu tombé en désuétude : le manton de manila, ce foulard de soie frangé des danseuses de flamenco qui raconte, à travers la richesse de ses motifs, la splendeur de la culture ibère : des céramiques andalouses au vitrail de la Sagrada Familia de Gaudí, en passant par les tableaux de Vélasquezà Il a donc revisité le modèle emblématique  » Habit de lumière  » en y glissant quelques boulons et écrous. Convoqué le trait onirique et grinçant de sa compatriote britannique Julie Verhoeren. Car Stuart Vevers compte bien profiter de sa position d’étranger.  » Cela m’autorise une certaine distance avec les codes, la possibilité de jouer avec les clichés. Et puis, comme les Britanniques, les Espagnols ont une culture de la monarchie et de la provocation.  » Le réalisateur Pedro Almodóvar semble lui avoir donné raison, en faisant porter un châle Loewe à Penélope Cruz dans son dernier film, Etreintes briséesà

Par Charlotte Brunel

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