Allure, charme et bio de star, Anoushka Shankar, demi-sour de Norah Jones, brillante sitariste, est le doux fruit d’une culture mondiale où mode, musique, nightlife s’unissent sans aspérité dans les parfums orangés. Rencontre avec une étoile qui se défend d’être une fashion victim…

Anoushka, 26 ans, est la fille de Ravi Shankar et la demi-s£ur de Norah Jones. Le premier est à la musique indienne ce que Jimi Hendrix fût à la guitare électrique : un maître absolu, un classique, une référence historique, également l’homme qui emmena les Beatles vers les rythmes orientaux de son pays-continent (lire encadré page 22). Norah aligne des chiffres de vente considérables et une pop-jazz talentueuse. Voilà pour l’ambiance familiale. Aujourd’hui, Anoushka et son complice Karsh Kale proposent Breathing Under Water (1) : un disque dansant, méditatif, sombre et lumineux. Virtuose et délicieusement dépaysant. A la fois idéal pour une virée dance-floor et une initiation à la méditation indienne. Oubliez vos compilations lounge, cette matrice-là a plus de c£ur, de parfum, de mystère. Et quel bonheur de rencontrer Anoushka !

Weekend Le Vif/L’Express : Que signifie pour vous le mot lifestyle ?

Anoushka Shankar : J’ai une perception assez globale de ce mot vu que je voyage à peu près 80 % de l’année. Je vis entre San Diego et New Delhi… Cela influence mon style de vie. La Californie est le lieu où je me ressource, où je me relaxe, alors que ma vie en Inde est faite d’un million de rencontres d’artistes, de designers, de DJ. En Inde, il y a beaucoup de musique autour de moi, je m’occupe d’un centre de musique et je suis ambassadrice pour le Programme alimentaire des Nations unies.

A quoi ressemble la vie nocturne de Delhi ?

Elle est incroyable. On ne sort pas de la maison avant minuit, une heure du matin, après un dîner qui commence généralement vers 22 heures, mais les clubs ne démarrent pas avant 2 ou 3 heures du matin. Si c’est une bonne nuit, vous la prolongez jusqu’à 8 ou 9 heures. Puis vous prenez le petit déjeuner : on consomme du thé très sucré, très laiteux, peut-être des £ufs et des toasts, ou alors du pain indien avec des pommes de terre… Ce qui pour moi, est un peu lourd le matin.

En 2007, où en est le système de castes en Inde ?

Les castes supérieures le sont toujours et la mobilité  » du bas vers le haut  » n’est pas facile. J’ai le privilège d’appartenir à une classe sociale aisée et ma famille des deux côtés est brahmane – la caste des prêtres – mais la politique indienne pousse à une représentation plus juste des différentes castes à l’intérieur des entreprises.

En Inde, la mode est une industrie florissante, en termes de production mais aussi de renouvellement, d’audace créatrice…

Depuis les années 1980, il y a eu un considérable renouvellement du style, dans lequel Delhi occupe une place explosive. Bombay mène la danse pour l’entertainment mais, au plan de la mode, Delhi donne le ton. Beaucoup de fashion designers s’inspirent de la mode traditionnelle et profitent de la qualité de travail exceptionnelle de la couture indienne.

Quels sont vos designers favoris ?

Ils sont tous des amis, je ne peux pas choisir (rires). Il y a, par exemple, Manish Arora, connu pour avoir redessiné la Reebok et dont on peut trouver les créations dans des boutiques comme Harrods à Londres ou Saks sur la 5e Avenue à New York. Il est jeune et ses fringues sont dingues, punk, sauvages. Tarun Tahiliani, lui, propose des vêtements extrêmement classes, élégants, exquis. Cela dit, j’achète rarement des créations de fashion designer. J’évite de devenir une fashion victim et de dépenser des milliers de dollars pour un vêtement…

On ne peut pas vous regarder sans remarquer ce bijou que vous portez au nez ! De quelle tradition relève-t-il, indienne ou post-punk ?

C’est extrêmement commun en Inde. Cet anneau, je le porte depuis l’âge de 15 ans et cela a quelque peu fâché mes parents. En Amérique, c’est un peu plus connoté, en Inde, c’est une ornementation. Tout comme mes tatouages, différentes versions de la fleur de lotus : là aussi, je vous laisse deviner la réaction de mes parents… Qu’il s’agisse de décorations au henné, de bijoux ou de tatouage, tout cela participe à la même idée de féminiser davantage la femme. Ce que j’observe en Californie, ce travail sur le corps, les tatouages ou même les scarifications, renouent avec des rituels anciens. L’Amérique a longtemps été symbole du premier monde, et cela signifie simplement qu’elle recherche autre chose.

On dit que la guitare a la forme d’une femme, quelle genre de  » forme  » évoque le sitar ?

(rires) Ah bon, c’est très long et… (rires). Il y a une tendance chez les hommes à féminiser les objets qui représentent quelque chose pour eux, que ce soit des bateaux qu’ils affublent de noms féminins, ou, comme mon père, du sitar qu’il appelle  » elle « . Moi, le sitar, je l’appelle  » mon bébé « … Il est très proche de moi : on peut parler de relation sensuelle, pas sexuelle, avec l’instrument parce qu’il nous emmène vers une certaine profondeur sentimentale. Le sitar remplit l’âme.

Difficile de croire que, à vous entendre, que teenager, vous ayez eu une phase gothique !

Un peu (sourire). J’ai en moi un désir d’expérimenter. Je ne me considérais pas comme gothique mais j’avais le droit d’essayer de l’être avant de remarquer les limites d’un genre où l’on impose des structures et des attentes. Si vous êtes gothique, vous n’êtes pas supposé écouter de la pop music. Et je ne vois aucune raison de ne pas porter du noir à lèvres un jour et un sari le lendemain.

Comme Norah Jones, vous êtes la fille de Ravi Shankar… Comment gérez-vous cette célébrité ?

Je pense que le problème des enfants de stars vient de la sensation d’être l’ombre de votre père, et je sais ce dont je parle parce que pas mal de gens m’ont classée ainsi. Je le vois davantage comme une bénédiction, j’ai énormément confiance dans le fait que je fais de mon mieux et que jouer de la musique me rend heureuse. Je n’ai pas l’intention de prouver quoi que ce soit.

Quel est, selon vous, le meilleur endroit pour écouter votre musique ?

De nombreuses personnes emmènent notre musique en voyage. Breathing Under Water est un disque nocturne, intensément cinématographique.

Votre musique semble détachée du chaos naturel de l’Inde, pourquoi ?

Je peux trouver la paix dans le chaos. Je ne veux surtout pas nier les contradictions de l’Inde mais garder les yeux grands ouverts sur elle.

Aujourd’hui, vous affichez un look casual, jeans bleus, cardigan sobre, mais votre album et sa pochette regorgent de couleurs. Quelle est votre colorimétrie naturelle ?

Cela se décide avec l’humeur du jour. Je me lève et je décide que le rouge va changer ma journée ! Les couleurs changent les gens, on a besoin du brillant comme du blanc et du noir.

(1) CD Breathing Under Water, chez Blue Note/EMI.

Propos recueillis par Philippe Cornet

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content